INTERVIEW pour « Libération » sur Trump, les Républicains et les femmes

954190-000_gp17mLe 9 octobre 2016, j’ai accordé à Olivier Losson, de « Libération », une longue interview sur la question des femmes chez Trump et les Républicains américains.

Pourquoi cette nouvelle révélation fait-elle plus couler d’encre que les autres sorties misogynes, sexistes et «redneck» de Donald Trump ?

Il va très loin dans cet enregistrement pirate : «Quand on est une star, on peut faire tout ce qu’on veut» avec les femmes, y compris «les attraper par la c***». Il se vante ni plus ni moins d’avoir violé des femmes. La presse a été soft sur la façon dont elle en a parlé.

La réaction offusquée de leaders du Parti républicain est-elle opportuniste ou cynique, vu le passif chargé de son candidat en matière d’insultes contre toutes les minorités ?

Il est lâché par des ténors du Grand Old Party qui redoutent de ne pas être réélus au Sénat ou à la Chambre des représentants. Il est en effet très difficile de croire en une soudaine empathie des républicains pour les femmes. Il suffit de se rappeler qu’ils ont refusé de voter une loi sur l’égalité salariale au Congrès. De se souvenir des propos de leaders comme Paul Ryan, le speaker de la Chambre des représentants qui, alors colistier de Mitt Romney lors de la campagne de 2012, s’opposait à l’avortement y compris en cas de viol. Ou encore Mike Pence, le colistier de Trump, gouverneur de l’Indiana et proche de la droite évangélique, qui s’est illustré cette année par le vote d’une loi contre l’avortement hyper-restrictive puisqu’elle interdit l’IVG même en cas d’inceste ou si le fœtus souffre d’anomalie. Le parti a donc surtout peur d’être associé à la vulgarité de Trump. Et que l’électorat le plus conservateur ne se déplace pas le 8 novembre, avec le risque de faire basculer le Sénat, où les républicains n’ont que neuf sièges d’avance.

Trump vante le retour à une Amérique blanche patriarcale. S’il n’est pas la cause mais le révélateur, tout autant que le bénéficiaire d’une crise démocratique, qu’est-ce que raconte son ultime sortie ?

Elle montre que la démocratie américaine, à l’image des autres démocraties occidentales, va mal. Trump est le produit des erreurs du Parti républicain. Il est le résultat de ses innombrables divisions depuis 2008, de sa cécité face aux attentes de la classe populaire et des petites classes moyennes, de son obstination à vouloir baisser les impôts des plus riches quand les plus démunis ne s’en sortent plus, de sa collusion avec Wall Street. Trump a eu une énorme capacité de diagnostic et a vu l’inquiétude monter, comme en France, sur le cosmopolitisme, les droits des minorités, la contestation du patriarcat. Beaucoup n’acceptent pas qu’aux Etats-Unis, les Blancs soient minoritaires d’ici trente ans. A l’image de ce qui se passe en Europe, et notamment en France, la question identitaire dévore les débats. Pour les républicains, comme en Pologne d’ailleurs, durcir au maximum les conditions de l’avortement, c’est l’illusion de pousser les femmes blanches à faire plus d’enfants. Trump a beau être outrancier, il incarne une nouveauté. Qu’importe s’il est paradoxal, en étant protectionniste pour le «petit peuple» et fiscalement très conservateur sur les impôts.

Y a-t-il une culture du viol aux Etats-Unis, à l’image des scandales qui ont éclaté dans les universités, où une partie de la société ne croit pas les victimes de violences sexuelles ?

Comme tous les pays du monde, y compris les pays démocratiques, il y a une minimisation et une sous-estimation du phénomène. La suspicion repose toujours sur les femmes. Le tout, sur fond de culture de la toute-puissance masculine dans les facs, le rôle des fraternités, surtout chez les hommes blancs. Ce qui choque, c’est que le sexisme et la violence contre les femmes ne sont pas générationnels.

Trump a recours à l’image du viol pour décrire les attaques contre son pays. «C’est un viol de notre pays», dit-il pour dénoncer les accords commerciaux. «Ce sont des violeurs», lâche-t-il à l’encontre des Mexicains…

Il est sur la logique raciste du «eux versus nous», comme lorsqu’il dénonce l’islam. Une façon de se dédouaner. Son storytelling est aussi axé sur la virilité, la puissance. Et, de façon symbolique, il veut dénoncer l’affaiblissement de l’Amérique, qu’elle ne devienne pas une «pussy», qu’elle ne «se couche pas» devant les «étrangers». Il promet de transmettre sa puissance virile au pays.

(Photo : Jewel Samad, AFP).