États-Unis : la diplomatie anti-Obama à son apogée

Dans un article publié sur le site de son journal le 11 juin 2018, le rédacteur en chef de « The Atlantic », Jeffrey Goldberg, explique que le président américain estime ne rien devoir « à personne et surtout pas à ses alliés. » Du G7 à l’Iran en passant par la Corée du Nord, le message de Trump serait, selon le journaliste : « Nous sommes la ‘Fuck Obama’ doctrine. »

Trump ne serait-il finalement pas si difficile à déchiffrer quand il s’agit de diplomatie ? Certes, ce n’est pas un théoricien, il n’appartient à aucune école de pensée, il n’a probablement pas lu d’ouvrage de géopolitique. Cela ne l’empêcherait pas d’avoir, sinon une stratégie de long terme, du moins un projet : casser coûte que coûte l’héritage de son prédécesseur et montrer aux citoyens américains – d’abord – et aux yeux du monde – ensuite – qu’il fera oublier le style, la personnalité et la méthode Obama. Comme l’explique Jeffrey Goldberg, contrairement à son précédesseur, Trump n’a « pas de philosophie », ce qui ne l’empêche pas d’avoir « des idées » pour mettre en scène la « grandeur » de l’Amérique. Et quoi qu’il se passe qui échappe à Trump, celui-ci parvient toujours à imposer sa mise en scène et son interprétation de l’événement.

Apparaître comme l’un des principaux « hommes forts » de la planète a pour but premier de remporter les élections – midterms de novembre, voire présidentielle de 2020. Il s’agit aussi de gagner face à ceux, parmi ses homologues étrangers, qu’il aura choisi de challenger. Or, pour Trump, rien ne serait pire que l’ordre international libéral, les alliances militaires, les accords commerciaux mondiaux, tous forcément « défavorables » aux États-Unis. Prenons le G7 au Canada, les discussions – plus que difficiles – pour renégocier l’Alena, et la décision unilatérale de quitter l’accord sur le nucléaire iranien. Trump n’a rien moins pour projet, explique Jeffrey Goldberg, que de « démanteler l’alliance atlantique ».

« NI AMIS, NI ENNEMIS »

La diplomatie de Trump, ajoute le rédacteur en chef de The Atlantic, se fait aujourd’hui plus concrète que pendant sa première année de présidence. « Pas d’amis, pas d’ennemis » serait un leitmotiv, qui ne consisterait pas en une actualisation de la Realpolitik, mais dans l’idée que les États-Unis ne sont engagés en rien avec personne, surtout pas moralement.

Trump jouerait sur la « déstabilisation permanente » pour mettre les États-Unis au centre du jeu. Cela fonctionne avec l’Europe et le Canada, désarmés et désunis face à la guerre commerciale que Trump leur impose, étape par étape. C’est plus difficile au Moyen-Orient. Nous verrons si cela fonctionne avec l’Asie. Pour l’heure, la Chine est renforcée, notamment sur le plan commercial, par la présidence Trump.

Ses alliés occidentaux sont dans l’incapacité – le refus ? – de lui riposter. Ni seuls, ni, ce qui est plus préoccupant, ensemble. L’Union européenne, fondée sur des bases économiques communes, mais au sein de laquelle les intérêts commerciaux nationaux sont très différents, semble sonnée. « Tenir bon » ou critiquer l’attitude du président américain, comme le font plusieurs dirigeants européens, ne servent pas à grand chose. En matière de rhétorique, Trump est sans limite, ce qui signifie, pour l’heure, qu’il est plus fort.

Autant le credo « seul contre tous » ravit l’électorat de Trump, à cinq mois des élections intermédiaires, autant la paralysie européenne ne redore pas l’image de l’UE auprès des citoyens.

Prenons maintenant le sommet sur le nucléaire nord-coréen, à Singapour. Après des mois d’invectives, de coups d’éclats et de menaces de guerre réciproques, voici le temps des discussions. Kim Jong-un en sort grand gagnant : il a mené le processus nucléaire à son terme dans son pays, obtenu de Trump qu’il participe à ce sommet sans que ce dernier ne lui impose la moindre contrepartie a priori, ne se soumettra pas à la « dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible » dont parlait la diplomatie américaine, et a renforcé dans la région ses liens avec la Chine et la Corée du Nord. Cette rencontre est, pour Kim, synonyme de reconnaissance internationale inespérée. La déclaration d’intention, qui n’est pas véritablement un accord, signée le 12 juin entre les deux hommes, est peu engageante pour Kim.

Or, malgré tout cela, Trump semble avoir plus de respect pour un Kim Jong-un qui le défie, voire qui l’insulte, que pour un.e chef.fe d’État occidental.e qui n’a aucun moyen, ou qui ne veut pas prendre le risque de s’opposer concrètement à lui. « Nous verrons ce qui arrive » « dès les premières minutes », il saura si les négociations avec Kim tourneront à son avantage, avait-il dit. Cela ressemblerait presque à un jeu… S’il ne s’agissait de la prolifération du nucléaire militaire.

UNE OCCASION MANQUÉE POUR L’EUROPE ?

Depuis sa campagne, on sait que Trump est fasciné par les dictateurs. Ces dirigeants qui, comme lui ou comme il aimerait le faire, tapent du poing sur la table, font fi du fonctionnement des institutions, donnent l’impression de décider seuls, et ne s’embarrassent pas de réflexion, d’accords ou même du droit. La doctrine Trump pourrait même être, selon un officiel de la Maison blanche interviewé par Jeffrey Goldberg : « We’re America, Bitch. » Là est la rupture : après le président « qui s’excuse » (Obama, selon les républicains pendant ses huit années de présidence), voilà le président qui ne s’excuse jamais d’être ce qu’il est. La théâtralité ajoute de la peur. De sa stratégie du chaos et du bluff, il ressortira bien quelque chose, tel est le pari.

L’Europe a montré, dans un passé récent, qu’elle pouvait décider collectivement de défendre ses intérêts économiques : l’amende de 2,4 milliards de dollars imposées à Google en 2017 l’illustre. L’attitude et les choix de Trump devraient logiquement être une occasion unique, pour les Européens, d’accroître leur unité. La victoire récente, dans plusieurs pays, de dirigeants nationalistes et eurosceptiques rend néanmoins la tâche encore plus complexe.

Mais autant le credo « seul contre tous » ravit l’électorat de Trump, à cinq mois des élections intermédiaires, autant la paralysie européenne ne redore pas l’image de l’UE auprès des citoyens, à moins d’un an d’élections européennes à haut risque pour les démocrates.

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