Aux États-Unis, les femmes incitées à faire moins de recherche et plus d’enfants
Publié le 24 avril 2025La fin des politiques inclusives et l’accent nataliste de l’administration Trump vont toucher particulièrement les femmes dont les conditions d’accès aux soins et à l’emploi sont fragilisées.
Ma nouvelle chronique dans « Le Nouvel Obs », le 24 avril 2025.
Deux actualités sont à mettre en miroir sur la manière dont la présidence Trump 2 envisage le rôle des femmes dans la société. Tout d’abord, la chasse au « wokisme » affiche son véritable but chaque jour davantage : la discrimination liée au genre et à l’origine. Les faits sont quotidiens. Par exemple, les agences fédérales « définancent » des recherches sur le genre, y compris en médecine, et excluent les femmes, les Noirs et les Hispaniques des postes à responsabilité. C’est le cas des National Institutes of Health, comme nous l’apprend le « Washington Post » : un cinquième environ des 200 membres de comités de spécialistes, nommés par leurs pairs comme c’est la règle et produisant une expertise indépendante en matière de recherche biomédicale, ont été licenciés sans explication. Or, les statistiques parlent d’elles-mêmes, puisque parmi les personnes remerciées, 6 % sont des hommes blancs, un quart sont des femmes, et la moitié au total sont des femmes noires ou hispaniques. Un tel turnovern’est pas dans les habitudes de l’agence et n’a rien à voir avec le spoil system qui a cours au plus haut sommet de l’État.
En outre, la Maison-Blanche entend multiplier les dispositifs pour encourager les Américaines à faire davantage d’enfants. Donald Trump, qui s’est proclamé « président de la fertilité », demande un « baby boom ». Toute une palette de mesures est envisagée. Si les coupes se multiplient dans les budgets fédéraux, il semble que des arbitrages en faveur de politiques publiques ouvertement natalistes soient prévus. Des « bonus bébés » – nouvelles allocations pour les mères, quotas dans les bourses étudiantes réservées aux jeunes parents – et des « tutos de cycle menstruel » sont envisagés pour lutter contre les problèmes de fertilité.
« Médaille nationale de la mère de famille »
Certains, au gouvernement, prônent également une nouvelle forme de discrimination positive : le ministre des Transports, Sean Duffy, lui-même père de neuf enfants, propose de financer les politiques de transports publics en priorité dans les zones où les mariages et les naissances sont supérieurs à la moyenne. Sur le plan symbolique, il est aussi dans les tuyaux d’instaurer une « médaille nationale de la mère de famille » pour les femmes qui ont au moins six enfants. Sans surprise, le fardeau du réarmement démographique américain reposera avant tout sur les femmes, et il reste à savoir comment cela s’articulera avec le rejet du multiculturalisme. Pour le dire autrement : comment les politiques seront-elles orientées en faveur des white women ?
Cependant, la coalition nataliste est hétéroclite. Elle regroupe ceux qui, comme Elon Musk, estiment que la civilisation américaine va à sa perte si le taux de natalité ne repart pas à la hausse et ceux qui estiment que l’Amérique va avoir besoin de main-d’œuvre. Mais on y trouve aussi les partisans de la famille traditionnelle qui rejettent la fécondation in vitro : soit parce qu’ils pensent que les embryons congelés sont des êtres humains à naître et qu’il devrait être interdit de les manipuler à des fins médicales, soit parce qu’il n’est pas question que des couples de même sexe ou des femmes seules aient recours à la PMA.
Ramener la femme au foyer
Autre problème posé par la stratégie nataliste : elle risque d’être orthogonale à d’autres politiques publiques menées par la Maison-Blanche. Les baisses, voire les suppressions de dépenses fédérales, menées par le département de l’Efficacité gouvernementale de Musk, priveront des millions de femmes d’un accès à la santé gynécologique, ce qui pénalisera aussi les individus ou les couples engagés dans un parcours pour avoir un enfant et dans un suivi de grossesse. La politique anti-migratoire, quant à elle, aura pour effet de réduire des personnels de soin et de garde d’enfants. Quant au combat mené par le gouvernement contre le télétravail, il pénalisera en tout premier lieu les mères de jeunes enfants. A moins qu’il ne s’agisse de promouvoir la femme au foyer.
Le versant punitif de cet agenda ne devrait pas tarder, avec le retour probable de l’avortement à la Cour suprême dans les prochains mois. Le 2 avril, elle a écouté les arguments du cas « Medina v. Planned Parenthood South Atlantic ». L’État de Caroline du Sud est attaqué en justice pour une décision consistant à empêcher les bénéficiaires de Medicaid (l’assurance-santé des plus modestes) d’accéder à un service de santé lorsqu’il est prodigué dans les cliniques du Planned Parenthood, de crainte qu’il ne s’agisse d’un avortement. Or environ 20 % des femmes en âge de procréer passent par le Planned Parenthood pour se soigner.
L’avortement médicamenteux et la gouvernance de la Food and Drug Administration sont aussi sur le gril, sans oublier le possible déterrage de la Comstock Act de 1873, qui criminalise le commerce et l’envoi par courrier de tout ce qui s’apparente à de la prévention des grossesses ou de l’aide à l’avortement, considérés comme relevant de l’« obscénité » sexuelle. L’appel à cette loi permettrait d’interdire l’interruption volontaire de grossesse au niveau fédéral sans avoir besoin d’en voter de nouvelle.