Les leçons du « super Tuesday » pour Trump et Clinton

Chronique parue sur le site de "The Conversation", le 3 mars 2016.

Ils font les « unes » de la presse depuis des mois : Donald Trump et Hillary Clinton sont les grands gagnants du « super Tuesday », ce moment tant attendu des primaires américaines où tout est censé basculer ou se confirmer. Il avait cette année lieu le mardi 1er mars.

Hillary Clinton, l’appel aux minorités

Côté Démocrates, le duel est en train de véritablement tourner à l’avantage d’Hillary Clinton. Elle est arrivée première dans le Massachusetts et renforce son ancrage dans le Sud en l’emportant au Texas, en Virginie, dans le Tennessee, en Géorgie, dans l’Arkansas et l’Alabama. Pour l’instant, elle a gagné 11 États sur 16. Sauf coup de tonnerre ou révélation fracassante – mais après tout, ne sommes-nous pas allés de surprise en surprise depuis l’été dernier ? –, elle est en bonne voie pour gagner l’investiture de son parti.

D’une part, la dynamique est avec elle car elle remporte de plus en plus d’États, et donc de délégués : depuis hier, elle en a un millier, alors que Sanders n’en a que 371. Il en faut 2 383 pour remporter l’investiture. D’autre part, les quelque 712 « super délégués » (sénateurs, représentants, etc.), qui votent eux aussi le jour de la convention du parti en juillet prochain, sont très majoritairement acquis à l’establishment et la candidate démocrate de l’establishment, c’est elle.

Son discours color-conscious, qui s’adresse directement aux minorités ethniques et raciales, est un succès. Elle possède également des liens très forts avec les leaders des communautés afro-américaine et hispanique, ce qui n’est pas le cas de Sanders. Il sera difficile, en novembre, de l’emporter en se passant de leurs voix. Son programme de lutte contre les violences policières et la partialité de la justice à l’égard des Noirs, ses arguments selon lesquels les discriminations coûtent de l’argent à l’économie américaine sont efficaces. Sanders est plus old school dans sa vision des inégalités, même s’il séduit les jeunes, qui se sentent pour beaucoup déclassés ou abandonnés des élites. Ajoutons que son programme très interventionniste en matière sociale, fiscale et économique refroidit le monde des affaires, les corps intermédiaires et bon nombre d’élus démocrates qui savent que cette vision politique est trop éloignée de la culture des États-Unis pour être crédible.

Trump, le loup dans la bergerie républicaine

C’est bien sûr chez Les Républicains que le loup est entré dans la bergerie et qu’il y prend ses aises, sans pouvoir être ni chassé, ni neutralisé. Donald Trump a gagné 10 des 15 premières primaires du parti républicain. Hier, seuls le Texas et l’Alaska ont été remportés par Ted Cruz, et le Minnesota, par Marco Rubio. Trump a d’ores et déjà récolté 285 délégués, il lui en manque un peu plus de 950. Marco Rubio, décidément, ne décolle pas dans cette campagne. C’est une déception, pour ses partisans, bien sûr, mais aussi pour le parti qui en avait fait son candidat préféré. Il paie sans doute le retard accumulé du fait de la présence d’autres concurrents jugés mainstream (Jeb Bush – aujourd’hui retiré de la course – et John Kasich), mais aussi de ses piètres prestations publiques.

Effaré, le parti républicain fait les comptes et ne peut plus miser que sur deux stratégies pour écarter le milliardaire de l’immobilier, qu’il déteste et qui le lui rend bien. La première est le financement massif d’un mouvement « anti-Trump » porté par Rubio ou Cruz (publicités négatives, campagne de terrain plus agressive). Si cela ne suffit pas, la deuxième stratégie consisterait en un mini coup d’Etat à la convention nationale de juillet en faisant en sorte que les « délégués non engagés » ou « super délégués » se prononcent tous contre Trump.

Deux obstacles possibles à cela. Premièrement, ils peuvent décider de ne pas remettre en cause le choix démocratique de leurs électeurs pour ne pas se les aliéner (rappelons qu’en novembre ont également lieu les élections pour renouveler la Chambre des représentants et une partie du Sénat). Deuxièmement, l’avance de Trump en matière de délégués risque fort d’être incontestable. Car les « super délégués » républicains ne sont que 168. Ils ne comptent donc que pour 7 % du vote final. C’est pourquoi un nombre croissant de leaders conservateurs commencent à se faire à l’idée qu’il sera leur candidat, tout en étant conscients qu’il lui sera difficile de l’emporter face à Hillary Clinton.

On entend aujourd’hui reparler d’une troisième stratégie : celle d’un autre candidat républicain, qui se présenterait en indépendant, avec le soutien du parti. Improbable mais pas complètement impossible…

Deux visions et deux images des États-Unis

Pour cette dernière, le défi des États-Unis n’est pas de rendre sa grandeur à l’Amérique (« make America great again », le slogan de Trump). En effet, « l’Amérique n’a jamais cessé d’être grande », dit-elle. Ce qu’il faut, au contraire, c’est construire un pays uni (« make America whole »). En en appelant à l’unité nationale, en invitant chacun à accepter de vivre dans une société « où l’on ne s’aime pas tous, mais où l’on est bien obligés d’avancer ensemble », le discours d’Hillary Clinton, le mardi 1er mars, visait clairement Donald Trump. Les yeux rivés sur le 8 novembre, elle a désormais fait de Trump son adversaire. Clinton et Trump sont les deux candidats de la combativité, de l’ambition, de la confiance en soi. N’est-ce pas, finalement, l’image que les États-Unis ont d’eux-mêmes ?