Trump « s’entend-il toujours bien » avec Poutine ? 

Publié le 28 mai 2025

Durant la campagne, il avait promis d’arrêter le conflit en Ukraine, cette « guerre de Biden » comme il l’appelle, « en vingt-quatre heures ». La situation d’enlisement dans la région exaspère le président américain, qui se pense trahi par son homologue russe mais ne renonce pas à se qualifier de « faiseur de paix ». Où en est la relation entre Trump et Poutine ? Ma chronique dans « Le Nouvel Obs », publiée le 17 mai 2025.

Le 25 mai, après de nouveaux bombardements de civils en Ukraine par l’armée russe, Donald Trump s’est plaint, sur son réseau Truth Social, de l’attitude de Vladimir Poutine, qu’il a qualifié de « fou ». « Poutine tue beaucoup de gens sans raison et je me demande ce qui lui est arrivé », a aussi déclaré le locataire de la Maison-Blanche, ajoutant : « Cela fait longtemps que je le connais. On s’est toujours bien entendus. » Faut-il comprendre que ce n’est plus le cas ?

De fait, depuis les discussions d’Istanbul et le coup de téléphone entre les deux présidents le 19 mai, les offensives russes ont redoublé sur le front. Si Trump dit envisager de nouvelles sanctions contre Moscou, de telles menaces, régulièrement réitérées depuis des mois, ne se concrétisent pas, perdant donc peu à peu leur crédibilité. D’autant qu’elles sont généralement proférées entre deux portes ou au sein d’Air Force One, comme si elles étaient improvisées.

Ces mots d’exaspération à l’égard de Poutine ne sont pas pour autant synonymes de soutien à Volodymyr Zelensky, le président américain n’ayant jamais pardonné à son homologue ukrainien de n’avoir pas interféré en sa faveur en 2019 contre le business de Hunter Biden dans le pays. Surtout, Trump est persuadé que Kiev a essayé de le faire battre par Hillary Clinton en 2016, et il en a gardé une immense rancœur.

L’illusion d’un « deal » économique

Où en est donc la relation entre Trump et Poutine ? C’est l’une des questions que le monde entier se pose. Qu’ont-ils convenu, pendant les « années Mar-a-Lago » ? Tout indique que le président russe continue à faire monter les enchères, remettant en cause l’accord scellé à l’oral, dont on ne connaît bien entendu pas les détails mais qui, si l’on décrypte les petites phrases de Trump, tourne probablement autour de l’ouverture de marchés russes aux entreprises américaines, en échange d’une levée des sanctions, de l’abandon des territoires ukrainiens conquis et, à terme, de la fin de l’engagement militaire et financier des Etats-Unis en faveur de Kiev.

Mais tout cela est conditionné à la signature d’un cessez-le-feu. Or, en ne mettant pas de pression véritable sur le chef du Kremlin, Trump permet d’ores et déjà à Moscou de continuer à affaiblir l’adversaire sur le front, à gagner de nouveaux territoires et donc à s’asseoir en position de force à une éventuelle future table des négociations.

Le président américain, qui assurait mettre fin au conflit « en vingt-quatre heures » durant la campagne, est aujourd’hui excédé par la poursuite de la guerre et ne comprend pas que, du côté de Poutine, l’angle « business » ne suffise pas à se mettre d’accord. Ce prisme économique et commercial, dominant chez Trump en diplomatie, explique pourquoi c’est, depuis son retour à la Maison-Blanche le 20 janvier, le magnat de l’immobilier Steve Witkoff, un proche par ailleurs émissaire spécial au Moyen-Orient, qui représente les Etats-Unis en Russie (parfois dans des discussions directes avec le chef du Kremlin) et non le secrétaire d’Etat, Marco Rubio, ou l’émissaire spécial en Ukraine, Keith Kellogg (que Poutine déteste).

Maîtriser le récit

Trump, vexé de s’être fait berner par Poutine qui a décliné l’opportunité de le rencontrer à Istanbul et a parlé le premier à la presse après leur échange téléphonique du 19 mai, a probablement compris qu’il ne mettrait pas un terme à la guerre. Dès lors, il se concentre sur la signature d’un cessez-le-feu rapide, qu’il pourra illustrer d’une photo avec le président russe. Un tel scénario, qui n’a rien à voir avec la paix durable (Trump en sait quelque chose depuis le conflit gelé dans le Donbass pendant son premier mandat), lui permettrait d’affirmer qu’il était le seul en mesure de provoquer la cessation, même temporaire, des combats.

Le récit « Trump, faiseur de paix » a du plomb dans l’aile, et cependant le président américain continue de le promouvoir, amalgamant de manière stratégique paix et trêve temporaire et préparant l’opinion à un désengagement de son pays en Europe. Poutine, qui doit profiter de la fenêtre de tir de la présidence Trump, pourrait finalement se laisser tenter, ce qui lui donnerait l’opportunité de se réarmer et pourquoi pas d’obtenir une levée des sanctions américaines. Mais il est maître de sa décision. S’il reprenait la guerre par la suite, dans quelques mois ou dans plusieurs années, Trump ne s’en considérerait pas comme responsable et laisserait donc l’Europe, orientale et occidentale, seule face à cette menace. Il pourrait répéter, alors, qu’il a « tout essayé » et qu’il mérite le prix Nobel.

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