Tueries de masse : les masculinistes sont-ils en train de passer à l’attaque ?

Interview pour le magazine "Neon"

Au Texas et à Toronto le mois dernier, une même motivation : tuer des femmes. Sur fond de « crise de la masculinité » et d’évolutions des notions de genre, les frustrés sont-ils en train de prendre les armes ? Propos recueillis par Matthias Chaillot.

Extraits :

La politologue Marie-Cécile Naves a travaillé sur le lien entre mouvements ultraviolents et genre : « Dans son dernier livre, Healing from Hate. How Young Men Get into – and out of – Violent Extremism (Oakland, University of California Press), le sociologue Michael Kimmel rappelle que le point commun des groupes ultraviolents et terroristes – djihadistes, néonazis, Ku Klux Klan, etc. –, est le genre. Or ce dernier n’est presque jamais questionné par les décideurs politiques, les juges et les spécialistes (psychologues, psychiatres, sociologues, anthropologues, etc.) consultés dans les enquêtes et les procès pour terrorisme. Ni dans les médias. Si les terroristes étaient majoritairement des femmes, les actes meurtriers seraient questionnés via le prisme du genre. Mais dans les représentations, le masculin, c’est l’universel, et le féminin, la marge. »

Pour la chercheuse, la masculinité toxique est un enjeu de politique publique, et devrait être prise en compte dans les processus de déradicalisation des djihadistes. Tant que des hommes auront peur de perdre leur place, ils pourront vouloir la reprendre. Et tant qu’ils se croiront empêchés d’exprimer leur malaise, ils utiliseront la violence. « La violence, physique et sexuelle, est considérée comme le seul moyen possible pour exprimer un malaise ou un désir de pouvoir, ajoute Marie-Cécile Naves. Ce malaise résulte d’une impossibilité d’exprimer des émotions négatives, un ressentiment vis-à-vis de changements de société (marche vers l’égalité, place des femmes dans la société, mais aussi multiculturalisme qui remet en cause le « privilège » de l’homme blanc) ou des difficultés sur le plan personnel (emploi, vie amoureuse). »

Ceux qui empoignent un fusil d’assaut pour s’attaquer à une école sont heureusement rares, mais la vraie tuerie, elle, va donc continuer. Au quotidien. Aujourd’hui, en Europe, le féminicide reste la première cause de mortalité des femmes entre 18 et 44 ans.