L’avortement dans le monde

Publié le 10 juillet 2024

Le 23 juin 2024, j’étais invitée sur le plateau de l’émission « Le Monde en face », sur France 5, présentée par Mélanie Taravant. Le sujet était l’état des lieux du droit à l’avortement dans le monde et plus particulièrement aux Etats-Unis.

Dans une Amérique plus divisée que jamais, la résistance des défenseurs du droit à l’avortement s’organise dans un contexte de campagne présidentielle et d’un possible retour de Donald Trump au pouvoir. Le sujet est au centre des débats et la question se pose aussi en Europe, les mentalités sont elles entrain d’évoluer, le droit à l’avortement est il menacé ?
Avec moi en plateau :

– Mathilde Viot, coordinatrice de la campagne « Ma voix, Mon choix », Défense du droit d’accès à l’avortement en Europe

– Ludivine Gilli, directrice de l’Observatoire Amérique du Nord – Fondation Jean Jaurès

– Mathilde Saliou, journaliste spécialiste des nouvelles technologies et des réseaux sociaux

Je republie ci-dessous une tribune publiée dans Le Monde, à l’occasion du premier anniversaire de l’arrêt Dobbs de la Cour suprême américaine.

Le 24 juin 2022, par l’arrêt « Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization », dit « Dobbs », la Cour suprême des États-Unis supprimait le droit constitutionnel à l’avortement. L’emblématique arrêt « Roe v. Wade » de 1973 était renversé. Désormais, ce sont aux États fédérés de se prononcer sur ce droit fondamental des femmes à disposer de leur corps. Dans l’Amérique post-« Roe », aujourd’hui, quatorze États (sur cinquante) ont complètement supprimé ce droit et six autres le restreignent radicalement, souvent dès six semaines de grossesse. Le Sud et le Midwest du pays l’ont ainsi largement fait disparaître.

Quant aux « exceptions » en cas de viol, d’inceste ou de danger pour la viabilité du fœtus ou pour la vie des femmes, médecins et associations s’accordent à dire qu’elles ne sont que théoriques. Il faut bien comprendre, en effet, qu’avec les lois anti-avortement, la santé gynécologique des femmes est menacée, et beaucoup risquent la mort, faute de soins. L’approche est profondément genrée puisque l’immense majorité des décideurs locaux qui, depuis un an, sont allés dans le sens d’une interdiction de l’avortement sont des hommes du parti républicain (1300 sur un peu moins de 1600).

Les candidats aux primaires du Grand Old Party en vue de l’élection présidentielle de 2024, de Donald Trump au gouverneur de Floride, Ron DeSantis, en passant par l’ancien Vice-Président Mike Pence, promettent du reste de restreindre davantage ce droit. Car, de l’avis des juristes spécialistes du sujet, comme Mary Ziegler, « Dobbs » n’est pas une fin mais un début. Sous la pression de groupes fanatiques influents, il s’agit par exemple de voter une loi fédérale interdisant totalement l’avortement sur le territoire national.

Le dernier épisode en date, qui n’est pas terminé puisqu’il y a de fortes probabilités qu’il soit in fine tranché par la Cour suprême d’ici quelques mois, est celui de la pilule abortive, utilisée dans plus de la moitié des avortements et dont la prescription a été facilitée ces dernières années. Si la plus haute juridiction du pays en venait à révoquer l’autorisation de mise sur le marché émise par la Food and Drug Administration (FDA), elle irait encore plus loin que « Dobbs ». En outre, mettre un terme aux prérogatives de la FDA sur la pilule abortive ouvrirait la voie à l’interdiction d’autres médicaments qui déplaisent aux extrémistes religieux ou aux complotistes (traitements hormonaux, contraceptifs, vaccins, etc.).

La restriction de l’avortement n’est pas payante électoralement

Le parti républicain s’est fait l’otage d’une base ultra-militante, celle qui vote aux primaires. Certains sont même prêts à livrer une bataille pour la criminalisation de l’avortement, comme en Caroline du Sud où plusieurs élus ont tenté d’en faire un homicide dans la loi. Si cette base n’est absolument pas représentative de l’Amérique, rares sont ceux (et celles) qui, au sein du parti, vont dans le sens de l’opinion publique en faveur du libre choix des femmes. Et ce, alors que l’interdiction de l’avortement n’est absolument pas payante. Aux élections de mi-mandat de novembre 2022, la défense de l’interruption volontaire de grossesse a fortement mobilisé l’électorat, y compris à droite. Il est probable qu’elle demeurera un enjeu très important de la prochaine élection présidentielle, en novembre 2024.

Non seulement le soutien à ce droit est élevé dans le pays puisque les deux tiers des Américaines et Américains y sont favorables, mais il incite de plus en plus de gens à voter. Les enquêtes montrent également que les citoyennes et citoyens considèrent – à juste titre si on lit attentivement l’argumentaire de « Dobbs » – que la disparition de ce droit constitutionnel peut conduire à d’autres restrictions de libertés individuelles (contraception, mariage, droits civiques, etc.). Plusieurs études d’opinion mettent en évidence une augmentation constante de la part des électrices et électeurs qui font de l’avortement leur principal critère de choix aux prochains scrutins, locaux ou nationaux, en particulier (mais pas seulement) chez les femmes, et plus encore chez les jeunes électrices.

Côté démocrate, on a bien compris ce qui se joue, à l’instar de la gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, étoile montante du parti, réélue en novembre en grande partie sur ce thème, et l’on pousse les républicains dans leurs retranchements, en renouvelant le récit sur les libertés fondamentales en Amérique. C’est le cas au niveau fédéral où les démocrates souhaiteraient voir adopter une loi garantissant le droit à la contraception, comme au niveau local où treize États, ainsi que le District de Columbia, disposent déjà de tels textes.

Aboutissement d’une bataille de quarante ans des militants anti-avortement, « Dobbs » a galvanisé le mouvement pro-choice qui avait sous-estimé le pouvoir des opposants aux droits des femmes. La leçon a été retenue.