RECENSION de mon livre dans « Politique Internationale », n° 148, été 2015


Recension parue dans « Politique Internationale », n° 148, été 2015.

Par Yves Gounin

 

LE NOUVEAU VISAGE DES DROITES AMÉRICAINES

Marie-Cécile Naves (Éditions FYP, 2015, 192 p.)

Spécialiste reconnue des États-Unis auxquels elle a consacré sa thèse de doctorat, Marie-Cécile Naves nous livre une radioscopie des droites américaines. Le pluriel a son importance. Il constitue le fil rouge de ce livre nourri des derniers développements de l’actualité. Le bipolarisme américain est trompeur, qui laisse penser que le paysage politique s’organise autour des seuls Partis républicain et démocrate. Outre qu’il existe d’autres partis — et parfois d’autres candidats qui viennent troubler l’élection présidentielle (tel Ross Perot en 1992 et 1996) —, le Parti républicain est lui-même divisé en plusieurs sensibilités. La plus médiatisée ces dernières années fut le Tea Party, ainsi nommé par référence à la Boston Tea Party de 1776. Mais il faut compter aussi sur divers courants : la droite religieuse, particulièrement vigilante sur la question des mœurs ; les libertariens, défenseurs d’un libéralisme tous azimuts ; les « conservateurs sociaux », favorables au « conservatisme compassionnel » mis en œuvre durant les premières années du mandat de George W. Bush ; ou les pro-business qui font de la réduction de la fiscalité leur priorité.

Marie-Cécile Naves passe en revue les grands sujets qui mobilisent ces différentes familles. Elles sont unies dans une commune détestation de l’actuel président américain. Barack Obama est accusé de tous les maux : « socialiste » (le qualificatif est infamant aux États-Unis) ; musulman (25 % des Américains et 45 % des Républicains en sont convaincus) ; voire unamerican (sa nationalité est régulièrement mise en cause). Le président est attaqué avec des mots et des images qui, de ce côté-ci de l’Atlantique, tomberaient sous le coup de la loi pénale. Les droites américaines sont en général favorables à un gouvernement limité et à une réduction des impôts. Elles considèrent, contre toute raison, que l’écologie est une « dangereuse lubie socialiste » et sont hostiles à un régime international qui limiterait les émissions de gaz à effet de serre, pénaliserait l’industrie charbonnière et obligerait les Américains à réformer leur mode de vie.

C’est sur la question des mœurs que les droites américaines sont le plus réactionnaires. Leur sacralisation de la liberté individuelle les conduit à défendre le droit de porter des armes, sans que les tueries récurrentes provoquées par quelques déséquilibrés surarmés ne les conduisent à infléchir leur position. Le refus d’abolir la peine de mort participe de la même philosophie. Cet individualisme ne les empêche pas, dans le même mouvement, de tenir sur la question féminine un discours patriarcal : le corps des femmes ne leur appartient pas, ce qui explique que le droit à l’avortement (dont la constitutionnalité a pourtant été reconnue en 1973 par l’arrêt Roe vs. Wade) soit méconnu dans de nombreux États. Les droits des homosexuels constituent une ligne de clivage forte avec le Parti démocrate. L’administration Obama a fait de la lutte contre l’homophobie l’un de ses chevaux de bataille, par exemple en abrogeant la loi Don’t ask, don’t tell dans l’armée. Un combat de longue haleine s’est engagé devant la Cour suprême pour la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe. Une commune mixophobie vise les Noirs, les musulmans et les immigrants — nourrissant en retour, de la part de ces minorités, un vote largement défavorable aux droites.

À un an et demi de la prochaine élection présidentielle américaine, l’ouvrage de Marie-Cécile Naves est l’occasion de s’adonner au petit jeu des pronostics. La première inconnue est l’identité du candidat qui portera les couleurs du GOP. Pour l’instant, les prétendants sont pléthore, « signe de l’absence (…) de consensus » (p. 188) : le très bushiste sénateur du Texas Ted Cruz ; le sénateur de Floride affilié au Tea Party Marco Rubio ; le libertarien Rand Paul ; Rick Santorum ou Mick Huckabee, tous deux proches de la droite religieuse ; sans oublier Jeb Bush dont la désignation, face à Hillary Clinton, ne manquerait pas de saveur… Mais la seconde inconnue est celle du vainqueur de ce scrutin. Marie-Cécile Naves ne se hasarde pas à prédire l’avenir. Mais elle rappelle quelques données déterminantes : l’électorat traditionnel de droite, l’Amérique blanche et protestante de plus de 45 ans, pèse de moins en moins. L’évolution démographique qui a porté Barack Obama au pouvoir condamne le Parti républicain à se rajeunir et à se diversifier s’il veut reconquérir la Maison-Blanche.