Annonce de Trump sur Jérusalem : une manière de soigner son électorat
Publié le 08 décembre 2017Le choix du président américain de transférer l’ambassade étasunienne à Jérusalem est notamment motivé par des questions de politique intérieure alors que les élections de mi-mandat auront lieu l’an prochain.
Les nombreuses mises en garde de chefs d’Etat, de diplomates ou de membres de son administration inquiets du risque de voir s’embraser une nouvelle fois le Proche-Orient n’y ont rien fait. Donald Trump a annoncé mercredi la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël et le déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Un geste en forme de rupture avec plusieurs décennies de tradition diplomatique du côté des Etats-Unis.
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Pourquoi le président américain a-t-il pris cette décision fracassante ? Pour Marie-Cécile Naves, politologue spécialiste des Etats-Unis*, ses motivations sont plutôt à chercher outre-Atlantique que du côté du Proche-Orient. « Depuis quelques mois, la question palestinienne n’est pas prioritaire pour une partie des pays arabo-musulmans, rappelle-t-elle néanmoins. Si c’était vraiment un point de non-retour, Trump n’aurait peut-être pas pris cette décision tout de suite. »
Sur le plan intérieur, la situation est toujours aussi délicate pour Donald Trump. A son crédit, il a remporté ces derniers jours quelques succès politiques. Il y a eu par exemple le vote par le Sénat de sa réforme fiscale la semaine dernière. Lundi, la Cour suprême a donné son feu vert au très controversé décret interdisant l’entrée sur le territoire américain aux ressortissants de pays à majorité musulmane.
La promesse tenue de Trump
Sur le front des affaires en revanche, l’étau ne cesse de se resserrer, avec la mise en accusation de Michael Flynn, l’ancien conseiller de Donald Trump, et les soupçons pesant sur son fils Donald Trump Jr et son gendre Jared Kushner. Ce dernier est d’ailleurs chargé de négocier un protocole de processus de paix avec les Palestiniens et a rencontré à plusieurs reprises avec Mohamed Ben Salmane, le prince héritier d’Arabie saoudite.
Sur la défensive, la décision de Trump ferait ainsi office une diversion permettant de détourner pendant un temps l’attention des médias. Dans le même temps, elle lui permet de montrer qu’il est un homme de parole tout « en montrant qu’il tient ses promesses de campagne », note Mokhtar Ben Barka, maître de conférences en civilisation américaine à l’Université de Valenciennes. « C’est une façon de dire : « Moi je fais ce que je dis et je dis ce que je fais », confirme Lauric Henneton, historien spécialiste des questions religieuses aux Etats-Unis**.
Pour Trump, il s’agissait également d’une occasion de se démarquer de ses prédécesseurs à la Maison-Blanche. Que ce soit Bill Clinton, George W. Bush ou Barack Obama, tous avaient choisi de repousser l’application du « Jerusalem Embassy Act », une loi votée à la quasi-unanimité au Congrès en 1995 et prévoyant le déménagement de l’ambassade à Jérusalem. « Ce n’est rien de moins qu’une reconnaissance de la réalité », a expliqué Donald Trump dans son intervention mercredi. « Quand on connaît son rapport avec la réalité, cela paraît un peu curieux », ironise Lauric Henneton.
Un appel du pied à la droite évangélique
Les considérations électoralistes ne sont pas non plus étrangères au choix de Trump. Avec la question de Jérusalem, il entend flatter la droite évangélique qui a grandement contribué à son arrivée à la Maison-Blanche. En novembre 2016, 81 % des Américains blancs dits évangéliques ont voté pour Trump plutôt que pour Clinton. « C’est un électorat très attaché aux mythes fondateurs des Etats-Unis, à l’idée de Terre promise. Ils ont un rapport très messianique des relations internationales en particulier avec Israël même s’ils ne sont pas juifs », explique Marie-Cécile Naves. Pour les fondamentalistes, les « sionistes chrétiens », l’enjeu est plus que politique : il est théologique. « A leurs yeux, l’Etat d’Israël fait partie de la prophétie biblique », souligne Lauric Henneton, et annoncerait le retour de Jésus sur terre.
76 % des Juifs américains ont voté Clinton en 2016
En vue des élections de mi-mandat de l’année prochaine et de la présidentielle de 2020, Trump s’évertue donc à donner des gages aux électeurs qui l’ont porté au pouvoir. En priorité, il y a pour Marie-Cécile Naves « les donateurs du côté des lobbys proches des évangéliques, des gens dont il a besoin pour financer sa propre campagne et des campagnes locales ». Parmi eux figure Sheldon Adelson, l’un des hommes les plus riches des Etats-Unis et un proche du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Tout comme Trump, il a fait fortune dans l’immobilier. « Il y a six mois, Adelson avait exprimé un fort mécontentement quand Trump avait décidé de renouveler la dérogation » concernant le déplacement de l’ambassade américaine, ajoute Lauric Henneton.
La reconnaissance de Jérusalem comme capitale est par contre beaucoup moins populaire parmi les Juifs américains. « Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la plupart d’entre eux sont pour une solution à deux Etats et effrayés par la décision de Donald Trump », note Mokhtar Ben Barka, qui rappelle que 76 % des Juifs américains ont voté pour son adversaire en 2016.
* Auteur de « Donald Trump, la revanche de l’homme blanc » à paraître le 17 janvier aux éditions Textuel
** Auteur de « La Fin du rêve américain » de Lauric Henneton, éditions Odile Jacob.