ARTICLE sur « Trump, l’onde de choc populiste » dans « Le Monde »

Article publié dans le Monde le 1/11/16.

5023655_3_3701_le-candidat-republicain-donald-trump-le-31_69bfec7a41dc19d7cede97f11b554592Le trumpisme au-delà de Trump

Le phénomène politique incarné par le magnat de l’immobilier new-yorkais a suscité de nombreux ouvrages comme ceux de Laure Mandeville, Marie-Cécile Naves, Olivier Piton et Corentin Sellin.

« Ecrire un livre sur Trump pourrait s’avérer une entreprise aussi difficile que tirer sur une cible en mouvement. » La formule est de Joshua Mitchell, professeur en théorie politique à la Georgetown University de Washington et figure dans l’ouvrage rédigé par l’ancienne correspondante du Figaro à Washington, Laure Mandeville. Elle revient à la mémoire au terme de la lecture d’une partie des livres qu’a suscités le phénomène politique incarné par le magnat de l’immobilier new-yorkais. Le « mouvement », c’est d’ailleurs ainsi que l’éruptif outsider aime décrire la vague qu’il a suscitée, et qui est bien sûr sans précédent puisque « l’hyperbole créative », ou l’exagération, lui est consubstantielle

Rude épreuve en effet parce que cette histoire ne cesse de s’écrire sous nos yeux et que son protagoniste brouille les pistes. Entré en politique en juin 2015, devenu le candidat officieux du Grand Old Party un an plus tard, Donald Trump a semblé hésiter entre deux registres tout au long de l’été, entre une présidentialisation qui lui aurait valu un soutien massif de l’ensemble du Grand Old Party et une trajectoire plus authentique mais échappant à toute forme de contrôle théorisé par son ancien directeur de campagne Corey Lewandowski : « laisser Trump être Trump ». Ce second choix a produit une séquence d’une violence politique nourrie de complotisme et de mépris pour les règles démocratiques qui pourrait d’ailleurs ne pas s’achever au soir de l’élection, le 8 novembre.

« Qui est vraiment Donald Trump ? », se demande Laure Mandeville et le point d’interrogation a valeur d’avertissement. Personne ne sait véritablement ce qu’a en tête Trump le politique. Et peut-être que lui-même ne sait pas vers quoi sa campagne iconoclaste le conduit. Un « jacksonien », en référence au septième président de la fédération, de par son goût pour les formules musclées et la promesse de mesures expéditives ? Un homme fort peu attiré par l’interventionnisme ? Avec sagesse, la journaliste se garde de conclure. Elle attire, en revanche, avec précision l’attention du lecteur sur les ressorts profonds que le milliardaire a actionnés autant qu’il en a été le produit.

Ils sont économiques et culturels et ils renvoient à la frustration d’une classe sociale, majoritairement blanche, peu éduquée, qui fut par le passé démocrate et qui achève sa bascule dans le camp républicain avec le milliardaire. Le chercheur Corentin Sellin a analysé avec minutie cette working class dans une note éclairante publiée par l’Institut français des relations internationales, en soulignant qu’elle pourrait bien ne pas être assez nombreuse pour consacrer son champion. Selon Laure Mandeville, la dénonciation de l’immigration, centrale dans le discours du milliardaire, a permis d’agglomérer ces électeurs en déshérence et en quête de « protection », et de remettre « à l’ordre du jour l’idée de limites, de frontières et donc de nation ».

Un intuitif brouillon et paresseux

Donald Trump, une voix du peuple contre les élites hédonistes mondialisées et corrompues ? Le tableau est en grande partie trompeur selon Marie-Cécile Naves, qui enseigne la science politique à l’université Paris-Dauphine, car les Etats-Unis sont eux aussi en mouvement. « L’hypothétique déclin identitaire » auquel le milliardaire veut opposer un « rempart » qui commence avec un « mur » sur la frontière avec le Mexique renvoie, selon elle, à la nostalgie d’une Amérique protestante et blanche vouée à devenir minoritaire. Le multiculturalisme est d’autant plus un constat et un défi redoutable pour le Parti républicain, avant et après Donald Trump, qu’il commence avec une jeunesse déjà issue de la diversité pour 48 % des moins de 20 ans, née aux Etats-Unis et donc américaine, estime Marie-Cécile Naves.

Elle ajoute que celui qui se pose en « voix des oubliés » est aussi un héraut ambigu, par « pragmatisme opportuniste », comme le note Laure Mandeville. Un intuitif brouillon et paresseux, peu porté sur les programmes et encore moins sur la réflexion politique, qui peut renouer avec le protectionnisme sans renoncer à l’addiction républicaine pour les baisses d’impôts conformes à la théorie du « ruissellement » dont la vertu suppose que les riches débarrassés de ce fardeau créent naturellement de la richesse par l’investissement pour le profit de tous. Il n’est pas sûr que la working class se retrouve dans ces deux postulats.

Laure Mandeville, comme Marie-Cécile Naves, juge que le « populiste » Trump est un écho américain à une lame de fond qui n’épargne pas l’Europe et c’est précisément ce qui intéresse Olivier Piton, un passionné des Etats-Unis qui siège à l’Assemblée des Français de l’étranger. Que devient l’Amérique à la lueur de cette campagne présidentielle ? « Une Europe comme une autre », répond-il après avoir rédigé l’avis d’obsèques d’un exceptionnalisme américain dont les âges successifs sont rappelés en quelques chapitres enlevés qui débutent par le rappel d’un métissage anglais, français et amérindien.

L’heure n’est plus à l’universalisme que l’Occident avait pu vouloir incarner et transmettre. Partout les valeurs défendues hier sont contestées, note Olivier Piton. Il voit dans la campagne en cours l’extension du domaine du doute à ce pré carré occidental. Et il est convaincu que la « convergence » entre les Etats-Unis et l’Europe, pas seulement à droite, est une mauvaise nouvelle en ce qu’elle témoigne non seulement d’un rétrécissement mais également d’un appauvrissement intellectuel.

Ce pessimisme lui fait envisager une « nouvelle révolution américaine » à laquelle répondent depuis peu les promesses de « fourches » et de « torches » avancées par les plus virulents supporteurs du magnat de l’immobilier en cas de défaite. Elles seront suivies avec curiosité. Le trumpisme, même s’il échappe à son géniteur, n’en a pas fini de tarauder les Etats-Unis.

Qui est vraiment Donald Trump ?, Laure Mandeville, Le Figaro Equateurs, septembre, 192 pages, 14 euros ; Trump, l’onde de choc populiste, Marie-Cécile Naves, FYP éditions, août, 144 pages, 13 euros; La nouvelle révolution américaine, Olivier Piton, Plon, mai, 252 pages, 12 euros; Trump et l’électorat populaire blanc, Corentin Sellin, Potomac Paper, n° 29, septembre 2016. www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/potomac-papers/trump-lelectorat-populaire-blanc