Comment qualifier l’attentat de Charleston ? (« Huff Post »)

Tribune publiée dans le "Huffington Post", le 19 juin 2015.

Deux mois et demi après la mort de Walter Scott, cet homme noir de 50 ans tué de cinq balles dans le dos par un policier (lequel est actuellement poursuivi pour meurtre), Charleston, en Caroline du Sud, vit une nouvelle fois l’horreur.

Loin d’être une simple « fusillade », l’acte perpétré par Dylann Roof dans une église de la communauté afro-américaine de la ville est, selon toute vraisemblance, un attentat à motivation raciste. Le jeune homme de 21 ans aurait demandé où était le pasteur, se serait assis parmi les fidèles pendant l’office et, après avoir attendu une heure, aurait assassiné 9 personnes. Selon certains témoignages, il aurait rechargé son arme cinq fois. Le chef de la police municipale, Greg Mullen, a du reste parlé de « crime haineux ».

Le Président Obama, tout en disant avoir le cœur brisé, a réagi en rappelant que la tuerie avait eu lieu dans une ville et une église marquées par l’histoire de l’esclavage: Charleston fut en effet un haut lieu de la traite négrière et l’édifice religieux, connu sous le nom de « Mother Emanuel » est situé dans le cœur « blanc » de la cité. Au XIXe siècle, ses fidèles s’y sont rebellés contre l’esclavage. L’église n’a donc peut-être pas été choisie par hasard par le tueur.

Le poids de la « masculinité hégémonique »

S’il faut bien sûr rester prudent sur les motivations du tueur et le déroulé des faits, l’on ne peut que voir des parallèles avec d’autres massacres de masse récents dans des écoles ou des lycées. Comme l’a expliqué le sociologue Michael Kimmel, auteur du célèbre livre Angry White Men, les jeunes hommes préméditant et réalisant ces massacres correspondent à un profil-type: l’homme blanc en colère qui ne parvient pas à correspondre aux critères stéréotypés de la masculinité et se considère comme assiégé dans une société qui change.

Selon des témoins, Dylann Roof aurait dit: « je dois le faire, vous [les Noirs] violez nos femmes et prenez le pouvoir dans ce pays. Vous devez partir ». Une allusion, peut-être à Barack Obama -les conservateurs les plus racistes n’ont jamais accepté l’accession d’un Noir à la Maison Blanche. Les droits des minorités ethniques, « raciales », sexuelles, et l’émancipation des femmes apparaissent comme extrêmement menaçants à une partie de la population qui ne se sent pas en sécurité par la remise en question du patriarcat (blanc), ce que les chercheurs Ryan W. Connell et James W. Messerschmidt ont appelé la « masculinité hégémonique ».

Or, Clementa C. Pinckney, le pasteur de l’église, également sénateur démocrate de Caroline du Sud, qui a été tué dans l’attentat, avait rencontré la candidate à l’investiture démocrate Hillary Clinton quelques heures auparavant. Pour certains, à l’instar -on peut en faire l’hypothèse- de Dylann Roof qui, sur une photo diffusée sur les réseaux sociaux, porte un blouson orné des drapeaux des anciens régimes d’apartheid d’Afrique du Sud et de Rhodésie (l’actuel Zimbabwe), les Démocrates sont des ennemis viscéraux. Ils représentent la modernité, l’ouverture, le cosmopolitisme, bref la fin des repères traditionnels. Et c’est pour eux insupportable. La tuerie de Charleston apparaît donc bien comme un attentat, un acte politique.