Les services de renseignement du monde entier peuvent-ils faire confiance à Trump ?
Publié le 18 mars 2025
L’alignement, sans fard et régulièrement réaffirmé, de Washington sur les positions et les intérêts de Moscou laisse craindre le pire en matière de sécurité. La question se pose de savoir quoi partager dorénavant avec les Etats-Unis. Et notamment le renseignement. Ma nouvelle chronique dans « Le Nouvel Obs », le 17 mars 2025.
Lorsque les partenaires commerciaux deviennent des ennemis, que le président américain brandit sans cesse la menace de droits de douane à des taux ahurissants (jusqu’à 200 % pour certains produits européens), avant de changer d’avis (parfois plusieurs fois par jour) sous la pression des marchés financiers ou de conglomérats industriels américains qui détestent l’incertitude, la question se pose très sérieusement, pour les alliés traditionnels des Etats-Unis, de savoir s’ils peuvent encore faire confiance à ces derniers.
Quant à l’alignement, sans fard et régulièrement réaffirmé, de Washington sur les positions et les intérêts de Moscou, il laisse craindre le pire en matière de sécurité. Ainsi la rupture, même pour quelques heures, du partage du renseignement entre les Etats-Unis et l’Ukraine a-t-elle mis le monde occidental (Amérique comprise) à la merci des hackers, en particulier russes. La mise en place d’une autonomie stratégique européenne se fonde aussi sur cette hypothèse : s’affranchir du grand allié historique n’est plus seulement une question de matériel et de présence militaires sur le sol du Vieux Continent. C’est, au-delà, un enjeu de survie : toute lacune dans l’accès à l’information stratégique est synonyme de difficulté à anticiper et à déjouer les agressions étrangères, dans lesquelles il faut inclure les attentats.
Renseignement, « Five Eyes » et Aukus
La suppression de Usaid [l’Agence des Etats-Unis pour le Développement international] a déjà beaucoup fragilisé le renseignement américain. Le licenciement, ces derniers jours, des personnels de médias publics opérant en dehors du territoire des Etats-Unis ne peut qu’annoncer de nouveaux trous dans la raquette. La mise en péril des radios Voice of America, Radio Free Asia ou encore Radio Free Europe constitue non seulement une attaque inédite contre la liberté de la presse, mais elle met aussi un coup d’arrêt à l’accès à des informations cruciales, sur le terrain, et facilitera la propagande locale (Chine, Russie, Iran, Birmanie, Corée du Nord, etc.).
Faudra-t-il, pour les pays occidentaux, partager moins de choses avec (l’ancien ?) allié américain en matière de renseignement ? Le problème est qu’un certain nombre d’équipements numériques et de process sont d’ores et déjà mutualisés entre les Etats-Unis et l’Europe, en particulier avec les Britanniques. Le système de sécurité dit « Five Eyes », qui regroupe les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, est-il menacé ? Des rumeurs laissent entendre que les Etats-Unis envisagent d’en exclure le Canada, en raison des différends commerciaux avec Trump et des velléités d’annexion formulées par la Maison-Blanche. Et demain, est-ce la fin du partenariat Aukus, cette coopération militaire tripartite entre le Royaume-Uni, l’Australie et les Etats-Unis sur les sous-marins à propulsion nucléaire, supposée s’étendre au domaine cyber, à l’intelligence artificielle, aux technologies quantiques et aux missiles hypersoniques ?
Visions révisionnistes de l’histoire
Durant son premier mandat, Trump n’était déjà pas un partenaire fiable. On se souvient qu’en 2017, quelques mois après son arrivée au pouvoir, il avait révélé l’identité d’une source sensible de renseignements israéliens à deux hauts responsables russes. Deux ans plus tard, il avait posté sur Twitter [rebaptisé X depuis] la photo, prise par un satellite espion américain, d’un site de tirs de missiles en Iran. Voilà pourquoi la diplomatie et le renseignement contournaient alors souvent leur propre président ou lui cachaient des informations. Sera-ce encore le cas cette fois-ci ? Rien n’est moins sûr. En effet, Trump exige aujourd’hui l’allégeance de l’ensemble de ses fonctionnaires, et tout particulièrement au plus haut niveau. En matière de renseignement et de défense, ces derniers prêtent serment. Désormais, ils sont invités à prendre la porte en cas de désaccord avec la ligne présidentielle, voire sont carrément licenciés.
Convaincus qu’ils se font « arnaquer » par la planète entière, les Etats-Unis sont en train de dilapider, à coups de visions révisionnistes de l’histoire, un ordre mondial qu’ils ont eux-mêmes mis sur pied il y a très précisément quatre-vingts ans. Lorsque Trump clame que l’Union européenne a été créée pour « entuber » les Etats-Unis, il faut se souvenir que c’est très précisément le contraire : l’Europe occidentale s’est construite, avec le soutien direct de Washington, pour garantir la paix et la prospérité. Joseph S. Nye Jr., le chercheur auquel on attribue la paternité du concept de soft power, a récemment dit de Trump : « Il est si obsédé par les resquilleurs [“free riders”] qu’il en a oublié que c’est justement l’intérêt de l’Amérique que de conduire le bus. » La recomposition (rapide) des alliances internationales pourrait bien, sinon, se faire à son détriment.