Aux États-Unis, les opposants à la lutte contre les discriminations « raciales » ont le vent en poupe

La décision d’abolir le programme DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals), en faveur des immigrés sans papiers arrivés mineurs aux États-Unis avec leurs parents (« Dreamers »), est le dernier épisode du combat de la Maison blanche contre le multiculturalisme (et la lutte anti discriminations). Les politiques d’« affirmative action » dans les universités américaines sont elles aussi menacées par la nouvelle administration.

L’élection de Donald Trump a suscité une vague d’espoir chez les défenseurs des Blancs dits « caucasiens » qui se considèrent dépossédés de leurs droits par les minorités ethniques ou « raciales » dans l’accès à l’emploi, l’éducation, au logement et un grand nombre d’autres ressources publiques et privées. Cette frustration, décrite par les chercheurs Michael Kimmel dans Angry White Men et Arlie Russell Hochschild dans Strangers in their own Land, pour ne citer qu’eux, se manifeste par la certitude – le pays devenant de plus en plus multiculturel et les politiques de lutte contre les inégalités se multipliant – d’avoir perdu non pas un privilège, mais un dû. Les femmes sont également considérées comme ayant « volé » aux hommes blancs des emplois et des places à l’université.

Même s’ils ne résument pas son électorat, Trump a redonné aux « angry white men » fierté et confiance dans l’avenir, un peu comme si le nouveau Président pouvait conjurer une évolution démographique inéluctable, puisque d’ici 30 ans la population des États-Unis sera majoritairement (d’origine) asiatique et hispanique. C’est sur le registre émotionnel de la rancœur, du ressentiment et de la revanche que Trump a construit son storytelling identitaire de campagne et c’est très largement à ces supporters qu’il s’adresse encore aujourd’hui dans ses tweets et ses meetings. Leur soutien lui est précieux.

MAKE AMERICA WHITE AGAIN

Comment traduire politiquement le ressentiment de ces « hommes blancs en colère » ? En refusant de condamner clairement la violence d’extrême droite, comme lors de l’attentat de Charlottesville. Mais aussi en s’attaquant, au moins symboliquement, aux droits de leurs « concurrent(e)s », de leurs « ennemi(e)s », celles et ceux qui menacent leurs droits et du même coup l’identité de l’Amérique blanche patriarcale. C’est un véritable combat contre le « politiquement correct » et contre l’anti-racisme qu’a engagé Trump. Si ce n’est par la loi, les décrets présidentiels sur l’immigration, les nominations de juges ultra-conservateurs, voire la grâce présidentielle – dans le cas du shérif Joe Arpaio – en sont des leviers efficaces. Trump se sert de toutes les possibilités que la Constitution lui accorde.

Et si, comme dans le cas des travel bans, la mesure échoue, pour l’heure, à être appliquée, Trump a beau jeu de dire que le « marigot » de Washington, l’establishment lui mettent des bâtons dans les roues. Récemment, il a annoncé une prochaine limitation de l’immigration légale – une mesure impossible à mettre en pratique selon les spécialistes, les autorités et les grandes entreprises. Il a aussi apporté son soutien aux violences policières. S’y ajoutent des fake news de la Maison blanche sur de prétendues fraudes électorales en défaveur de Trump en novembre dernier dans des comtés à forte proportion d’électeurs africains-américains ou hispaniques – fraudes jamais avérées à ce jour, et pour cause.

Selon les opposants à cet arrêt, il y a une part d’appréciation subjective de l’importance du critère « racial ».

Le nationalisme du Président, attisé – mais non initié – par ceux qui étaient il y a quelques temps encore ses conseillers, Steve Bannon et Sebastian Gorka, ou qui le sont encore comme Steve Miller, a toutes les raisons de donner lieu à d’autres mesures. On se rappelle que Trump avait été en 2011 – avec Arpaio – l’un des principaux artisans du complot sur le certificat de naissance du précédent locataire de la Maison blanche.

LES ATTAQUES SUR L’AFFIRMATIVE ACTION

Après les « Dreamers », la nouvelle cible de l’administration Trump – via le ministère de la Justice qui pourrait en être le bras armé d’autant que le ministre, Jeff Sessions, adhère à ces idées – sera sans doute les politiques d’affirmative action (« discrimination positive ») dans l’emploi et les admissions à l’université. Ces dispositifs nourrissent, depuis leur mise en place dans les années 1960, des fantasmes jamais démentis. L’idée perdure en effet que, à résultats scolaires égaux, voire inférieurs, un Noir ou un Hispanique sera plus facilement accepté qu’un Blanc dans une université ou qu’il ne paiera pas de frais de scolarité, au contraire d’un Blanc. L’argument d’une discrimination inversée, contre les lycéens blancs d’origine européenne s’ajoute à la peur d’une coloration des élites de l’État, et du pays tout entier, peur que l’élection d’Obama a attisée.

En 2016, un sondage du Public Religion Research Institute indiquait que 57% des Blancs américains – 66% parmi les ouvriers blancs – pensaient que la discrimination contre les Blancs aux États-Unis était aussi problématique sur celle visant les Noirs. Ce pourcentage, en progression depuis 20 ans, est par ailleurs encore plus élevé chez les électeurs de Trump. Qu’en est-il de la réalité ? Les étudiants blancs représentent les trois quarts des boursiers de licence dans les universités, alors qu’ils comptent pour 62% des étudiants mais pour la moitié des jeunes de moins de 19 ans aux États-Unis.

Outre que l’affirmative action est interdite dans plusieurs États – Californie, Arizona, Floride, etc. -, parfois suite à un référendum – c’est le cas du Michigan – il est important de rappeler que, selon la décision de la Cour suprême de 2003, intitulée « Grutter vs Bollinger », l’origine « raciale » ou ethnique (mais aussi le sexe) peut jouer un rôle dans les admissions universitaires, mais un rôle limité et pas déterminant. La mixité sociale, ethnique et sexuée est en effet considérée comme un facteur de richesse pour la communauté, obéissant au « compelling state interest » (« intérêt irréfutable de l’État »), que les institutions scolaires doivent encourager en atteignant une « masse critique » d’étudiants issus des minorités. Il est donc entendu que l’université est libre de déterminer si elle a besoin, ou non, de retenir la « race » comme critère d’admission pour parvenir une certaine diversité parmi ses étudiants, à condition que ce soit un paramètre parmi d’autres et qu’elle évalue régulièrement l’efficacité de cette mesure.

Selon les opposants à cet arrêt – y compris au sein de la Cour suprême et ils pourraient bien être majoritaires depuis la nomination de Neil Gorsuch -, il y a une part d’appréciation subjective de l’importance du critère « racial » : à partir de quand parvient-on à cette fameuse masse critique ? Et comment l’atteint-on ? Car les quotas sont inconstitutionnels aux États-Unis. Mais ce principe de masse critique est un gage d’ouverture et de prise de conscience d’inégalités sociales, « raciales » et territoriales persistantes. À condition de ne pas figer les individus dans des identités collectives immuables.

Début août, le ministère de la Justice a annoncé qu’il souhaitait financer, sur les fonds de son département des droits civiques – une provocation ? -, une étude pour évaluer si et combien les universités, par leurs dispositifs d’affirmative action, occasionnaient aujourd’hui des discriminations contre les Asio-Américains – des procédures sont en cours notamment à Harvard, accusée de quotas pénalisant cette « minorité modèle », souvent envisagée comme un bloc uniforme mais qui regroupe des communautés extrêmement diverses dont certaines continuent de bénéficier de l’affirmative action aux États-Unis.

Le New York Times a affirmé qu’il s’agissait plus probablement, pour l’administration Trump, d’étudier de prétendues discriminations contre les Blancs. D’autres observateurs pensent que c’est une première étape pour, ensuite, renforcer les privilèges des étudiants caucasiens. Car ceux qui pourfendent l’existence d’un racisme inversé invoquent parfois le cas des Asio-Américains et l’instrumentalisent pour en réalité parler des Blancs. Le soutien à la méritocratie, chez ces derniers, chute dès qu’on parle des Asio-Américains. En effet, la notion de « mérite » est mise en avant par les défenseurs des droits des Blancs, comme si elle leur était réservée. Michael Kimmel explique ainsi que les « hommes blancs en colère » s’estiment les seuls méritants dans la société américaine, qualité qu’ils dénient aux minorités, confondant mérite et privilège. En Californie, lorsque l’affirmation action a été supprimée et que seuls les résultats scolaires (le fameux « mérite ») ont prévalu, d’une part les admissions d’Hispaniques et de Noirs ont stagné, et ce ne sont pas les Blancs qui en ont bénéficié mais les Asio-Américains.

Comme le note l’universitaire Carol Anderson dans le New York Times, « les politiques de Trump ne visent pas à atténuer le ressentiment blanc, mais à l’attiser. Son agenda n’est pas, fondamentalement, de créer des emplois ou de protéger des dispositifs qui bénéficient à tous, y compris les Blancs ; il est de créer de prétendus ennemis et de les attaquer ». Eux versus Nous. Un classique du populisme d’extrême droite que Trump met à son profit. Sa stratégie est, décidément, de diviser pour mieux régner.

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