TRIBUNE dans « Le Monde » sur le nouveau pouvoir Trump

Tribune publiée dans lemonde.fr le 17/11/16.

L’influence des contre-pouvoirs citoyens sera déterminante après l’élection de Trump

Grâce à une courte majorité de grands électeurs, et sans remporter le vote populaire, Donald Trump sera investi 45e président des États-Unis en janvier 2017. Le contraste avec Barack Obama est saisissant, tant du point de vue du style que de leurs projets de société respectifs. Trump est bien un boomerang anti-Obama.

Dès l’annonce de son succès, le futur président s’est adressé à la presse et à ses supporters avec une attitude qui a frappé certains observateurs : il paraissait stupéfait d’avoir gagné. Derrière lui, son futur vice-président Mike Pence affichait un grand sourire de satisfaction. Cette image en dit long : le futur vice-président a parfaitement saisi que ce résultat signifiait le retour aux affaires des républicains les plus traditionnels – dont Gingrich, Giuliani et Sessions sont des figures de proue –, des cadors de la finance et du lobbying, et des responsables de médias d’ultra-droite – au premier rang desquels le redoutable Bannon.

Car Trump, qui avait choisi Pence comme colistier pour donner des gages aux conservateurs, ne gouvernera pas seul. Peut-être même qu’il gouvernera peu, laissant à ses conseillers et à son gouvernement la gestion des principaux dossiers pour se concentrer sur les aspects les plus plaisants de sa présidence : les relations publiques, les liens avec les médias, la vie dans la lumière, en continuant de passer le plus de temps possible à New York.

L’avenir nous le dira. Étant donné les personnes pressenties pour être ses collaborateurs – l’équipe de transition, par ailleurs essentiellement composée d’hommes « blancs », en est un indicateur – et la couleur politique du Congrès, l’hypothèse d’une politique très libérale en économie et très conservatrice sur les questions sociétales est la plus plausible. Plusieurs promesses de Trump à son électorat pourraient en faire les frais.

Pétrole de schiste

Sur les relations commerciales avec la Chine, sur l’immigration – le monde des affaires étant favorable à une libéralisation de la législation –, sur le projet de grands travaux infrastructurels financés par des fonds publics, des désaccords entre Trump et le parti républicain sont à prévoir.

D’autres sujets, en revanche, seront selon toute vraisemblance plus consensuels, comme l’environnement et les droits des femmes. Sur le premier point, Mitch McConnell, l’actuel leader de la majorité au Sénat, a demandé au président Trump de revenir rapidement sur le veto qu’Obama avait apposé à la construction du gigantesque oléoduc Keystone. L’exploitation du gaz et du pétrole de schiste devrait repartir de plus belle et les limitations imposées par Obama aux entreprises concernant l’émission de substances polluantes pourraient se réduire à peau de chagrin.

Concernant l’accès à la contraception et à l’avortement, tout laisse penser que la frange ultra-conservatrice qui reprend ses quartiers à Washington va œuvrer pour aller vers davantage de restrictions. Les nombreuses lois adoptées dans les Etats fédérés ces dernières années ont montré la voie, même si certaines ont été jugées inconstitutionnelles. Or le profil attendu des prochains juges susceptibles d’être nommés à la Cour suprême n’est pas une bonne nouvelle pour les femmes, surtout les plus défavorisées.

L’arrêt « Roe versus Wade » de 1973 qui autorise l’avortement est-il en sursis ? Les ultras en rêvent mais on regardera avec attention les mobilisations de la société civile sur ce sujet, comme sur ceux de la lutte contre le racisme et pour les droits des LGBT [lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres]. L’influence des contre-pouvoirs militants et citoyens sera déterminante dans les années qui viennent.

Phénomènes d’obstruction

Par ailleurs, le succès des républicains du 8 novembre ne doit pas faire oublier que le parti républicain demeure lui-même très divisé depuis la victoire d’Obama en 2008, sur une grande partie des sujets de l’agenda. Il faut se rappeler combien ces désaccords ont maintes fois occasionné des blocages institutionnels et législatifs, dont le plus important reste l’épisode du « shutdown » d’octobre 2013. C’est à la minorité Tea Party qu’on doit celui-ci et, sur la gestion du budget fédéral, la fiscalité ou la politique étrangère, rien ne dit qu’une Chambre des représentants majoritairement républicaine soit à l’abri de l’intransigeance de nouveaux courants extrémistes.

Le nouveau Sénat, pour sa part, avec un seul siège d’avance en faveur de la droite, va sans doute endurer des moments de tension sur le vote de certaines lois et procédures d’approbation de personnalités désignées par le Président Trump. La remise en cause ou même l’infléchissement de la réforme de la santé (« Obamacare ») risque, par exemple, d’être fortement mise à mal par la minorité démocrate.

Beaucoup craignent en effet la poursuite de phénomènes d’obstruction (« filibuster ») qui ont tellement œuvré à la défiance des électeurs à l’égard de leurs dirigeants, républicains comme démocrates. Or c’est aussi sur cette défiance que Trump a, ironie du sort, fondé sa popularité.

Pendant sa campagne, il a construit un discours laissant penser qu’il déciderait seul de mesures qui, pour beaucoup, sont impossibles à mettre en œuvre ou qui nécessitent des discussions en commissions et des compromis au Congrès, ce qui peut prendre des mois. Ainsi va la démocratie, pour le meilleur – respect des textes et des procédures – ou pour le pire – immobilisme guidé par les stratégies politiciennes.

Quoi qu’il en soit, Trump va devoir gouverner avec cet establishment qu’il a tellement stigmatisé mais qui, aujourd’hui, se frotte les mains à la perspective de tourner la page de l’Amérique d’Obama.