3 particularités de la relation entre le sport et les Français

Publié le 06 février 2019

Tribune co-signée avec Julian Jappert, DG de Sport et Citoyenneté, et parue dans le « Huff » le 6.02.19Titre original : « La France a besoin d’une politique sportive interministérielle »

Le Baromètre national des pratiques sportives, édité par l’INJEP et le CREDOC, vient de sortir. Présenté comme un « nouvel outil de pilotage » de sa politique par la ministre des Sports, il estime, notamment, que la pratique libre (hors club, hors encadrement et hors équipement sportif dédié) progresse, que l’inactivité physique est très répandue en raison de freins divers, et que des inégalités entre les femmes et les hommes demeurent lorsqu’il s’agit d’activité physique.

Ces constats sont connus depuis longtemps, comme en témoignent de nombreux travaux. Ils sont corroborés par des études européennes récentes, par exemple l’Eurobaromètre, publié tous les quatre ans, et dont l’édition de 2017 (publiée en mars 2018) met en évidence que 46% des Français de 15 ans et plus disent ne jamais faire de sport (la France se situant dans la moyenne européenne), soit une hausse de quatre points par rapport à 2013. Les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ne sont suivies ni par les adultes (et notamment les femmes), ni par les enfants. Or l’absence d’activité physique est le quatrième risque de contracter une maladie non transmissible.

Et comme l’a montré le projet européen PASS (Physical Activité Serving Society), l’inactivité entraîne des coûts économiques de plus de 80 milliards d’euros par an dans les 28 États européens et ce, en calculant uniquement les coûts directs des quatre principales maladies non transmissibles (maladies coronariennes, diabète de type II, cancer du sein, cancer colorectal) et les coûts indirects de l’inactivité liés aux troubles de l’humeur et à l’anxiété.

Ce que l’on sait depuis longtemps, en effet, et qui sera confirmé et détaillé par une nouvelle étude de l’INSERM à paraître, 11 ans après son travail fondateur, c’est que la sédentarité est mauvaise pour la santé (physique et mentale) et qu’une activité physique régulière, modérée ou plus intense, diminue le risque de contracter une maladie et permet de lutter contre la récidive de certaines pathologies chroniques. Il ne suffit donc pas de connaître les pratiques (et les non pratiques) des Françaises et des Français pour guider une politique sportive, encore moins pour « remettre les individus en mouvement ». Sinon la sédentarité n’aurait pas progressé.

Halte à la pensée magique

Le ministère des Sports souhaite atteindre l’objectif de « trois millions de pratiquants supplémentaires d’ici 2024 », la perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris fonctionnant comme une motivation institutionnelle… Magique? Mais on parle ici de licence dans des fédérations, pas d’activité physique au quotidien, ce qui n’est absolument pas la même chose, alors qu’un basculement vient de s’opérer: la pratique libre est aujourd’hui plus répandue que le sport en club. Cet enseignement est fondamental.

Évolution des modes de vie, allongement des trajets domicile-travail, persistance de la charge domestique et parentale pour les femmes, déficit d’espaces publics adaptés, faible prise en compte des enjeux de santé et de bien-être par le sport de la part des employeurs (publics comme privés), accroissement de la place du numérique dans la vie quotidienne (notamment des plus jeunes), toute-puissance de la voiture dans certains territoires… Il faut y ajouter une gouvernance du sport largement perfectible, d’une part parce que ce secteur reste gangrené par un entre soi qui empêche l’apport de nouvelles compétences, et d’autre part parce que la transversalité y est quasi absente (santé, éducation, culture, insertion, solidarité intergénérationnelle, emploi, formation, intérêt pour l’international, etc.).

Le Baromètre national des pratiques sportives estime que « parmi les principaux freins à la pratique, le manque de goût pour le sport arrive en première position, notamment chez ceux qui n’ont jamais pratiqué ». C’est à ces individus qu’il faut avant tout s’adresser. Les messages injonctifs, dont le marketing néolibéral et l’idéologie d’un bonheur normé font leur miel, sont contreproductifs et culpabilisants. Il ne suffit pas de chausser des baskets et de « se motiver » pour mettre un terme à sa sédentarité. Axer sur la « volonté » des gens est une fausse piste et les décideurs publics doivent s’en détourner. L’information sur les bienfaits du sport ne fonctionne qu’auprès de celles et de ceux qui en sont déjà ultra conscients. Ce qu’il faut, ce sont des politiques d’accompagnement adaptées, dont les ressorts principaux sont la transversalité, et donc l’interministérialité, et qui donc doivent s’appuyer sur plusieurs leviers.

Il est tout d’abord urgent de faire travailler ensemble le monde économique, les secteurs de la santé et de l’aide sociale, l’École, l’enseignement supérieur et la recherche pour que l’intelligence collective soit mise au service des politiques sportives transversales, au niveau national, régional, départemental et local. Utiliser le sport comme un vecteur de lien social doit être concret et dépasser les intentions et les discours abstraits.

Associer les employeurs publics et privés, ainsi que les associations de DRH et les agences de recrutement est important. Une étude vient ainsi de montrer que la pratique d’une activité physique ou sportive pendant le temps de travailou sur le temps de travail était particulièrement efficace, à condition là encore de mettre en place des dispositifs adaptés, associant la médecine du travail et les organisations syndicales, et s’appuyant sur le volontariat des employés dans le cadre d’un management global en faveur de la santé, du bien-être et de la sécurité des salariés (qui, rappelons-le, sont des obligations de l’employeur). Le sport au travail n’est pas un gadget, n’en déplaise à certains.

L’aménagement des espaces publics, urbains, périurbains et ruraux pour qu’il soit agréable et sécurisant de marcher, courir, faire du vélo, est indispensable, et pas uniquement dans les métropoles déjà bien dotées en équipements. Le projet PACTE, dans le cadre d’Erasmus Plus, répertorie les bonnes pratiques des « villes actives » européennes.

Il est également aisé de faire reposer sur l’École l’entière responsabilité de la sédentarité croissante des plus jeunes. Si elle remplit largement sa part, la France étant le pays européen où l’on pratique le plus d’heures d’EPS dans la scolarité, et si l’interdisciplinarité a progressé grâce aux Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) et la semaine olympique et paralymique qui en est à sa troisième édition, la formation des professeurs des écoles et le lien avec les clubs sportifs, les associations culturelles, l’aide sociale, ainsi que la sensibilisation des familles doivent sans nul doute être améliorés. Les utilisations du numérique, au service du mouvement et des apprentissages, comme l’a montré un récent colloque co-organisé par Sport et Citoyenneté et le Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI), sont aussi des pistes innovantes.

Évaluer, qualitativement et quantitativement, les retombées de ces politiques

Les outils de diagnostic sont indispensables. Mais c’est aux décideurs de mettre en place les politiques adaptées à toutes et à tous, partout, pour que les activités physiques et sportives intègrent le quotidien des Français, tout au long de la vie. Comme le note Roxana Maracineanu, « les collectivités, qui sont au premier plan, seront les plus à même de nous dire les tendances de leurs territoires ». Par conséquent, si le financement d’équipements sportifs dans les territoires se poursuit, c’est aussi « une mutation vers les équipements qui sont les plus prisés » qui doit s’opérer. Les équipements, mais aussi les dispositifs qui vont avec.

Les décideurs ont par ailleurs tout à gagner à mesurer l’impact quantitatif et qualitatif de leurs politiques. Non pas pour sanctionner mais pour cibler efficacement les publics les plus fragiles, sans rompre avec l’objectif d’universalité. Pour cela, ils doivent s’appuyer sur l’intelligence collective. La recherche universitaire interdisciplinaire, dont le rôle est aussi de diffuser la culture scientifique et technique, d’être au service de l’intérêt général, est en mesure de les doter de tels instruments. L’appel à la recherche participative, avec des citoyens et habitants, est un « plus » incontestable, dans le cadre de protocoles éprouvés. La réflexion gagne à s’appuyer sur l’expertise d’usage (habitants, usagers des services publics et des associations) quant au rôle transversal et citoyen joué par le sport et l’activité physique dans les territoires.

L’enjeu d’acceptabilité sociale des politiques publiques est immense. Le contexte actuel en témoigne. Le sport a l’occasion d’être un secteur exemplaire et à l’avant-garde de la prise de décision démocratique: ne laissons pas passer cette opportunité.