Interviewée par « L’Obs » (Le Plus) sur Donald Trump

1179px-RepublicanlogoLors d’un meeting de campagne dans le New Hampshire, Donald Trump n’a pas repris un de ses militants, qui a dit qu’Obama était musulman et qu’il n’était « même pas Américain ». Une absence de réaction qui en dit long sur la stratégie de Trump et l’état de la politique américaine.

Actuellement, Donald Trump ne poursuit qu’un seul objectif : séduire le cœur de l’électorat républicain, qui doit choisir quel sera le candidat de leur camp à la présidentielle. Cyniquement, on pourrait donc presque dire que Trump a intérêt à alimenter les peurs qui secouent les militants.

Entretenir le doute complotiste

Principale cible des attaques du magnat de l’immobilier et des républicains, Barack Obama se retrouve donc au centre de toutes les théories complotistes les plus absurdes, entretenues notamment par les ultra-conservateurs depuis son élection en 2008. L’épisode le plus grotesque en date étant celui de sa nationalité et de son certificat de naissance.

En 2011, il avait fini par rendre public son certificat de naissance, afin de mettre fin à un fantasme républicain qui veut qu’il ne soit pas américain. Quelques jours plus tard, lors du dîner des correspondants de presse à la Maison blanche, le président des États-Unis s’était copieusement moqué de Trump, dans une vidéo qui avait fait rire toute la planète.

Obama, la cible de tous les fantasmes

Vengeance personnelle de la part de Trump ? On peut le penser. Mais c’est aussi son intérêt d’aller dans la détestation d’Obama, puisque c’est la marotte, voire l’obsession de ses sympathisants. C’est aussi, indirectement, une manière d’attaquer Obama sur le volet de sa politique étrangère. Depuis le début de son premier mandat, ses détracteurs républicains l’accusent sans relâche d’être favorable, sans condition, aux pays musulmans  (cf. son appel « à un nouveau départ avec les musulmans du monde entier », en 2009), voire aux islamistes.

Par ailleurs, les négociations avec l’Iran et la signature de l’accord nucléaire ne passent pas du tout auprès des néoconservateurs et du Tea Party, qui vivent dans l’angoisse de nouveaux attentats. Une grande part des leaders républicains ne critiquent pas, voire défendent la violence policière contre les Afro-Américains et s’inquiètent du métissage de la société américaine. Il y a là une idéologie qui se cristallise en la personne d’Obama, pour ce qu’il représente sociologiquement mais aussi physiquement … Les plus extrêmes vont même jusqu’à penser que son accession à la fonction suprême fait partie d’un plan pour ruiner et saboter l’identité des États-Unis.

Trump va dans le mur

À long terme, cette stratégie de Donald Trump ne tient pas la route, parce que son adversaire en 2016 ne sera pas Barack Obama. Même si Hillary Clinton – dont la candidature n’est pas encore assurée – a été la secrétaire d’État d’Obama, ce sont deux personnages très différents, en particulier dans leur vision de la politique étrangère.

Faut-il aussi rappeler que s’adresser au cœur de l’électorat républicain pour les primaires n’a rien à voir avec le fait de faire campagne auprès du peuple américain dans son ensemble ?

Avec son discours de haine sur les minorités hispaniques, notamment, Donald Trump joue à un jeu dangereux, au vu de la démographie du pays. Cette expression d’une détestation de l’autre, qui s’incarne aussi dans la non-condamnation du racisme anti-Noirs qui sévit aux États-Unis, sans parler de ses envolées misogynes, va lui poser problème au bout d’un moment.

La vérité et l’honnêteté ne comptent plus

Ce qu’il est intéressant de souligner, avec ce dernier épisode du New Hampshire, c’est le fait que l’exactitude factuelle – la vérité – n’a pas d’importance dans le débat. La candidature de Trump cristallise en effet bon nombre de questions qui se posent sur l’état de la démocratie américaine : pour le milliardaire, aujourd’hui, peu importent les faits, il faut se débarrasser de cette élite politique que l’on déteste… quitte à mentir ou à faire usage de mauvaise foi.

Trump prend son rôle de clown méchant très à cœur et rappelle par là même, à mon sens, Jean-Marie Le Pen. Un mélange de populisme, de provocation sans limites et de télé-réalité. Sa posture anti-Washington suffit à ces militants républicains, ils se moquent qu’Obama soit effectivement américain et qu’il soit protestant.

Il vaut mieux investir dans le mensonge

Tout ce bruit en dit beaucoup sur l’état de la politique américaine. L’ère est à la politique spectacle, à la confusion entre le show télévisé et la réalité. L’époque, morose, inquiétante, incertaine, crée un engouement pour le divertissement à tout prix. La droite américaine n’a pas encore trouvé comment reformuler, trente-cinq ans après Reagan, une vision optimiste de l’avenir.

En Europe, le personnage de Donald Trump peut nous paraître horrible et ridicule. Mais il ne se résume pas à cela, il est révélateur de l’état de la démocratie américaine. Certains candidats préfèrent investir dans le mensonge et l’inexactitude que dans la construction d’un programme crédible parce que les bénéfices politiques seront à court terme supérieurs aux coûts réputationnels engendrés.

On ne peut plus capitaliser sur l’honnêteté. Mais Trump souhaite-t-il vraiment gouverner ? Je ne le crois pas.