Avec Trump, le Parti républicain paie ses divisions au prix fort (« The Conversation »)

Chronique parue sur le site de « The Conversation », le 9 mai 2016.

À moins d’une surprise à la Convention de juillet à Cleveland – qui n’est pas à exclure complètement tant cette campagne va de rebondissement en rebondissement – le Parti républicain s’apprête à faire de Donald Trump son candidat à l’élection présidentielle du 8 novembre prochain. Ce scénario, burlesque il y a un an, ne fait plus rire personne aujourd’hui.

L’ascension et le succès fulgurants du milliardaire de l’immobilier et de la télé-réalité, démarrés l’été dernier, sont tout à fait fascinants. Ils témoignent de deux évolutions récentes. La première est la lassitude du cœur de l’électorat conservateur vis-à-vis des élites de Washington. La petite classe moyenne blanche non seulement n’a pas bénéficié autant que promis des fruits de la croissance et de la reprise de l’emploi depuis 2010, mais elle voit aussi le multiculturalisme et la progression des droits des minorités comme une menace de déclassement social et identitaire.

La seconde raison, qui n’est pas sans lien avec la précédente, ce sont les divisions, profondes, du Parti républicain. Elles ne datent pas de cette campagne mais remontent au lendemain de l’élection de Barack Obama, en 2008. L’establishment républicain n’est pas parvenu à trouver de compromis interne sur l’équilibre entre big business et small business, sur les droits des homosexuels, sur l’immigration (notamment économique), sur la politique énergétique, sur la réforme de la santé ou encore sur le déficit budgétaire. En conséquence, aucun candidat de consensus n’a pu être trouvé pour ces primaires. Ted Cruz a abandonné la course parce qu’il savait qu’il n’était pas soutenu par le parti. « C’est Lucifer, c’est un fils de pute », a dit de lui John Boehner, l’ex-Speaker de la Chambre des représentants, qui ne lui a jamais pardonné le shutdown de l’automne 2013. Ultra-conservateur sur les mœurs, Cruz a en effet été pénalisé par son intransigeance passée sur la dette et le déficit fédéraux, alimentée par le Tea Party.

Mais même dans la recherche d’une alternative à Trump, le parti reste paralysé. Impuissant, il a vu, en à peine trois mois, le milliardaire battre un à un ses 16 adversaires déclarés. Trump n’appartient pas historiquement au Parti républicain. Idéologiquement, il est donc libre : si ses positions sur l’homosexualité par exemple, ouvertement progressistes, heurtent les plus conservateurs, sa liberté affichée séduit les électeurs des primaires et des caucus, pour qui il défie avant tout l’establishment… dont il a cruellement besoin désormais !

Unité ou rébellion ?

Quand on leur pose la question de leur soutien à Trump, beaucoup d’élus républicains préfèrent éviter le sujet. Certains, comme Kelly Ayotte, sénatrice du New Hampshire, qui espère une réélection en novembre, disent soutenir Trump mais sans adhérer à son programme. Jeb Bush, candidat battu lors des primaires, a déclaré sur sa page Facebook qu’il se désolidarisait de lui. D’autres, comme Marco Rubio ou Chris Christie, par opportunisme ou réalisme, lui tendent la main. La plupart, à ce stade, se focalisent sur les autres scrutins du 8 novembre – Sénat, Chambre des représentants, gouverneurs, etc.

Le comble serait de perdre le Sénat, renouvelé par tiers. Les républicains, qui n’y ont que neuf sièges d’avance, seront deux fois plus nombreux à remettre leur mandat en jeu que les démocrates. Du côté des groupes d’intérêts et des financeurs traditionnels du Parti républicain, beaucoup sont enclins à regarder du côté d’Hillary Clinton et à se concentrer, eux aussi, sur les élections pour le Congrès. « Priorities USA Action », l’un des super PAC en faveur de Clinton, vise ainsi à cibler les donneurs républicains qui ne veulent pas de Trump. La prétendante démocrate capitalise également sur les relations qu’elle a gardées chez les conservateurs quand elle était aux affaires.

Les leaders du parti, eux, pensent au coup d’après. C’est le cas de Paul Ryan, actuel Speaker de la Chambre des représentants, qui ne se dit « pas prêt » à se mettre au service du milliardaire. De fait, le parti ne s’unira pas derrière Trump. Le néo-conservateur William Kristol, rédacteur en chef de la revue The Weekly Standard, estime que l’hostilité à l’égard de Trump est potentiellement dévastatrice pour le Grand Old Party. Celui-ci fera sans doute bonne figure et serrera les dents jusqu’en novembre. Mais le réveil sera difficile.

Pour éviter l’implosion annoncée, il lui faudra, enfin, faire l’aggiornamentoqu’il aurait dû entamer en 2008. Arrogant, le Parti républicain ? Certainement. Il séduit encore peu au-delà de son électorat traditionnel – caucasien, masculin et âgé de plus de 45 ans. Or la part de ce dernier diminue au profit des minorités ethniques et « raciales ». Le parti a-t-il véritablement pris acte des conséquences que cela implique en termes de vision, de programme, de candidats ?

Pour les élections de mi-mandat de novembre 2014, il avait réussi à neutraliser les candidats Tea Party en les écartant ou en en contrôlant le discours, et à se rassembler. Il a pensé pouvoir faire de même avec Trump, mais il a trop attendu. Et il a eu affaire à plus malin que lui. Trump est le meilleur « boomerang anti-Obama » : quelle Amérique voulons-nous après 8 ans de présidence Obama, demande-t-il ? Le contraire de ce qu’il a fait, de ce qu’il représente.

Trump promet aux « angry white men » – selon l’expression du sociologue Michael Kimmel – une Amérique fermée sur elle-même sur les plans économique, ethnique et religieux. Comme pour conjurer une évolution démographique et sociétale cependant inéluctable. Trump, c’est le storytelling d’une Amérique blanche mythifiée, animée par la peur, la rancœur et le souci de l’« entre soi ». Voilà où mène le fait de donner trop de crédit à l’insécurité culturelle. Puissions-nous nous en inspirer de ce côté-ci de l’Atlantique.

Crédit photo: Gage Skidmore/FlickrCC BY-SA