La fin du « shutdown » ne met pas un terme aux divisions sur l’immigration

Le 22 janvier, après un long week-end de tractations avec les élus républicains, le chef de la minorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, annonçait que son parti votait en faveur d’une rallonge budgétaire nécessaire au fonctionnement de l’État fédéral. Autrement dit, c’est la fin d’un « shutdown » de presque trois jours. Mais une fin provisoire : les républicains se sont engagés, en contrepartie, à mettre sur pied un projet de réforme de l’immigration d’ici le 8 février. 

Le shutdown, ou blocage de nombreuses institutions fédérales, affectait sur le papier plus de 800 000 agents publics fédéraux. Certains organismes ont marché au ralenti ces deux derniers jours, occasionnant des dépenses pour certaines municipalités pour pallier le fait que les salaires et les frais de fonctionnement ne pouvaient plus être payés par l’État fédéral.

Or, dans la perspective des élections de mi-mandat de novembre prochain, ni les républicains, ni les démocrates n’ont intérêt au très impopulaire shutdown. Le dernier en date, à l’automne 2013, qui avait duré près de trois semaines, avait nettement dégradé l’image de la classe politique auprès de la population. Le « blame game » de ces deniers jours, consistant, pour chaque parti, à accuser l’autre de l’échec des discussions, n’aurait rien changé au discrédit général.

Le compromis, fragile et temporaire, qui a été trouvé suppose de remettre sur la table l’un des sujets les plus épineux de l’agenda. Mitch McConnell, le leader de la majorité républicaine au sénat, a annoncé vouloir avancer dans les prochaines semaines sur une réforme de l’immigration, et plus particulièrement sur la question des « dreamers ». C’est en effet le sujet sur lequel s’est cristallisée l’opposition entre les deux partis, ces derniers jours.

Les « dreamers », qui sont aujourd’hui au nombre de 700 000, sont ces jeunes arrivés clandestinement aux États-Unis avec leurs parents, alors qu’ils étaient mineurs. Obama, via le programme Deferred Action for Childhood Arrivals (DACA), leur avait offert un statut d’exemption, leur permettant de faire des études puis de travailler « légalement ». Ce statut, Trump a récemment annoncé vouloir y mettre un terme et a justement chargé le Congrés de trouver une solution légale d’ici début mars.

TRUMP TENU À L’ÉCART DES DISCUSSIONS

Néanmoins, le président a perdu beaucoup de crédibilité en matière de leadership, d’autant que c’est la première fois qu’un shutdownintervient alors que la Maison blanche, la Chambre des représentants et le Sénat sont aux mains d’un même parti.

Le président a bel et bien été contourné par les congressistes démocrates comme républicains, qui ne lui font pas confance pour mener à bien les négociations. Un comble pour le signataire d’un livre intitulé L’art du deal… D’une part, la « réunion cheeseburgers » de vendredi soir entre Donald Trump et Chuck Schumer, à la Maison blanche, s’est soldée par un échec, après que le président était revenu sur l’accord auquel ils étaient oralement parvenus : oui pour donner un statut légal aux « dreamers », en échange d’un vote des démocrates en faveur de la constrution du mur le long de la frontière avec le Mexique. « Discuter avec Trump, c’est comme discuter avec de la gelée » (sous-entendu, ce n’est pas stable), avait dit Schumer.

D’autre part, Trump a recommandé aux républicains, sur Twitter, de passer outre la règle des 60 voix nécessaires (sur 100) au Sénat et de décider du financement de l’État fédéral à la règle de la majorité simple des 51 voix. Mais les élus – des deux bords – ont refusé de mettre à mal cette règle institutionnelle.

L’immigration est l’un des sujets qui divisent le plus les républicains, depuis de nombreuses années.

Enfin, l’incertitude est totale quant à la position, et même aux convictions de Trump sur l’immigration, et ce, d’autant plus que son entourage lui-même est divisé. La frange « dure », incarnée par le conseiller ethno-nationaliste Steve Miller – survivant de la mouvance Steve Bannon-Sebastian Gorka dans la West wing -, semble toutefois l’emporter. Proche du ministre de la Justice, Jeff Sessions, aux positions lui aussi extrêmes sur l’immigration et le pluralisme ethnique en général, il avait largement œuvré à l’échec d’un accord bipartisan, en 2013 et 2014, au Sénat, sur la réforme de l’immigration. L’expression « shithole countries », attribuée à Trump, a contribué à jeter le trouble pour nombre d’élus républicains qui perçoivent des signaux contradictoires de la part du locataire de la Maison blanche.

En effet, il y a encore quelques mois, Trump parlait, à propos des « dreamers », d’« incredible kids », autrement dit il faisait montre d’une certaine admiration pour ces jeunes gens qui, il est vrai, sont pour la plupart parfaitement insérés socialement. Cependant, ces derniers jours, il a utilisé un ton très différent pour fustiger la position des démocrates en faveur des immigrés clandestins, lesquels menacent selon lui la sécurité des États-Unis.

Il se pourrait néanmoins que Trump, à court terme, penche en faveur d’une prolongation de la protection juridique des « dreamers », la contrepartie étant un durcissement de l’immigration légale (préférence économique stricte, avec le risque de se priver d’une main d’œuvre peu ou pas qualifiée, nécessaire à certains secteurs économiques – agriculture, aide à la personne, etc.) et illégale (quoique déjà très contrôlée).

Contrarié de devoir annuler son week-end à Mar-a-Lago, et surtout chagriné que l’anniversaire de sa prise de fonctions soit gâché par le shutdown, Trump a également regretté, sur Twitter encore, risquer de ne pouvoir se rendre au Forum économique de Davos si la situation ne se débloquait pas.

IMMIGRATION, L’IMPOSSIBLE RÉFORME ?

Mais la fin du shutdown n’est donc que provisoire. Certes, le compromis bipartisan est, sur de nombreux sujets de l’agenda, de plus en plus difficile aux États-Unis, étant donné la polarisation croissante depuis les années 1990 entre les deux partis. Cependant, si les désaccords entre républicains et démocrates ont été beaucoup commentés, si la majorité a énormément insisté sur la « volonté de blocage des institutions » par leurs adversaires, il ne faut pas négliger les fortes dissensions qui perdurent au sein même du camp républicain. L’immigration est l’un des sujets qui divisent le plus le Grand Old Party, et ce, depuis de nombreuses années.

Que contiendra le projet de McConnell ? Bien malin qui peut le dire. La partie sera difficile, d’autant plus que Paul Ryan, le Speaker(républicain) de la Chambre des représentants, a refusé de lier cette dernière à un quelconque accord obtenu au Sénat.

D’un côté, une partie des milieux économiques, les élus modérés, les libertariens et certaines églises chrétiennes souhaitent un assouplissement des textes ; de l’autre, les plus conservateurs militent au contraire pour une restriction drastique des flux migratoires et un contrôle plus strict des frontières. Au sein du parti, ils sont par ailleurs de plus en plus nombreux à admettre qu’ils ne pourront bientôt plus se passer du vote hispanique. Le sénateur Lindsay Graham, parlait, à propos de l’immobilisme de son parti, de « spirale de la mort démographique. »

Dans certains États du sud, l’immigration illégale exaspère une partie de la population qui l’associe à la délinquance ; ces dernières années, des lois locales ont été votées pour limiter considérablement, voire pour criminaliser cette immigration. En Arizona – dont un tiers de la population n’est pas née aux États-Unis —, une législation très stricte a été adoptée en 2010, que la Cour suprême a invalidée dans sa quasi totalité deux ans plus tard. La mesure la plus controversée est toutefois demeurée, autorisant le contrôle au faciès, par la police, d’individus soupçonnés d’être des clandestins. C’est là que le tristement célèbre shériff Arpaio a pu accomplir ses œuvres.

En Alabama, une mesure identique était incluse dans une loi de 2011, laquelle interdisait par ailleurs aux employeurs d’engager des illegals et considérait comme hors-la-loi quiconque les prenait à bord de son véhicule ou les logeait. Professeurs et responsables d’établissements scolaires devaient également référer aux autorités la présence d’étudiants clandestins dans les classes. L’État d’Alabama a fini par retirer cette loi en raison de ses conséquences désastreuses sur l’économie locale : pénurie de main d’œuvre dans les petites entreprises – en particulier agricoles —, perte de marchés, etc.

En janvier 2014, après des mois d’échec sur un projet de loi fédérale, la direction nationale du parti républicain s’était résolue à présenter une déclaration de principe pour une réforme de l’immigration : régularisation sous conditions pour les 11 millions de clandestins vivant aux États-Unis mais sans naturalisation possible, et à condition qu’ils admettent leur « culpabilité », que leurs antécédents (de délinquance éventuelle) soient vérifiés, qu’ils payent des amendes élevées, suivent des cours d’anglais et d’éducation civique, et soient capables de subvenir aux besoins de leur famille sans aide publique.

Cependant, ce court – mais exigeant – texte ne définissait aucune mesure précise et ne proposait aucun calendrier. Son seul but était de gagner du temps. Il n’a à ce jour abouti à rien. Les républicains vont-ils parvenir, dans les prochaines semaines, à mettre sur pied un nouveau projet ? Tout est possible en politique. Mais le pari est risqué.

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