Tuerie de Parkland : les lycéen.ne.s se mobilisent contre les armes

Une nouvelle étape est-elle en train d’être franchie dans la mobilisation contre le libre port d’armes, aux États-Unis ? Après le massacre dans un lycée de Parkland, en Floride, des lycéen.ne.s et des étudiant.e.s expriment leur colère, ajoutant leur voix aux – déjà nombreuses – mobilisations de la société civile américaine contre le pouvoir en place.

Après la mort de 17 personnes, dont une majorité d’adolescent.e.s, dans le lycée Marjory Stoneman Douglas, à Parkland en Floride, plusieurs manifestations locales se sont organisées. Sous l’impulsion d’un groupe militant, Avaaz, trois grands panneaux, imitant le film « Tree Bilboards », sorti récemment, ont été érigés devant le bureau de Marco Rubio, l’un des deux sénateurs (républicain) de l’État, avec les messages suivants : « Slaughtered in school » (« Abattu à l’école »), « And still no gun control ? » (« Et toujours pas de contrôle des armes ? »), « How come, Marco Rubio ? » (« Comment ça se fait-il, Marco Rubio ? »). Ce dernier a été très laconique dans ses interventions après la fusillade, évitant de parler de contrôles plus stricts des armes à feu et répétant que cela « pourrait arriver n’importe où. »

Le tueur, Nikolas Cruz, 19 ans, a été renvoyé l’année dernière du lycée Marjory Stoneman Douglas. Le jeune homme était suivi psychologiquement pour des problèmes de comportement. Le FBI comme la police locale, alertés plusieurs fois par des proches, semblaient au courant de son intention de tuer des gens, y compris dans un établissement scolaire, mais ne l’ont pas interpellé.

Quoique considéré par les autorités comme un « adulte vulnérable du fait de troubles mentaux », Nicolas Cruz n’a pas eu de difficulté à se procurer légalement un fusil semi-automatique – ce type d’arme est fréquemment impliqué dans les tueries de masse – car en Floride, la législation est particulièrement libérale. Nul contrôle des antécédents pour acheter une arme à feu, nulle régulation des ventes d’armes d’assaut, et même interdiction pour les municipalités de voter des textes restrictifs en la matière. C’est aussi en Floride, à Orlando, qu’a eu lieu, en 2016, l’épouvantable tuerie dans une boîte de nuit qui avait fait une cinquantaine de morts.

LA RÉACTION « INSUPPORTABLE » DU PRÉSIDENT TRUMP ET DES RÉPUBLICAINS

Or les responsables politiques ont, à l’instar de Marco Rubio, peu commenté la tuerie de Parkland. Comme si, finalement, on s’y était habitué. C’est cela aussi que les opposant.e.s au libre port d’armes ne leur pardonnent pas. Quant au président Trump, il a non seulement pointé du doigt les problèmes mentaux du tueur – alors même qu’il a fait voter une loi, dès son arrivée au pouvoir, pour revenir sur une disposition d’Obama limitant la vente d’armes aux malades mentaux -, mais il a par ailleurs laissé entendre que le drame relevait aussi de la responsabilité de la communauté locale, voire des lycéen.ne.s : « les voisins et les camarades de classe savaient » que Cruz « posait un gros problème. » Dimanche, il a ajouté que si le FBI passait moins de temps à enquêter sur « la collusion russe » (qui n’existe pas, selon lui), il aurait peut-être pu empêcher la tuerie… Autrement dit, une responsabilité individuelle, éventuellement collective à l’échelle locale, mais certainement pas structurelle.

Concernant le contrôle des armes, il a simplement fustigé l’inaction des démocrates entre 2008 et 2010, alors qu’ils avaient la majorité au Congrès, due selon lui au fait « qu’ils ne voulaient pas » mettre en place de restriction. Il n’est toujours pas question pour lui de limiter les ventes d’armes à feu dans le pays, ni même d’engager un débat sur le sujet.

En outre, la mise en scène de lui-même, avec son épouse Melania, dans un hôpital aux côtés d’une jeune blessée, de sa famille et du personnel soignant, tout sourire et le pouce levé, était particulièrement indécente.

Trop, c’est trop, pour les militant.e.s, qui protestent notamment contre le pouvoir de la National Riffle Association (NRA), laquelle finance les campagnes électorales et surtout celles des Républicains. Trump n’est pas en reste puisqu’il a lui-même reçu des dizaines de millions de dollars de dons du puissant lobby des armes pour sa campagne.

Alors que, dans les heures et les jours qui suivent les tueries de masse aux États-Unis, l’habitude est plutôt aux rassemblements silencieux dans la prière, la tuerie de Parkland semble marquer une étape avec la politisation immédiate du sujet, de surcroît par les proches des victimes et notamment des jeunes.

Ces dernier.e.s ne souhaitent plus, comme dans d’autres tragédies passées du même ordre, garder le silence. Elles et ils estiment que, face à l’immobilisme de la classe politique, la prise de parole publique est urgente, que ce soit par des interviews, des messages postés sur les réseaux sociaux, voire par la diffusion de vidéos filmées pendant la fusillade à l’intérieur du lycée. L’un des lycéens de Marjory Stoneman Douglas, David Hogg, a même interviewé ses camarades pendant la tuerie.

Certain.e.s se sont directement adressé.e.s au président Trump ou au sénateur de Floride Marco Rubio car leur réaction est jugée « insupportable ». En solidarité, d’autres lycéen.ne.s à travers le pays ont organisé des rassemblements.

Le 17 février, à l’instar de quelques autres de ses camarades, une rescapée de la fusillade, la jeune Emma Gonzales, vêtue de noir, a tenu un discours poignant de dix minutes lors d’un rassemblement devant le tribunal de Fort Lauderdale, en Floride.

Elle a fustigé les provocations de Trump et a souhaité le mettre face à ses responsabilités dans ses liens avec la NRA : « Shame on you ! » (« Honte à vous ! »), et à propos des mots prononcés par le président et les élu.e.s : « I call it B.S » (« Bullshit » – du « foutage de gueule »), a-t-elle scandé à l’adresse des responsables politiques, entre deux sanglots.

Depuis, le président Trump a reçu plusieurs lycéen.ne.s et les parents de jeunes tués à Parkland, et semble privilégier l’option d’armer les enseignants.

Partout, dans le pays, collégien.ne.s et lycéen.ne.s sont entraîné.e.s à faire face à ce type de tragédie. Des protocoles sont en vigueur – dans les salles de classe, un endroit sûr comme par exemple un grand placard fermant à clé, est désigné – mais qui n’empêchent pas complètement les drames.  Le Washington Post a établi, à partir d’archives officielles, que plus de 150 000 collégien.ne.s et lycéen.ne.s d’au moins 170 établissements scolaires aux États-Unis avaient connu une fusillade sur leur campus depuis la tuerie de Columbine en 1999.

Et ce, sans compter les suicides, les accidents et les attentats touchant les jeunes une fois sorti.e.s de l’école et impliquant des armes à feu. Selon une étude récente de l’OMS, relatée par l’American Journal of Medicine, parmi les nations développées, plus de 90 % des enfants de moins de 15 ans tué.e.s par balles vivent aux États-Unis. En moyenne, une vingtaine d’enfants sont abattu.e.s chaque semaine dans le pays, 2016 établissant un record, avec 1637 tués, depuis 2000. L’impact sur les jeunes est dévastateur. Une dizaine d’établissements scolaires ont fermé leurs portes le lendemain de la tuerie de Parkland, après que la police eut identifié la possibilité que le même drame ne se reproduise en leurs murs.

Les États fédérés ont des lois plus ou moins strictes, dont on peut mesurer les effets : dans le Connecticut, après la tuerie dans une école de Sandy Hook, en 2012, une législation stricte sur les armes a été adoptée, avec des résultats concrets sur le nombre de meurtres par balles. Mais le deuxième amendement de la Constitution rend les choses difficiles.

VOCATIONS MILITANTES

Celles et ceux que les médias américains appellent la « mass shooting generation » (« la génération des tueries de masse ») sont né.e.s après Columbine et sont habitué.e.s à parler de ce sujet entre ami.e.s, avec leurs professeur.e.s et avec leurs familles. La présence sur place de chaînes d’information en continu et le web 2.0 facilitent peut-être cette volonté de s’exprimer. La jeune génération, quel que soit le milieu social, a un autre rapport aux médias que ses aîné.e.s. Les lycéen.ne.s de Parkland ont raconté en détail ce qu’elles et ils avaient vécu : l’enclenchement de la procédure d’urgence, les appels à l’aide de leurs camarades en situation de handicap, les bruits terrifiants et ininterprétables, leur angoisse.

Dans l’Amérique des anti-Trump, qui prend chaque jour un peu plus d’ampleur, l’action des jeunes tenant.e.s du #NeverAgain et du #MarchForOurLives est à suivre, assurément.

Ces adolescent.e.s, en raison d’un rapport différent à la religion que leur parents, n’ont que faire des appels à la prière lancés par les républicains (et les démocrates). Elles et ils ne veulent laisser le libre champ ni au personnel politique, dans lequel elles et ils n’ont plus confiance parce qu’il les a « abandonné.e.s », ni aux militant.e.s adultes, mais souhaitent prendre le sujet en mains.

Elles et ils demandent l’interdiction des armes d’assaut au niveau fédéral et la mobilisation électorale de leurs aîné.e.s pour les élections de novembre prochain, afin de battre les élu.e.s qui bénéficient de fonds de la NRA. Une campagne nommée « Never again » a débuté sur Facebook, dont la postérité est incertaine mais qui marque un tournant chez les opposant.e.s au port d’armes. Témoignages et propositions affluent.

VERS UN NOUVEL « ESPACE DISCURSIF » ?

C’est d’une révolte consécutive à un « ras-le-bol » comparable à celui-ci qu’est né, en 2013, le mouvement Black Lives Matter. Parti de vidéos live-twittées et d’un hashtag, il s’est transformé en slogan de ralliement de la jeunesse antiraciste américaine, après l’acquittement de George Zimmerman, le meurtrier de Trayvon Martin, et s’est amplifié à l’été 2014, lors des manifestations de Ferguson, après la mort de Michael Brown, et de celles de New York, suite au décès d’Eric Garner, tous deux victimes de meurtres (de bavures ?) policier.e.s.

Au-delà, Black Lives Matter est devenu une plateforme et un réseau de plusieurs milliers de personnes. Le slogan s’est retrouvé en couverture de Time magazine. La jeunesse « af-am 2.0 » veut, depuis, faire bouger les lignes depuis une mobilisation de la société civile. La victoire de Trump ne l’a pas découragée. La même chose pourrait être dite des Womens’ March et bien sûr de #MeToo.

Comme le note Éric Fassin, « les réseaux sociaux ont soudainement ouvert l’espace public à des voix jusque-là inaudibles. Une véritable politique du hashtag s’est ainsi mise en place au service de ce que la philosophe Nancy Fraser nomme des ‘contre-publics’ », longtemps exclus, dominés ou, pour les lycéen.ne.s de Parkland et d’ailleurs, invisibles et méprisé.e.s par le personnel politique.

Elles et ils sont des « publics alternatifs » qui s’affirment et proposent, bref prennent part à une « logique démocratique de publicisation », élargissant ainsi « l’espace discursif ». C’est ainsi que des « présupposés qui échappaient jusqu’alors à la contestation devront désormais être soumis au débat public. »Dans l’Amérique des anti-Trump, qui prend chaque jour un peu plus d’ampleur, l’action des jeunes tenant.e.s du #NeverAgain et du #MarchForOurLives est à suivre, assurément. À la demande des survivant.e.s de Parkland, une marche est organisée le 24 mars à Washington.

© Photos : Wikimedia Commons, RawStory et captures d’écran de @realDonaldTrump