Ballet : au palais Garnier, l’humanité de demain s’invente dans les ténèbres

Publié le 06 novembre 2013

TRIBUNE publiée dans « Rue 89 », le 6 novembre 2013

rue89-culture-bretagneSaburo Teshigawara présente actuellement au palais Garnier « Darkness is hiding black horses », un ballet créé pour la troupe de l’Opéra de Paris. Le chorégraphe a également imaginé la scénographie, les costumes et la musique – il a en effet composé certains morceaux électroniques.

Teshigawara aime s’aventurer dans l’invisible, dans l’ombre. Comme il le dit lui-même, « les ténèbres sont là où se cache la vie », une vie « fragile », apparaissant et s’exprimant tout d’abord à l’état de « fluide », de « flux ».

Il nous emmène dans les limbes d’une contrée oubliée, hors du temps, dans le refuge des elfes, des fées, des esprits. On s’imagine en Scandinavie, peut-être en Islande, dans un paysage volcanique, quand la nuit dure six mois… Tout est noir, seules des fumées sortent du sol, comme la vapeur de geysers ou le souffle de chevaux invisibles (prisonniers d’un lac de Ladoga souterrain ?) dont on entend, ça et là, le souffle et le galop. « L’obscurité et la vie entrent en contact » et ce contact est incertain, dit le chorégraphe.

Sur scène, deux danseurs, vêtus de noir, une danseuse habillée de blanc ; les costumes rappellent le crin des équidés – mais, s’ils peuvent en incarner l’instinct, la liberté, l’animalité, ces trois personnages ne sont pas les chevaux du titre du ballet. Il s’agit bien d’humains. Parmi eux, qui est homme, qui est femme ? Les mouvements, les rencontres, les frôlements font exploser les référentiels de genre traditionnellement présents dans la danse. En ce sens, « Darkness is hiding black horses » rappelle « Sous apparence », le (sublime) ballet de Marie-Agnès Gillot créé il y a un an à l’Opéra de Paris.

Les âges aussi sont brouillés. Ainsi, l’un des personnages (formidable Nicolas Leriche) bouge dans tous les sens, saute, balance les bras, tout cela de façon apparemment anarchique, tel un enfant goûtant son insouciance, et imitant un cheval sauvage qui court dans un pré.

Les mouvements des danseurs paraissent souvent improvisés. Lors d’un bref passage, chacun adopte une vitesse différente des deux autres : ce triptyque lent/modéré/rapide est particulièrement ingénieux : dans la vie, chaque individu n’avance-t-il pas à son propre rythme, physique comme psychologique ?

Aurélie Dupont (comme toujours, magnifique) symbolise l’indépendance, l’autonomie, la force de caractère. Un personnage prudent mais sûr de lui. Avec des mouvements tantôt mécaniques, tantôt très souples, Jérémie Bélingard campe un cyborg très crédible : un être mi-homme, mi-machine.

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