Interview pour « Womenology » et « AuFéminin.com » sur les femmes politiques en France et aux Etats-Unis

2J’ai été interviewée par Marion Braizaz pour Womenology, le lab marketing/sociologie d’AuFeminin.com, à propos d’une enquête sur la place des femmes et du sexisme en politique, en France et aux Etats-Unis. L’interview a été publiée le 2 juin 2015.

Rencontre avec Marie-Cécile Naves, sociologue, politologue, elle vient de publier en 2015 un nouvel ouvrage intitulé Le nouveau visage des droites américaines.

Quel regard portez-vous sur les mises en scène médiatiques des femmes politiques en France ?

Les femmes politiques restent vues avant tout comme des femmes, et rarement comme des personnels politiques au même titre que les hommes. Eux sont l’universel, elles sont la marge, la différence. C’est le lot de toutes les femmes qui aspirent à exister dans l’espace public : ce dernier demeure masculin et les femmes sont encore vues comme des intruses, elles entrent par effraction, leur légitimité est loin d’être acquise. Cela se manifeste par des remarques très genrées sur leur physique, leur apparence, leur sexualité, leur caractère prétendument « naturel » (douceur, candeur). Si elles sont pugnaces, on le leur reproche aussi, bref les femmes ont toujours tort.

Peut-on constater des évolutions ? L’écart entre discours égalitaires et pratiques empruntes de machisme diminue-t-il ?

Du côté des hommes politiques, cela évolue peu, voire il y a des crispations chez ceux qu’on appelle aux Etats-Unis les « Old White Males » : le patriarcat blanc a encore de beaux jours devant lui. La persistance du harcèlement sexuel au Parlement vis-à-vis des assistantes parlementaires, les commentaires déplacés à connotation sexuelle sur les collègues ou les journalistes en témoignent (femme dans l’espace publique=femme publique). Le très faible nombre de femmes élues ou, dans le cas des conseils départementaux, qui parviennent à des postes à responsabilité démontre que le pouvoir est aux mains des hommes et qu’ils comptent le garder. Les hommes se sentent menacés par les femmes, il faudrait les plaindre, mais jamais on ne demande aux femmes si elles se sentent menacées par les hommes, bien qu’il y ait clairement une confiscation du pouvoir. En écartant les femmes, c’est aussi de talents que le monde politique se prive.

Quelles sont les « tactiques » de résistances mises en œuvre par les femmes politiques ? Comment vivent-elles les critiques dont elles sont victimes ?

Heureusement, les femmes politiques vivent de plus en plus mal les remarques sexistes, c’est une violence symbolique forte. Les choses changent un peu dans le sens où les comportements machistes sont de plus en plus dénoncés, en premier lieu par les femmes elles-mêmes qui n’intériorisent plus comme avant l’infériorité sociale qu’on leur renvoie sans cesse. Les réseaux sociaux ont beaucoup aidé. La tribune dans « Libération » des journalistes féminines en est un autre indicateur. Pour autant, les médias laissent encore peu la place aux femmes, sur les plateaux de TV et de radio, et on leur pose toujours des questions sur leur tenue vestimentaire et leur vie privée, les renvoyant à l’espace domestique.

Aux E-U, quelles sont les particularités des représentations sociales sur les femmes politiques ? Sont-elles différentes de celles ayant cours en France ?

C’est la même chose. Il y a seulement 19% de femmes à la Chambre de représentants et 20% au Sénat. Ce ne sera probablement pas une femme qui sera choisie lors des primaires républicaines, je suis curieuse de voir si le colistier sera une colistière (candidature à la vice-présidence des Etats-Unis). La glorification de la femme au foyer et le combat contre le droit des femmes à disposer de leur corps n’arrangent rien, du côté du parti républicain.

Selon vous, quels sont les différences/points communs entre les femmes politiques Américaines et Françaises ?

Je ne vois pas de différence majeure, les stéréotypes de genre et leurs conséquences fonctionnent dans les deux cas.

Quels sont les leviers pour faire progresser l’égalité dans le monde politique ?

La discrimination positive est un bon levier, elle permet de changer les pratiques. Ainsi, la parité a été utile mais elle n’est pas suffisante : il faut aller plus loin dans l’accès aux responsabilités et ne plus cantonner les femmes aux secteurs où on les pense compétentes « par nature » (famille, affaires sociales…). Les cabinets ministériels devraient, à mon sens, être obligatoirement paritaire (c’est très loin d’être le cas). Ce n’est pas le vivier qui manque. Par ailleurs, l’égalité hommes-femmes est une cause globale, il faut jouer sur tous les tableaux : il est primordial de lutter contre les stéréotypes de genre et leurs conséquences dans tous les domaines et cela commence par la petite enfance et l’école. Il importe aussi de refuser le sexisme ambiant (dans la publicité, par exemple), qui est beaucoup plus toléré que le racisme, et prendre des mesures très volontaristes dans le monde du travail. Ce dernier est profondément segmenté entre hommes et femmes (à peine 16% des métiers sont mixtes), les femmes sont moins payées même à diplôme et poste égal, elles subissent le plafond de verre et c’est encore elles qui s’occupent très majoritairement des tâches domestiques et parentales (cf. études de l’OCDE et plus récemment du CREDOC). Il y a de la discrimination à l’embauche et dans les processus de promotion à cause de ça. Pire : les femmes l’intériorisent et l’acceptent ! Les entreprises ont cependant beaucoup à perdre en se privant des talents d’une partie de la population, à cause des préjugés. La performance économique d’une organisation, mais aussi d’n pays tout entier (et il en va de même du monde politique) dépend étroitement de sa capacité à valoriser les compétences là où elles sont. Tant que les femmes demeureront, dans les représentations dominantes, des êtres inférieurs, qu’on ne prend pas au sérieux, qu’on confine à des rôles traditionnels (maternité, beauté), on se privera de richesses. En la matière, le monde politique doit montrer l’exemple, à tous les niveaux.

Aux Etats-Unis, la candidature d’Hillary Clinton ne peut-elle faire bouger les lignes ? Quant au parti républicain, n’a-t-il pas tenté de mettre des femmes politiques sur le devant de la scène en 2008 et en 2012 ? On pense à Sarah Palin ou Michelle Bachmann ?

En effet, plusieurs candidates ont été propulsées dans la lumière. Hillary Clinton a une parole très féministe, mais rien ne dit qu’elle remportera la primaire démocrate, encore moins l’élection présidentielle de 2016. Chez les Républicains, il y a en effet eu, ces dernière années, y compris aux élections de mi-mandat novembre 2014, un nombre important de candidatures féminines. Néanmoins, elles étaient là pour porter une parole conservatrice, anti-féministe très forte (et cela passe mieux si ce sont des femmes qui l’incarnent, donc c’est une stratégie un peu cynique). Ainsi, Joni Ernst, vétérane d’Irak et candidate élue au Sénat  dans l’Iowa, qui se vantait « d’avoir castré des porcs dans sa jeunesse », s’est, pour l’emporter, efforcée de séduire l’électorat blanc masculin et peu diplômé (l’électorat républicain traditionnel). En 2008, Sarah Palin était surnommée le « pitbull avec du rouge à lèvres ». Peu au fait des codes politiques, elle s’est décrédibilisée pour ses propos sur la politique étrangère ou la loi Obama sur la Santé. En novembre 2014, il y avait deux fois plus de candidates démocrates que républicaines pour ces élections au Congrès, et les Démocrates ont défendu, quoique souvent timidement, la cause des femmes (ainsi l’accès à l’avortement demeure un sujet tabou), mais beaucoup, comme en France, n’étaient pas en position éligible. Les Républicains refusent toujours de voter une loi fédérale garantissant l’égalité salariale entre hommes et femmes.

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