CONFERENCE sur le genre dans la campagne présidentielle américaine, à l’université Paris-Descartes

Hillary Clinton
Hillary Clinton. Photo prise par Lorie SHaull le 20 mars 2016

Le 22 novembre 2016, à l’invitation du Pr. François de Singly, j’ai donné une conférence à l’université Paris-Descartes sur le thème : « Les élections américaines et le clivage de genre ».

Ma présentation était composée de deux parties. La première portait sur la sociologie électorale du scrutin présidentiel du 8 novembre dernier. La seconde partie était consacrée au genre comme ressort politique des deux candidats, Trump et Clinton.

Sociologie électorale :

La candidate démocrate l’emporte dans le vote populaire de plus de 2 millions de voix, mais pas dans le collège électoral. Les États les plus incertains (les swing states) ont basculé à quelques milliers de voix près en faveur de Trump. On a été trompé par le vote anticipé (plus d’un tiers de votants, pour la première fois). L’électorat démocrate a été 5 fois plus nombreux à s’abstenir que l’électorat républicain. L’une des grandes leçons de cette élection, c’est donc l’abstention record depuis 2000 : 46%. Le genre est-il un marqueur électoral ? Oui, mais moins qu’on aurait pu penser.

Comment les femmes ont-elles voté ? 54 % des femmes (qui ont voté) ont voté Clinton (42% pour Trump). 42 % des hommes ont voté Clinton. 53% des femmes blanches (caucasiennes) ont voté Trump, surtout chez les femmes mariées. La comparaison avec 2012 montre qu’il n’y a pas de réel changement chez les femmes. Chez les hommes, l’écart s’est accru : Barack Obama n’avait que 7 points de retard en 2012 (contre 12 pour Clinton), et il l’emportait même d’un point en 2008. Il faut relever aussi que les femmes n’ont pas voté en plus grand nombre que dans les élections précédentes (en 2016, elles représentent 52% des votants, soit un point de moins qu’en 2012).

En d’autres termes, le fait que Clinton soit une femme soit n’a pas joué en sa faveur, soit a joué en sa défaveur.

Or, dans cette élection, il faut croiser les paramètres de genre, de « race » et de religion. Je renvoie pour cela à l‘article qu’Eric Fassin a posté sur son blog.

Le genre comme ressort politique :

Dans ce domaine, Clinton et Trump sont intéressants chacun de leur côté. La philosophe américaine Nancy Fraser s’était exprimée pendant la campagne pour dire que Clinton n’incarnait qu’un féminisme de classe. Fraser, qui s’intéresse aux croisement entre redistribution et reconnaissance (perspective hégélienne et marxiste à la fois), estime que Clinton représente un féminisme libéral, celui des femmes des classes moyennes et supérieures, qui demandent plus de liberté que celle qu’elles ont déjà conquise il y a au moins une génération, et ne représente ni les femmes des minorités noires et latinas.

Elle s’adresserait donc aux femmes diplômées du supérieur, qui montent dans la hiérarchie professionnelle, pas aux femmes mal payées de la classe populaire. Fraser lui reproche aussi d’être un « faucon », d’être liée aux milieux d’affaires et d’incarner l’establishment. Pour elle, “the kind of feminism that Sanders represents has a better chance of being a feminism for all women, for poor women, for black women, for working-class women and so on, and that is closer to my kind of feminism”. Certes mais Sanders était très gender blind et color blind – du moins au début.

De son côté, Trump a été beaucoup commenté pour ses « petites phrases » sur les femmes. « L’homme blanc en colère » existe-t-il ? Oui, je crois qu’il existe. Mais je ne crois pas que les phrases de Trump soient uniquement de la provocation. Je pense que cette rhétorique faisait partie de sa stratégie : la promesse d’un retour à une Amérique blanche, patriarcale, fermée sur elle-même, et donc mythifiée. Le sexisme et le racisme de Donald Trump n’ont certes pas mobilisé contre lui les femmes et les Hispaniques ; en revanche, ils ont réussi à mobiliser une version sexiste et raciste de l’identité masculine blanche. « En lui conférant une légitimité, le futur président la fait exister politiquement » (Fassin).

Conclusion…

Depuis des années, Donald Trump multiplie les remarques misogynes. Les exemples sont innombrables. Je revoie ici à mon papier sur mon blog dans Libération. Le storytelling de Trump dans cette élection, celui de l’identité, renvoie tout à la fois à la disparition de l’Amérique blanche et à la fragilisation de l’Amérique patriarcale, qui vont de pair.