L’expertise géopolitique est un atout majeur pour les entreprises
Publié le 12 août 2025Pour anticiper les défis de demain et exercer leur influence, les dirigeantes et dirigeants d’entreprise gagnent à s’appuyer sur les savoirs géopolitiques. Soutenir la production et la diffusion de cette expertise implique de ne plus la considérer comme gratuite. Ma tribune dans Les Echos, parue le 11 août 2025.
L’expertise géopolitique est de plus en plus plébiscitée en dehors du champ de la décision politique stricto sensu : médias généralistes ou spécialisés, entreprises, fondations, administrations, citoyennes et citoyens sont toujours plus soucieux de comprendre le monde et d’en saisir les évolutions de court et de long terme. Partout, les conférences sur l’actualité internationale font salle comble et les émissions de radio, de télévision et sur les réseaux sociaux attirent un public nombreux.
Aucune organisation ne fonctionne en vase clos. C’est particulièrement vrai du monde économique. Ses dirigeantes et dirigeants ne peuvent se passer des savoirs géopolitiques pour élaborer leur stratégie. Le pouvoir, dans une organisation, consiste à maîtriser l’incertitude, disait le sociologue Michel Crozier. Prendre acte de la complexité du monde et s’efforcer de la saisir donnent une boussole qui permet de ne céder ni aux constats faciles et donc souvent spécieux, ni à la panique.
La géopolitique comme sujet d’intérêt
À titre d’exemple, si une certaine « diplomatie du gourdin » est aujourd’hui à la mode dans les relations internationales, elle passera. L’investissement durable (dans la finance, les mobilités, les objets et services de consommation courante, les modes de production, etc.) n’est pas tombé en désuétude simplement parce que le président des Etats-Unis l’a décidé. C’est pourquoi le vide relatif laissé par les entreprises et l’administration américaines dans ces domaines ne demande qu’à être comblé par des redéploiements de capitaux, afin de satisfaire une demande mondiale qui, dans ces domaines porteurs, ne se démentira pas. Quant à la diversité des talents et des parcours, au sein des personnels, ce serait une folie que d’y renoncer. Il est important d’anticiper, de voir loin. Conquête de marchés, management, gouvernance, entretien de la marque : tout est lié.
Il est majeur, lorsqu’on dirige une entreprise, de faire la preuve que l’on n’est pas passif face aux défis technologiques, sociétaux, environnementaux ou sanitaires planétaires.
Mais il y a plus : les responsables économiques doivent faire savoir que la géopolitique est un sujet d’intérêt. Cela renforce leur leadership, c’est un gage d’agilité, une promesse d’innovation. Pour accroître leur influence, améliorer leur image, élargir leur réseau, les patrons gagnent à montrer qu’ils participent de la diffusion et de l’utilisation d’une telle expertise. Il est majeur, lorsqu’on dirige une entreprise, de faire la preuve que l’on n’est pas passif face aux défis technologiques, sociétaux, environnementaux ou sanitaires planétaires, et devant les effets de ces évolutions sur la demande comme sur les aspirations des personnels.
Modèle économique de l’expertise
S’ouvrir à d’autres regards, à une pluralité de disciplines scientifiques, et s’impliquer dans la sphère publique de discussion sont devenus incontournables. Il s’agit donc de nourrir le débat, mais attention, on parle ici du vrai débat, pas du brouhaha polémique qui ne résiste pas à l’examen du réel – sinon il s’agit, au mieux, de bavardages et, au pire, de propagande. Pour le dire autrement, l’expertise géopolitique produite et partagée par de vrais spécialistes est un atout majeur pour les entreprises qui entendent montrer qu’en leur sein, on réfléchit, on crée l’agenda, bref on coconstruit l’avenir.
Les leviers sont multiples : organisation de conférences, formation continue, création de contenus faisant appel à la recherche universitaire sur les questions internationales, embauche de scientifiques (doctorants et docteurs), etc.
Considérer cette expertise à sa juste valeur est alors fondamental. Elle n’est ni un supplément d’âme, ni une « science infuse » gratuite et mobilisable en un claquement de doigts. Dégager des moyens est donc indispensable. Or, les modèles économiques de diffusion des savoirs oublient souvent que la connaissance, la pensée critique, fruits d’années de travail, est une grande richesse collective. Une telle reconnaissance implique d’y consacrer des budgets. Le risque financier est nul. Le retour sur investissement est, lui, potentiellement gigantesque.