Charleston : les candidats républicains au pied du mur
Publié le 27 juin 2015A un an et demi de l’élection présidentielle américaine, la question «raciale» est certes pressante pour les démocrates, mais épineuse pour leurs adversaires. Le racisme et les inégalités figureront sur l’agenda des candidats à la présidentielle américaine.
La pression est forte sur les démocrates, mais plus encore sur les républicains, qui sont traditionnellement réticents à aborder ces sujets et qui sont accusés de fermer les yeux sur les déclarations de certains leaders conservateurs, voire de multiplier les politiques hostiles aux Afro-Américains.
Il serait intéressant, presque ironique que Hillary Clinton s’empare davantage de la question « raciale » que Barack Obama. Or, elle évoque depuis des mois les discriminations et les violences dont sont victimes les minorités. A plusieurs reprises, elle a réagi aux meurtres de Noirs par des policiers blancs, notamment après la mort de Michael Brown à Ferguson il y a bientôt un an. Pour elle, l’acte de Dylann Roof, loin d’être un « incident isolé », est la preuve qu’aux Etats-Unis, le racisme institutionnalisé et le fanatisme persistent. Parmi ses concurrents à l’investiture démocrate, Bernie Sanders et Martin O’Malley ont été plus laconiques dans leur dénonciation d’un racisme qui « entache » la nation américaine. Lincoln Chafee, de son côté, ne l’a pas évoqué quand il a dénoncé le massacre sur son compte Twitter.
Quant aux Républicains, ils oscillent majoritairement, dans leurs commentaires sur la tuerie de Charleston, entre la stratégie d’évitement et le déni du racisme. Ils ont pour l’instant surtout commenté les demandes d’interdiction du drapeau de la confédération. Ce dernier, qui représente la résistance sudiste pendant la guerre de sécession, s’est vu approprier par les opposants aux droits civiques dans les années 1960, ainsi que par les mouvements « suprémacistes » blancs. C’est pourquoi de nombreuses associations et personnalités demandent sa disparition. La gouverneure républicaine de l’Etat de Caroline du Sud, Nikki Haley, souhaite aussi qu’il soit retiré mais seul le pouvoir législatif de l’Etat peut le décider. Une provocation pour les familles des victimes. Ironie du sort, la Cour suprême des Etats-Unis vient de rendre un avis défavorable à la représentation du drapeau confédéré sur les plaques d’immatriculation des véhicules… au Texas.
Si Mitt Romney, candidat malheureux face à Barack Obama en 2012, a estimé que ce drapeau devait quitter les espaces publics, car il est « le symbole de la haine raciale », les prétendants actuels à la Maison blanche sont divisés. La partie est délicate, en effet, car ils ne veulent s’aliéner ni l’électorat blanc traditionnel (crucial pour les primaires), ni les minorités ethniques et « raciales », dont aura besoin celui qui sera désigné pour affronter le ou la candidat(e) démocrate. Certes, Jeb Bush, qui a déclaré qu’il ne savait pas si les motivations du tueur étaient véritablement racistes, a conseillé implicitement aux dirigeants de Caroline du Sud de suivre son exemple en Floride, dont il a été gouverneur : le drapeau n’est plus visible que dans un musée. Rand Paul a été plus clair en disant que c’était la seule place possible pour cet emblème de l’esclavage. Mais Ted Cruz, sénateur du Texas, a estimé que, malgré les symboles qu’il véhiculait, le « confederate flag » s’inscrivait dans une histoire commune et que la décision de le faire disparaître n’incombait qu’aux habitants de Caroline du Sud. Pas d’ingérence, donc, car elle est source de divisions, comme l’est l’accusation de racisme à l’encontre de Dylann Roof. Rick Perry, l’ancien gouverneur du Texas, partageait cet avis sur le drapeau, avant de changer d’opinion. Pour ce dernier, les événements de Charleston sont certes un crime « motivé par la haine », mais surtout un accident dû au fait que le jeune tueur prenait des médicaments et/ou de la drogue. Lindsey Graham, sénateur de Caroline du Sud, qui s’était dit hostile à la disparition du drapeau de la confédération, parce qu’il « fait partie de l’identité » des habitants de l’Etat, s’est lui aussi ravisé en demandant sa disparition, car la Caroline du Sud doit « aller de l’avant ». Il avait par ailleurs qualifié Dylann Roof de « gamin drogué », avant de le décrire comme un « racial jihadist », une expression ambiguë qui tend à mettre à distance le racisme structurel de la société américaine. Seuls Scott Walker et Marco Rubio ont parlé d’« acte raciste ».
Mais un scandale les menace : selon des révélations du « Guardian », un groupe suprémaciste blanc, le « Council of Conservative Citizens », a fait don de plusieurs dizaines de milliers de dollars à des candidats républicains en campagne, dont Ted Cruz, Rick Santorum et Rand Paul. Ils ont l’un après l’autre annoncé qu’ils allaient rendre cet argent.
« La race n’existe pas mais elle tue quand même des personnes », écrivait la sociologue Colette Guillaumin en 1972. Pour certains, en effet, l’inégalité des races est un fait et il est inadmissible que des individus appartenant à une « race » qu’ils croient inférieure obtiennent les mêmes droits que les autres, voire accèdent aux plus hautes responsabilités. Dylann Roof, sympathisant des suprémacistes blancs, est de ceux-là : pour lui, les Noirs doivent quitter les Etats-Unis, notamment parce qu’ils violent les femmes blanches. Ce préjugé raciste ancestral, assimilant les Noirs à des sauvages (et qui est à l’origine de très nombreux lynchages et exécutions arbitraires jusque dans les années 1960), fait penser aux mots de Darren Wilson, le policier ayant tiré à 12 reprises sur le jeune Michael Brown, qui n’était pas armé : il avait déclaré : « J’ai eu peur pour ma vie. Je me suis senti comme un garçon de cinq ans qui s’accroche à Hulk Hogan » (le célèbre catcheur). Le stéréotype de l’homme bestial est donc, encore, très racialisé.
A ces tragédies, il faut ajouter, aux Etats-Unis, le creusement des inégalités de revenus entre Noirs et Blancs, un taux de chômage deux fois supérieur chez les Afro-Américains, ainsi que la disparition progressive des mesures d’« affirmative action » dans l’accès aux études supérieures. Par ailleurs, la remise en cause, il y a deux ans, du « Voting Rights Act » de 1965 rend plus difficile l’accès aux bureaux de vote pour des centaines de milliers d’électeurs issus des minorités « raciales » et ethniques. Ceux qui ont porté un Président noir au pouvoir il y a plus de 6 ans ont sous-estimé le poids des conservatismes. Quel sera-t-il en 2016 ?