Invitée des « Enjeux internationaux » sur France Culture, le 4.03.25
Publié le 04 mars 2025Assigné à résidence pour agression sexuelle et trafic d’êtres humains en Roumanie, l’influenceur masculiniste le plus célèbre d’Amérique, Andrew Tate, a pu regagner la Floride en fin de semaine dernière.
Avec
- Marie-Cécile Naves, Politiste, directrice de recherche et directrice de l‘Observatoire « Genre et géopolitique » à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)
Suivi par plus de 10 millions d’abonnés sur X, le réseau social détenu par Elon Musk, ce fervent soutien de Trump bénéficie de la protection d’au moins une partie de l’administration MAGA. Comment les thèses masculinistes d’Andrew Tate résonnent-elles avec le projet de société de Donald Trump ? Que sait-on des liens entre les réseaux masculinistes et le Président américain ?
Des pressions américaines ?
Andrew et Tristan Tate, figures de la « manosphère » accusées de crimes graves en Roumanie, ont été extradés aux États-Unis. Cette décision, intervenue juste avant leur procès, révèle des pressions de l’administration Trump souligne Marie-Cécile Naves. Elle explique : « le Premier ministre roumain nie toute pression américaine, mais personne n’y croit« . Des indices accablants pointent vers une intervention politique, notamment la rencontre entre Richard Grenell, proche de Trump et soutien des Tate, et le ministre roumain des Affaires étrangères. « C’est une diplomatie du gourdin« , analyse Marie-Cécile Naves qui suggère que Washington pourrait avoir utilisé « un chantage sur les droits de douane, des mesures de rétorsion » pour obtenir gain de cause.
Une « manosphère » au service du trumpisme
Au-delà du scandale judiciaire, les frères Tate incarnent un phénomène plus large : la montée en puissance des influenceurs masculinistes, particulièrement actifs auprès des jeunes hommes en quête d’identité. « On appelle ça la manosphère, une nébuleuse de blogs, de forums, de podcasts et d’influenceurs qui se sont constitués petit à petit depuis les années 2000« , explique Marie-Cécile Naves. Ces courants visent une cible précise : « des jeunes hommes qui se sentent exclus, qui pensent que les femmes les ont dépassés dans la société et les études« . Mais plus qu’un simple ressentiment, il s’agit d’une idéologie dangereuse : « C’est une culture profondément misogyne qui, en plus, prône la violence. Si les femmes sont violées, c’est leur faute, il faut les brutaliser, les soumettre« . Une vision qui trouve un écho favorable dans l’écosystème Trump : « Le mouvement MAGA a tout intérêt à alimenter cette manosphère pour qu’elle le soutienne ».
L’affaire Tate illustre une tendance plus large : l’occupation méthodique de tous les canaux médiatiques par les trumpistes ce qui rend leur influence difficile à contrer. « Tous les canaux de communication ont été investis massivement par les trumpistes ces dernières années », constate Marie-Cécile Naves qui déplore que « les démocrates n’aient toujours pas saisi l’importance d’investir ces espaces pour contrer la désinformation« . Cette stratégie s’appuie sur des figures-clés comme Joe Rogan ou Dan Bongino, qui propagent « des théories profondément misogynes et violentes ». Plus inquiétant encore, la présence de personnalités liées aux Tate dans l’entourage de Trump, comme Paul Ingracia, leur ancien avocat, désormais au sein du staff de la Maison-Blanche.