Recension du « Nouveau visage des droites américaines » dans Revues.org


Le site universitaire « Revues.org » a publié, le 5 avril 2016, une recension de mon dernier ouvrage sur les Etats-Unis. Elle est rédigée par Alix Galabert :

« En cette période d’élection présidentielle américaine, l’ouvrage de Marie-Cécile Naves permet de saisir les enjeux et idéologies actuels du parti républicain américain, le Grand old party (GOP). Nul besoin d’être incollable sur la politique américaine pour se lancer dans la lecture de l’ouvrage. La politologue-sociologue part d’un constat : l’Amérique semble de plus en plus divisée sur les questions politiques et sociétales, qui provoquent une « nouvelle guerre culturelle » (p. 16). Les droites se radicalisent mais sont, en même temps, sujettes à de nombreux clivages internes. Ce paradoxe est le point de départ des questionnements de l’auteure. Sur quels principes et valeurs s’appuie le parti républicain ? Sur quelles problématiques les tensions internes au parti reposent-elles ? Pour répondre à ces questions, la chercheuse alimente son analyse de multiples sources, tant primaires (lois, discours politiques) que secondaires (ouvrages de sciences politiques surtout). Toutefois, le lecteur n’est jamais noyé sous le flot des informations. Bien au contraire, Marie-Cécile Naves, forte de son expérience en tant que chargée de conférence et intervenante médiatique sur l’actualité américaine, sait rendre son propos fluide.

D’emblée, l’auteure présente Barack Obama comme « l’ennemi fédérateur » (p. 27) des républicains. Le Président incarne les changements socio-démographiques de l’Amérique en devenant la figure du traitre et du destructeur des valeurs américaines. Marie-Cécile Naves dresse le portrait de républicains paranoïaques et enclins aux affabulations en tous genres, comme celle selon laquelle Obama ne serait pas américain mais musulman. Les républicains manifestant un fort rejet de l’islam, ils soupçonnent le Président de favoriser les musulmans au détriment de la sécurité du pays. Sa politique étrangère est ainsi vivement critiquée par les opposants, la guerre qu’il mène contre Daech étant jugée trop timide. De plus, la peur du socialisme et de l’assistanat est très forte chez les conservateurs qui craignent les politiques sociales en faveur des minorités (selon eux trop présentes en Europe). C’est avant tout la réforme de l’assurance santé, dite obamacare, mais aussi la remise en cause du droit au port d’armes, qui rallient l’opposition républicaine.

L’émergence du Tea Party depuis les années 1980 est ensuite analysée par l’auteure. L’effort individuel, la liberté d’entreprendre et la méritocratie sont les principales idéologies développées de ce parti ultra-radical et anti élitiste. Deux grands courants cohabitent au sein du Tea Party : les libertariens et les « conservateurs sociaux » ; ces courants s’appuyant principalement sur des think tanks (laboratoires d’experts indépendants de l’État). Aux élections de mi-mandat en 2010, le Tea Party a remporté des sièges à la Chambre des représentants et fait pression sur les autres partis républicains pour stopper toute entente avec les démocrates. Mais le parti ne fait consensus ni au sein du GOP ni auprès de l’opinion publique. Selon Marie-Cécile Naves, le Tea Party n’a pas su s’adapter aux changements sociaux des États-Unis et contribue à rendre de plus en plus impopulaire l’ensemble des partis républicains.

La politologue observe que les républicains ne trouvent pas d’entente pour proposer un plan économique qui satisferait tous les partis de droite. Ainsi, les divisions internes au GOP sont fortes concernant la politique fiscale à adopter pour créer de l’emploi. La réduction des impôts est aussi un point de discorde au sein du parti républicain. Selon l’auteure, les désaccords et les « surenchères » (p. 78) du Tea Party sur les coupes budgétaires sont les principales raisons de l’échec des réformes proposées par les républicains. Dans le discours de ces derniers, l’assistanat et la pauvreté sont pointés comme des freins à la croissance économique. Il en est de même de l’écologie, qui mettrait en péril l’essor économique du pays. Néanmoins, Marie- Cécile Naves observe que les grands industriels trouvent intérêt à prendre en compte les changements environnementaux, ce qui incite peu à peu certains conservateurs à nuancer leur discours.

La contestation des droits des femmes par le GOP fait l’objet du quatrième chapitre. Obama prône la parité salariale hommes-femmes et la liberté des femmes à disposer de leur corps en ce qui concerne l’avortement et la contraception (l’Affordable Care Act impose aux entreprises de plus de cinquante salariés d’offrir la possibilité aux femmes de souscrire une assurance participant aux frais de la contraception). Il n’en faut pas plus pour soulever des vagues contestataires du côté des républicains. Pour la droite religieuse, les réformes de l’obamacaremettent à mal le modèle de la famille traditionnelle et ouvrent la porte à toutes sortes de dérives (délinquance, chaos social, crise économique, etc.). Les arguments pro-life (militants pour la vie) diffèrent selon les courants républicains. Pour certains, l’avortement est contraire aux valeurs morales énoncées par la Bible. Pour d’autres, il représente avant tout un coût économique : financé par l’argent public, l’avortement serait un frein à la liberté des entreprises. Mais, pour Marie-Cécile Naves, ces arguments pro-life sont avant tout des stratégies politico-culturelles destinées à maintenir la majorité démographique des Blancs protestants. Néanmoins, les républicains, soucieux de moderniser leur image, n’hésitent pas à mettre en avant des figures féminines. L’auteure souligne ici un paradoxe : des femmes choisies pour représenter le parti défendent les valeurs d’une famille traditionnelle contre l’émancipation des femmes.

La sociologue s’intéresse également aux oppositions des partis républicains en matière d’égalité des droits et de protection des homosexuels. Obama a mis fin à la loi Don’t Ask, Don’t Tell selon laquelle les recrues militaires homosexuelles n’avaient pas le droit de révéler leur penchant sexuel sous peine d’être radiées, en échange de quoi l’armée s’engageait à ne pas les interroger sur le sujet. Pour les opposants, la fin de cette loi menace l’ordre militaire et peut favoriser le prosélytisme. Les mêmes arguments furent utilisés pour maintenir l’exclusion des homosexuels au sein du mouvement des Boy Scouts of America. Le mariage homosexuel fait lui aussi débat et l’homophobie des droites religieuses s’exprime ouvertement. Elle atteint son paroxysme au Texas où le Parti républicain se dit en faveur de la mise en place de « centres de rééducation » des homosexuels.

Derrière ce manque de cohésion des droites et leur opposition frénétique à toute évolution sociale, c’est véritablement la crainte de voir les cultures minoritaires prendre le dessus sur les valeurs pionnières de l’Amérique (celles du WASP) qui imprègne la ligne politique des conservateurs. Cette peur se cristallise autour du rejet de l’immigration. Le parti républicain assume librement son racisme. L’auteure amorce l’idée d’un parallèle avec la droite française mais ne développe que très peu son argumentaire sur le sujet. Les conservateurs sont divisés ; certains comprennent les avantages de rallier les voix des minorités ethniques au parti alors que d’autres veulent au contraire empêcher ces populations de voter. Le racisme se dirige également contre les musulmans. De plus, l’islamophobie du Tea Party et des conservateurs chrétiens et sionistes est de plus en plus visible et ne fait encore une fois pas consensus au sein du GOP.

Marie-Cécile Naves met au jour un Parti républicain pluriel, qui peine à unir ses voix sur des sujets pourtant centraux et à entendre le multiculturalisme actuel de l’Amérique. Bien qu’il soit regrettable que la « convergence de certaines controverses, des deux côtés de l’Atlantique » (p. 16) ne soit pas davantage explicitée, l’ouvrage reste cohérent. La politologue réussit à rendre son œuvre accessible à tout lecteur : son écriture claire et sans grandiloquence est véritablement appréciable. De plus, les nombreux faits d’actualités qui illustrent ses propos permettent de rendre compte de l’atmosphère ambivalente qui règne aux États-Unis. L’effort de recontextualisation est à saluer ».