« Trump, quelle popularité ? », interview pour la Fondation Jean Jaurès

À l’occasion de la tenue de son discours sur l’état de l’Union qui vise à présenter son programme pour l’année en cours, Chloé Morin dresse, pour l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, un état des lieux de la popularité de Donald Trump, suivi d’un entretien avec la sociologue et spécialiste des États-Unis Marie-Cécile Naves. Interview publiée sur le site de la Fondation Jean-Jaurès.

Rarement président si fraîchement entré en fonction aura provoqué autant de polémique. Une majorité (53 %) des Américains serait favorable à ce que le Congrès ouvre une enquête sur les rapports entretenus par Donald Trump et son entourage avec la Russie au cours de la campagne (sondage NBC News/The Wall Street Journal). Plus des trois quarts des Européens ont une mauvaise opinion de Donald Trump ; c’est le cas de 80 % des Français, dont 45 % ont une « très mauvaise » opinion de lui (sondage Odoxa dévoilé au moment de l’investiture du président américain).

Son taux d’approbation dans l’opinion américaine est le plus bas – onze points de moins que la moyenne des autres présidents américains – jamais enregistré à ce stade d’un mandat présidentiel. Un sondage Quinnipac University dévoilé le 22 février 2017 indiquait ainsi que seulement 38 % des Américains approuvaient l’action du président.
Les Américains ne sont pas plus cléments envers son action en faveur de l’emploi, domaine sur lequel Donald Trump affiche un volontarisme très marqué : 43 % approuvent, contre 51 % qui désapprouvent son action dans le domaine (moyenne de sondages réalisée par le Huffington Post).

 Il convient toutefois de relativiser quelque peu ces chiffres, et ce pour deux raisons :

  • tout d’abord, Donald Trump conserve de solides soutiens dans son noyau électoral : dans le cœur de l’électorat républicain, Donald Trump obtient un 88 % d’approbation. C’est plus que Ronald Reagan à la même période dans son cœur d’électorat. Nulle trace de déception, encore moins de rupture de confiance, de ce côté-là.
    C’est parmi les indépendants (30 %) et les Démocrates (8 %) que l’approbation du président des États-Unis s’avère exceptionnellement faible (sondage NBC News/SurveyMonkey). Notons par ailleurs qu’il existe un clivage générationnel très marqué dans les opinions exprimées : 67 % des moins de 30 ans désapprouvent, tandis que 50 % des plus de 65 ans approuvent l’action de Donald Trump. De même, les « blancs » approuvent à 51 %, alors que 76 % des Afro-Américains et 67 % des hispaniques ont une opinion négative.
  • de plus, d’après le site RealClearPolitics, qui aggrège l’ensemble des donnés disponibles, le taux de désapprobation envers Donald Trump au moment de sa prise de fonction atteignait déjà en moyenne 58,5 %. Comment un président peut-il être si impopulaire si peu de temps après le verdict des urnes ? Est-il possible qu’une fois de plus les sondages d’opinion ne réussissent pas à rendre pleinement compte des dynamiques complexes à l’œuvre dans l’opinion américaine ? C’est une possibilité qu’il convient, à tout le moins, de considérer avec attention. Ainsi, certains sondeurs américains avancent l’hypothèse, que semblent valider les focus groups réalisés ces dernières semaines, qu’une part des soutiens de Donald Trump n’ose toujours pas avouer ouvertement leurs opinions. Évidemment, un tel phénomène ne ferait, au mieux, qu’améliorer la cote du président de manière très marginale.

Entretien avec Marie-Cécile Naves :

Est-ce que Donald Trump peut remonter dans l’opinion en se normalisant, ou est-ce qu’il a tout à perdre vu sa « toujours bonne popularité » dans son noyau dur ?

Il est extrêmement difficile de faire des prévisions avec Trump, comme la campagne nous l’a montré. Néanmoins, on peut se livrer à un exercice de prospective. Vu, d’une part, les grandes orientations qu’il est en train de prendre et surtout, d’autre part, qui sont les stratèges, dans son cabinet et au gouvernement, qui ont sa confiance, on peut penser que la « normalisation » de Trump ne se fera pas sur plusieurs sujets comme l’immigration, les droits des femmes et des minorités ou l’environnement. Ce sont des gages qu’il a choisi, depuis des mois, de donner aux ultra-conservateurs.
En revanche, le principe de réalité s’imposera à lui sur tout ce qui relève de la loi (on l’a vu avec le « Muslim Ban ») et de la voie législative : c’est le cas de la réforme de la santé (il sera très difficile d’obtenir un consensus au Congrès), et du vote de certains budgets, comme celui censé financer le mur contre le Mexique.
Est-ce que cela occasionnera une forme de normalisation ? Rien n’est moins sûr. C’est quand il fait du Trump que ses supporters l’aiment le plus. Et il ne cesse de répéter « j’ai gagné » (il déteste l’idée d’avoir obtenu 3 millions de voix de moins que Hillary Clinton), de mépriser ses adversaires, comme pour conjurer les mauvaises opinions à son encontre. Il joue encore la carte du discours incantatoire. Mais c’est quelqu’un qui aime le clivage, qui se nourrit de cela. Je ne vois pas, à ce stade, comment Trump pourrait devenir consensuel.

Est-ce que les Américains peuvent louer quand même son interventionnisme et sa capacité à décider seul et de façon indépendante ? Est-ce qu’il existe des sujets sur lesquels il a pu marquer des points, ou bien chacun reste-t-il campé sur ses positions ?

Il mise sur cette image d’un président qui décide seul mais ce n’est absolument pas le cas dans les faits. Il a autour de lui quelques personnes que je qualifierais de fanatiques : Stephen Bannon (conseiller stratégique), Steve Miller (plume), Jeff Sessions (ministre de la Justice), en particulier, qui sont à l’origine du « Muslim Ban ».
Bannon, par exemple, rêve d’une transformation du parti républicain en parti d’extrême droite et nourrit le mythe d’une société blanche et patriarcale dont le « globalism » (économique, culturel et migratoire) serait l’ennemi. On note que c’est exactement le discours que Marine Le Pen tient en meeting quand elle dit que son ennemi, c’est le « mondialisme ».
On attend de voir comment se traduiront les promesses de Trump sur la construction de grandes infrastructures ou le protectionnisme. Mais en politique étrangère, il change tout le temps d’avis, ce qui est inquiétant.
Sur le plan de la communication, pour l’instant, Trump continue ses tweets vengeurs et ses messages mensongers et accusateurs en conférence de presse. Il donne ainsi le sentiment qu’il s’adresse directement au peuple sans passer par les corps intermédiaires.
Mais les États-Unis sont une démocratie avec des institutions et des contre-pouvoirs. Il pourra toujours les accuser d’être contre lui à chaque fois qu’elles ralentiront ou contrediront son action. Il a pour lui l’avantage d’une économie qui marche bien et d’un chômage faible. Mais sa politique occasionne aussi beaucoup de défiance dans le big business et chez les investisseurs.