Interviewée par RFI.fr sur les élections américaines, le 2 février 2016

Interview réalisée par Maati Bargach.

Election américaine: un troisième candidat peut-il émerger?

Selon des témoignages de ses proches, Michael Bloomberg souhaiterait se lancer dans une candidature indépendante à l’élection présidentielle américaine. Le multimilliardaire, magnat des médias et ancien maire (républicain puis indépendant) de New York n’a pas lui-même confirmé l’information.

Mais selon le New York Times, Michael Bloomberg souhaiterait entrer dans la course, au cas où le sénateur du Vermont Bernie Sanders et le milliardaire Donald Trump remportent les investitures des deux grands partis, démocrate et républicain. Bloomberg représenterait alors une position modérée face à Sanders, qui n’a pas hésité à se présenter comme socialiste (ce qui constitue une injure aux Etats-Unis), et Trump, dont le discours populiste rebute une partie de l’opinion américaine.

« Une hypothèse hautement improbable »

Mais une élection qui se joue entre Sanders et Trump reste « une hypothèse hautement improbable », selon Nicole Bacharan, politologue spécialiste de la politique américaine. Elle explique :

« Je ne vois pas comment l’un de ces candidats peut espérer recueillir la majorité des voix. Sauf si Sanders adopte des positions plus modérées et si Trump cesse d’être dans le spectacle et le divertissement, voire l’injure, et se met à faire de la politique, en adoptant un programme. »

Bloomberg aurait annoncé à des proches qu’il prendra sa décision en mars. Si Sanders et Trump (ou Ted Cruz, vainqueur républicain du caucus de l’Iowa) se détachent, il aurait alors prévu de dépenser un milliard de dollars de sa fortune estimée à 41 milliards.

« Même dans l’hypothèse Sanders-Trump, Bloomberg doit se dépêcher car une candidature dans les 50 Etats des Etats-Unis est une machine lourde à mettre en place. S’il attend le mois de mars, ce ne sera pas gagné d’avance », prévient Nicole Bacharan, auteur des Secrets de la Maison Blanche (éditions Perrin, avec Dominique Dimonnet). 

Un système électoral fermé

De toute façon, le système électoral américain est si fermé qu’un candidat non issu du Parti démocrate ou du Parti républicain n’a aucune chance de gagner l’élection. Cela n’est jamais arrivé dans l’histoire des Etats-Unis.

C’est une question d’argent, mais pas seulement, explique Amy Greene, enseignant-chercheur à Sciences Po Paris et également auteur de L’Amérique après Obama (éditions Autrement) :

« D’abord, il y a un verrouillage institutionnel, parce qu’il n’y a pas de représentation proportionnelle lors des élections. Mais surtout, le territoire américain est si grand, qu’il faut l’infrastructure d’un grand parti, déjà bien implanté, pour parcourir le terrain et créer un réseau de militants dans chaque circonscription. C’est une sorte de cercle vicieux. »

Les candidatures indépendantes ou de « petits partis » sont pourtant tout à fait ordinaires. Ainsi, pour la prochaine élection de 2016, de nombreux partis devraient désigner un candidat. En 2012, il y avait en tout 30 candidats. Mais la très grande majorité n’avait mathématiquement pas la possibilité de gagner. 

Le tiers candidat, en général associé à une « image négative »

Car le système électoral américain est particulier : le scrutin présidentiel est uninominal à un tour et le candidat arrivé premier dans un Etat remporte, pour simplifier, la totalité des voix de cet Etat. Les candidatures qui arrivent à avoir un impact national – en dehors des deux grands partis – sont dès lors très rares. Vincent Michelot, universitaire spécialiste de l’histoire politique américaine, explique :

« Généralement, l’apparition d’un tiers candidat important signifie que l’offre politique n’est pas satisfaisante. C’est déjà arrivé au XIXe ou au XXe siècle. Mais en général, il y a une image négative associée à ces tiers candidats, car ils prennent des voix au candidat dont ils sont le plus proche. C’était le cas, par exemple, à l’élection présidentielle de 2000, lors de laquelle Ralph Nader (candidat du Parti vert, ndlr) a été accusé d’avoir pris des voix au démocrate Al Gore en Floride, ce qui a facilité l’élection du républicain Georges W. Bush. »

Cela est également arrivé en 1912 : l’ancien président républicain Theodore Roosevelt, déçu par la politique de son successeur, également républicain, William Taft, s’est présenté comme le candidat du mouvement progressiste. Le camp du Grand Old Party avait alors été divisé, ce qui avait permis l’élection du candidat démocrate Woodrow Wilson.

Ceci fait dire à Vincent Michelot, également directeur de Sciences Po Lyon, que « Bloomberg ne se présentera pas si Hillary Clinton est choisi par le Parti démocrate, et encore moins si le sénateur de Floride Marco Rubio, modéré, est investi par le Parti républicain ». 

Donald Trump comme candidat indépendant ?

Dans une telle perspective, peut-on alors envisager une candidature de Trump comme indépendant ? Dans un premier temps, celui-ci avait annoncé qu’il se présenterait de manière indépendante s’il n’était pas désigné par le Parti républicain pour la course à la Maison Blanche. Mais en septembre, il s’était rétracté et avait fait « allégeance » à son parti.

« Ce serait désastreux pour Trump de se présenter en indépendant s’il n’est pas choisi par la primaire républicaine, alors qu’il a choisi de se prêter à ce jeu démocratique. Mais la rationalité disparaît avec Trump, donc on ne peut exclure aucun scénario », explique Vincent Michelot, notamment auteur de l’ouvrage Le président des Etats-Unis : un pouvoir impérial ? (éditions Découvertes Gallimard). Mais sans l’investiture républicaine, Trump « n’aura aucune chance, selon Marie-Cécile Naves, sociologue spécialiste des Etats-Unis. Cela coûterait trop d’argent, pour un échec presque assuré ».

« Le plus vraisemblable : un républicain modéré qui émerge »

« Ce qui est le plus vraisemblable aujourd’hui, décrypte Nicole Bacharan, c’est qu’il y ait un républicain plus modéré qui émerge. » Car les deux favoris, qui sont également arrivés premiers lors du caucus de l’Iowa, sont les candidats outranciers Ted Cruz, sénateur du Texas, et Donald Trump.

« Ces deux candidats ne sont pas appréciés par les instances du Parti républicain, explique Marie-Cécile Naves, notamment auteur du Nouveau visage des droites américaines (éditions Fyp). Trump n’aurait aucune chance face à Hillary Clinton et Ted Cruz est trop clivant, c’est un jusqu’au-boutiste qui n’aime pas le compromis. Les deux ne pourront compter que sur l’électorat républicain dur, ils ne pourront pas séduire l’électorat hispanique ou les femmes. »

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