INTERVIEW. « Trump fait diversion sur la politique intérieure », pour « Le Parisien »

Interview accordée au "Parisien", le 13 avril 2017.

Syrie : «Trump fait diversion pour masquer ses échecs de politique intérieure»

La succession de revirements de Donald Trump en matière de politique étrangère laisse perplexe. Seule certitude, son imprévisibilité a de l’avenir.

Son élection fut une surprise pour bon nombre d’observateurs. Depuis son arrivée dans le Bureau ovale, sa feuille de route diplomatique l’est tout autant. Donald Trump enchaîne les virages serrés. Six jours ont ainsi suffi pour voir sa gestion du dossier syrien bouleversée. Il assumait s’accommoder du président Bachar al-Assad, le 30 mars. Depuis le 6 avril, jour des frappes punitives américaines en réponse à l’attaque chimique imputée à Damas, ce dernier n’est plus qu’«un boucher». Et par incidence, la Russie un Etat complice.

Cet art de la volte-face n’a paradoxalement rien de surprenant, selon Marie-Cécile Naves, chercheuse à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques. «Avec Trump, on a l’impression que le dernier qui parle a raison. Il faut prévoir l’imprévisible avec lui». Il est un homme de la conjoncture. Et, selon elle, celle-ci se confronte actuellement à deux retentissants désaveux survenus sur le sol américain. «Il fait diversion pour masquer ses échecs de politique intérieure. Ses défaites sur la loi contre l’Obamacare ou sur le Muslim Ban l’ont affaibli. Bientôt sera votée la loi sur le budget fédéral. Autant dire que Trump a besoin de rassembler le camp républicain avec une dose d’interventionnisme».

Si Mark Porter, représentant du Parti républicain en France, n’emploie pas les mêmes mots, il dresse le même constat. Il y a un flou. Seulement, celui-ci serait volontaire, stratégique. «Trump est extrêmement doué pour la communication. Il garde les mêmes méthodes que dans son passé de grand patron». Il le martèle, sa méthode est logique. «Vous voyez, Obama et les autres politiques répètent leurs gammes et ensuite font une performance. Ce sont des musiciens classiques. Trump lui, c’est un jazzman. Il change de calibre en fonction du public». Quid de la part d’improvisation intrinsèque au jazz ? «C’est une improvisation dans le contexte, se défend M. Porter.

«Cacher sa ligne rouge lui permet de négocier»

Le mystère serait un argument de négociation, selon Mark Porter, qui estime que les médias occidentaux caricaturent les décisions diplomatiques de Trump. «Cacher sa ligne rouge lui permet de négocier. Il ne révèle jamais sa stratégie. Il ne veut pas être littéral», ajoute-t-il, sans réussir à définir clairement les principes fondateurs du style Trump.

A la question de savoir si cette reprise en main de la Maison Blanche par les généraux républicains, McCaster et Mattis en tête, et le secrétaire d’Etat Rex Tillerson peut durer, les réponses laissent planer les mêmes divergences. «Il n’y a pas de stratégie à moyen et long-terme dans le Moyen-Orient. On est loin de l’interventionnisme prôné par les néo-conservateurs et de ce qu’on a connu sous George W. Bush, tempère Marie-Cécile Naves. L’impunité d’Assad est remise en cause, la Russie fragilisée mais il n’y a pas d’escalade militaire.»

La bataille d’influence qui agite actuellement Washington, et dont Steve Bannon, le haut conseiller connu pour ses penchants nationalistes et suprémacistes, serait le grand perdant, n’est qu’une invention, poursuit Mark Porter. «D’ailleurs, Trump n’est même pas isolationniste, c’est du n’importe quoi. Ce sont des inventions du New York Times, du Washington Post et des autres grandes entreprises de presse américaines.» Son slogan de campagne, «America First», laissait pourtant peu de place au doute.