Le sport, chambre d’écho des anti-Trump

Donald Trump entretient avec le monde du sport des relations conflictuelles, inédites en démocratie. Les J.O. d’hiver de Pyeongchang, en Corée du Sud, qui démarrent dans quelques heures, seront-ils le théâtre planétaire d’un militantisme anti-Trump, alors même que le président américain ne semble pas prendre la mesure de la diplomatie sportive ?

Le sport est politique : il se veut porteur de valeurs, est un outil complexe d’un soft power sans cesse en évolution, et fait l’objet de politiques publiques. Par sa puissance médiatique et l’attrait qu’il exerce, il est régulièrement utilisé comme un instrument du pouvoir par les chefs d’État ou de gouvernement. Obama était un fan de basket-ball et avait fait connaître sa play-list idéale (et multiculturelle) pour faire du sport au quotidien. De son côté, Michelle Obama avait promu un programme d’activité physique pour les enfants, notamment issus des classes défavorisées.

La manière dont Trump a investi politiquement le sport est a priori surprenante. Le sport moderne, qui s’est construit en même temps que le capitalisme, en partage les principes de dépassement de soi, de concurrence, de compétition et de performance. Il est aussi un lieu traditionnel de construction de la virilité. Néanmoins, ce n’est pas sur ces aspects que Trump s’y intéresse.

Lui-même dit avoir peu de goût pour l’activité physique ou sportive – qu’il considère comme une perte de temps et d’énergie, voire comme étant mauvaise pour la santé -, et estime qu’il marche suffisamment au quotidien dans les couloirs de la Maison blanche et, le week-end, sur le green de son golf de Floride. Ce qu’on peut assimiler à un mépris du président pour le sport se vérifie également dans son absence d’intérêt pour l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Los Angeles en 2028. Il n’a que très peu commenté l’attribution de cette compétition à la mégalopole californienne – sauf pour s’attribuer en partie cette victoire et pour vanter la grandeur des États-Unis via les médailles d’or remportées par le passé -, en particulier en raison des relations exécrables que la Californie entretient avec Washington depuis l’élection de Trump, par exemple sur les questions d’environnement et d’immigration.

C’est Mike Pence, le vice-président, qui devrait représenter le pays à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver à Pyeongchang, en Corée du Sud, ce vendredi 9 février. Ivanka Trump assisterait de son côté à la cérémonie de clôture. Cette décision est survenue alors que Kim Jong-un a annoncé que sa sœur et conseillère, Kim Yo-jong, serait présente – ce qui ferait d’elle la première membre de la dynastie Kim à se rendre en Corée du Sud -, et surtout bien après que les deux Corée eurent décidé de défiler ensemble et de faire concourir sous un seul drapeau les équipes féminines de hockey des deux pays.

Cela n’a pas empêché la Maison blanche d’annoncer une nouvelle salve de sanctions économiques contre la Corée du Nord et d’affirmer qu’elle ne croyait nullement en un rapprochement avec sa voisine du Sud  à l’occasion de cette compétition… même si plusieurs précédents existent dans l’histoire des J.O. modernes. Pas d’encouragement à une diplomatie de la paix par le sport, côté américain, donc.

Trump méprise-t-il pour autant les sportif.ve.s ? Il semble plutôt craindre leur popularité et a choisi de les instrumentaliser pour consolider son storytelling identitaire et galvaniser sa base.

POUR TRUMP, LES SPORTIFS NOIRS NE PEUVENT PAS INCARNER LA NATION AMÉRICAINE

Largement commentés, les propos injurieux du président à l’égard de plusieurs joueurs (noirs) du Super bowl peuvent avant tout être interprétés comme une tentative de miner leur légitimité dans l’espace public et leur célébrité. En septembre 2017, lors d’un meeting dans l’Alabama, Trump a en effet déclaré : « Faites quitter le terrain à ce fils de pute, maintenant. Il est viré, il est viré ! », à propos du joueur de football de San Francisco, le quarterback Colin Kaepernick. Ce dernier avait posé un genou à terre en 2016 pendant l’hymne national qui est joué juste avant les matchs. La mère adoptive du jouer, Teresa Kaepernick, a répondu directement au président dans un tweet : « Figure-toi que ça fait de moi une pute fière. »

Le geste de Colin Kaepernick – qui est aujourd’hui sans équipe -, imité depuis par d’autres stars du Super bowl, mais aussi du championnat de base-ball, était destiné à protester contre les violences des policiers blancs à l’encontre des Africains-Américains.

Au plus fort de la polémique, l’automne dernier, plus de 100 joueurs se sont agenouillés pendant l’hymne national. D’autres équipes ont choisi de rester dans les vestiaires en attendant le début du match, alors que circulait sur Twitter le hashtag#TakeTheKnee.

Le commissaire du championnat de la National Football League (NFL), Roger Goodell, a regretté dans un communiqué les « commentaires clivants » de Trump, qui « montrent malheureusement un manque de respect pour la NFL. » Le syndicat des footballeurs professionnels a également déploré les propos du président et dit vouloir défendre leur liberté d’expression. La National Basketball Association (NBA) a néanmoins prévu des sanctions contre les basketteurs qui se mettraient à genoux pendant l’hymne, non pas tant pour soutenir Trump que pour éviter de transformer les terrains de sport en lieux d’expression militante.

Irrespect de l’hymne, du drapeau, de la nation… Ce que veut dire Trump, en réalité, c’est que ces sportifs célèbres et adulés, et par ailleurs tous noirs, ne correspondent pas à l’identité américaine, qu’ils ne sont pas dignes de leur pays. Il a renchéri en reprochant au champion de la NBA Steph Curry, noir lui aussi, de refuser de venir à la Maison blanche, après que son équipe d’Oakland avait gagné le championnat, et en lui retirant son invitation.

Kevin Durant, partenaire de Curry, a annoncé lui aussi boycotter cette traditionnelle visite : « Je ne respecte pas la personne qui occupe le poste (de président) en ce moment, je ne suis pas d’accord avec lui, je vais faire entendre ma voix en ne m’y rendant pas », avait-il expliqué. Un autre basketteur célèbre, LeBron James, a défendu Steph Curry contre Trump sur Twitter. Ces sportifs souhaitaient montrer qu’ils n’acceptaient pas l’attitude du président sur les violences racistes de Charlottesville, en août 2017.

Ce qui a frappé, c’est le décalage dans les réactions de Trump, qui refuse de condamner les violences des suprémacistes blancs, arguant même qu’il y a dans leurs rangs des « gens bien », et qu’il insulte publiquement des joueurs noirs qui posent pacifiquement un genou à terre pour dénoncer précisément le racisme et les violences policières. Comment ne pas y voir le message implicite que les racistes anti-Noirs sont plus dignes de faire partie des États-Unis que les Africains-Américains ? Pour Trump, les symboles nationaux que sont l’hymne et le drapeau symbolisent une identité blanche.

Après la finale du Super Bowl, le 5 février dernier – avant laquelle aucun joueur ni dirigeant ne s’est agenouillé -, qui a vu la victoire des Philadelphia Eagles contre les New England Patriots, plusieurs joueurs de Philadelphie ont annoncé ne pas vouloir se rendre à la Maison blanche.

L’un d’entre eux, Torrey Smith, a fait savoir que, selon lui, le president Trump n’est pas « une bonne personne », ajoutant : « vous savez, si je vous disais que j’étais invité à une fête par quelqu’un que je pense sexiste ou qui n’a pas de respect pour les femmes, ou si je vous disais que cette personne a tenu des propos blessants sur un groupe minoritaire et que je ne me sente pas à l’aise avec ça, cette personne ayant aussi qualifié mes camarades et mes amis de ‘fils de pute’, vous comprendriez que je ne veuille pas aller à cette fête. »

Alors que ses prédécesseurs aimaient inviter à la Maison blanche des sportifs et sportives célèbres – comme le disait un ancien conseiller de Bill Clinton, « cela fait des photos sans risque et pouvant rapporter gros » -, Trump fait d’eux un outil de sa guerre culturelle et « raciale ». Partout où il peut créer de la division, il le fait, même dans le sport, secteur le plus susceptible, s’il en est, de transcender les clivages politiques.

Récemment, plusieurs sportifs se sont exprimés pour critiquer les propos attribués à Trump sur les « shithole countries ».

P.K. Subban, défenseur des Predators de Nashville dans la Ligue Nationale de Hockey (LNH), Jozy Altidore, attaquant du Toronto FC en Major League Soccer (MLS), ainsi que l’ex-sprinteur et multiple champion olympique jamaïcain Usain Bolt ont ainsi publié sur Twitter une photo avec ce message : « Three #shithole dudes just living the dream » (« Trois mecs venant d’un trou à merde vivant tout simplement leur rêve »).

Ce n’est pas la première fois que le sport américain est un terrain de revendications égalitaires en général, et anti-racistes en particulier. Il reste, lui-même, empreint de racisme. Certes, comme le rappelle l’historien François Durpaire, le phénomène du stacking, selon lequel on accorde des postes à responsabilité sur le terrain – le quarterback au football ou le meneur au basket – à des joueurs blancs, s’est estompé avec aujourd’hui près d’un quart des quarterbacks en NFL qui sont noirs, mais c’est une évolution très récente. C’est seulement depuis une vingtaine d’années qu’on cesse peu à peu de considérer que « celui qui détient le QI, c’est le Blanc, celui qui détient la vitesse, c’est le Noir. » 

LE LOBBYING DU SPORT POUR L’ÉGALITÉ DES DROITS

Au-delà, l’arène sportive peut être utilisée comme lieu de contestation des injustices qui traversent une société. Le poing levé et ganté de noir de Tommie Smith et de John Carlos aux J.O. de Mexico en 1968 est demeuré dans toutes les mémoires.

Aux États-Unis, ces dernières années, le sport s’est mobilisé pour contester, grâce à une audience nationale et même internationale, plusieurs décisions politiques homophobes. En 2014, le Congrès de l’Arizona a voté une loi permettant aux commerçants de refuser de vendre un bien ou un service à des personnes (présumées) homosexuelles, au nom du premier amendement de la Constitution américaine qui garantit la liberté religieuse. La loi, surnommée « Pas de gâteau de mariage pour les gays », devait réduire la portée d’une autre législation, celle autorisant le mariage entre personnes de même sexe.

Or la NFL a menacé de ne plus organiser, comme prévu, la finale de son championnat à Phoenix, en février 2015. La ligue professionnelle de football américain souhaitait ainsi afficher son soutien à la lutte contre les discriminations. Plusieurs grandes entreprises installées dans l’État sont allées dans le même sens. Le risque, pour l’Arizona, était donc de voir son image dégradée et de perdre emplois, marchés et investissements. Ces menaces ont eu raison de la loi puisque la gouverneure de l’État y a apposé son veto.

En 2015, des projets de loi semblables avaient créé la polémique dans l’Indiana et en Arkansas, et la même opposition avait vu le jour, émanant en particulier de la puissante National Collegiate Athletic Association (NCAA) qui organise les compétitions sportives universitaires, des organisateurs du Final Four masculin — une compétition de basket-ball —, et du monde des affaires. Devant le tollé général, les deux gouverneurs avaient refusé de signer les textes en l’état.

En 2016, en Caroline du Nord, un texte, surnommé « Bathroom bill » et promulgué par le gouverneur républicain de l’époque imposait l’utilisation des toilettes publiques (notamment dans les universités) selon « l’identité sexuelle de naissance ». Elle visait donc explicitement les transgenres. D’autres États fédérés sont ou ont été tentés par des réglementations similaires, mais l’affaire s’est cristallisée en Caroline du Nord.

À l’instar de la NBA, qui a retiré l’organisation du All-Star Game 2017 à Charlotte, la NCAA a relocalisé sept événements initialement prévus en Caroline du Nord, dont les deux premiers tours du tournoi universitaire de basket, ainsi que la finale du tournoi féminin de football universitaire. « Nous croyons dans le fait d’assurer un environnement sûr et respectueux à tous nos événements et nous sommes engagés à fournir la meilleure expérience possible pour les athlètes universitaires, les supporters et toute personne participant à nos championnats », a expliqué Mark Emmert, président de la NCAA. La « Bathroom bill », soutenue implicitement par l’administration Trump a, depuis, été partiellement abrogée.

Le football, le base-ball et, dans une moindre mesure, le basket-ball représentent, aux États-Unis, plus que d’autres disciplines, l’identité sportive du pays. Si le geste de Kaepernick n’est pas populaire dans l’opinion publique américaine en général, notamment parce que le football est surtout regardé par les Blancs, Trump s’est fait de nombreux ennemis dans le monde du sport. Pour sa première apparition en tant que président lors d’une manifestation sportive – c’était pour un match de football universitaire, en janvier dernier, à Atlanta – et alors que les joueurs des deux équipes sont restées dans les vestiaires pendant l’hymne, le président a été tout autant hué qu’applaudi.

Des sportif.ve.s américain.e.s, noir.e.s ou LGBT, manifesteront-ils.elles leur opposition au président Trump à Pyeongchang ? La championne de ski Lindsey Vonn – qui détient un record de 77 victoires en Coupe du monde – a déjà annoncé qu’elle refuserait toute invitation à la Maison blanche après la compétition. Elle l’a expliqué en ces termes : « Je veux représenter mon pays au mieux, je ne pense pas qu’il y a beaucoup de gens dans notre gouvernement qui le font actuellement. »

Si, comme le notait Nicolas Cadène , la règle 50 de la Charte Olympique – notamment -, en référence aux valeurs du sport, interdit toute forme de prosélytisme religieux ou politique pendant une compétition, les moyens de manifester, aux yeux du monde, leur attachement aux principes d’égalité et de respect humain sont nombreux pour les sportifs et les sportives américain.e.s, qui sont aussi des citoyen.ne.s.

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