Invitée de « Sans préjuger » (France Culture), le 18 octobre 2025
Publié le 20 octobre 2025Le prix Nobel de la paix, il le “méritait », selon ses propres mots. Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump ne cesse de s’imposer en faiseur de paix. Mais derrière les discours, quelle diplomatie s’affirme ? Sa géopolitique : un art du deal ? Nathan Devers en débat avec ses invités dans l’émission intitulée « Trump, la paix n’est-elle qu’un deal ? ») du 18 octobre 2025 sur France Culture.
Avec
- Hakim El Karoui, essayiste et consultant, co-fondateur du « Club du XXIe siècle »
- Gallagher Fenwick, journaliste franco-américain, grand reporter
- Marie-Cécile Naves, politiste, directrice de recherche et directrice de l‘Observatoire « Genre et géopolitique » à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)
À l’en croire, il aurait sept guerres résolues à son actif – et même, huit, se rectifiant lui-même. Donald Trump brandit ses victoires aux quatre coins du monde, et s’affirme comme un faiseur de paix. Ses discours en convainquent plus d’un allant même jusqu’à le désigner comme un bon candidat pour le Nobel de la Paix. En 2016, qui aurait pu prédire que ce milliardaire américain avec sa mèche blonde, venu de la téléréalité, pourrait être désigné comme légitime au Nobel par certains ? D’ailleurs, que signifie le terme de « paix » pour Donald Trump ? Comment expliquer que celui-ci soit si souvent synonyme, dans sa rhétorique, d’une notion qui semble aux antipodes du droit international : le deal ? Nathan Devers en débat – Sans Préjuger – avec l’essayiste Karim El Karoui, le grand-reporter Gallagher Fenwick et la politologue Marie-Cécile Naves.
Le Nobel, à tout Prix
Malgré la course acharnée de Donald Trump pour le prix Nobel de la paix, c’est à María Corina Machado que celui-ci est finalement décerné. Une défaite pour un président américain, qui disait lui-même « mériter » ce Nobel. Toutefois, c’est bien à Trump que la cheffe de l’opposition vénézuélienne dédie son prix. Pour Gallagher Fenwick, cette attribution est davantage le reflet d’un comité « embarrassé par le formidable coup de publicité reçu », de la part de Trump. Il s’agissait plutôt d’attribuer ce prix « sans trop énerver » le président américain.
Cette campagne pour le Nobel, était-ce aussi une bataille contre Barack Obama qui l’a obtenu en 2009 ? « Il est certain que la comparaison avec Obama est majeure – explique Marie-Cécile Naves –, il s’est évertué à essayer de défaire autant que possible son héritage, en particulier en politique étrangère. » Derrière cette quête trumpiste du Nobel, la politologue y voit aussi le reflet d’un homme politique dans un « self-branding » permanent, qui parvient à s’imposer grâce à une rhétorique très performative.
Plan pour Gaza : quelle paix ?
Le 13 octobre 2025, Donald Trump s’est à nouveau auto-désigné comme l’homme « faiseur de paix », à Jérusalem à la Knesset, et au sommet pour la paix à Gaza à Sharm-El-Sheikh en Égypte, devant le slogan « PEACE 2025 ». Ce fut un « jour formidable pour le Moyen-Orient », s’est-il exclamé. Concernant le conflit israélo-palestinien, « il ne s’agit pas d’un accord de paix, mais d’un cessez-le-feu », souligne Hakim El Karoui. Il voit s’affirmer une nouveauté : « l’ego-géopolitique » – c’est-à-dire, une géopolitique où le monde doit tourner autour d’une personne – en l’occurrence, ici Trump. Comme l’analyse l’essayiste, pour montrer sa centralité, le président américain s’adresse aux dictateurs pour faire arrêter les guerres, mais « non pas pour faire la paix, ou pour trouver une solution aux conflits, mais pour que les armes se taisent. » La puissance militaire et financière des États-Unis permet de mener ces négociations, mais ces dernières ne mènent pas à une paix.
Gallagher Fenwick décrit à travers cet épisode un Trump « opportuniste ». Mais pour le grand-reporter, ces autocongratulations sont aussi un miroir tendu vers celles et ceux qui sont autour, et qui n’ont rien fait comme Joe Biden. Si « le crédit qui peut lui être accordé est d’avoir réussi à faire taire les armes », il n’est en revanche qu’un « bricoleur de cessez-le-feu ou un rafistoleur de statu quo. Il est à la diplomatie, ce que la médecine de guerre est à la chirurgie », résume-t-il. Il évoque quelques questions centrales qui restent encore à débattre : le désarmement du Hamas, la stabilisation pour éviter la rupture du cessez-le-feu, etc. Marie-Cécile Naves revient quant à elle sur la similitude avec les Accords d’Abraham. Là aussi, les Palestiniens n’avaient pas été conviés. « Qui va payer la reconstruction de Gaza, qui va assurer les structures diplomatiques ? Quel est le but politique, à part d’installer les amis businessmen de Trump ? », interroge la politologue.
The art of the deal
Pour mieux saisir cette paix selon Trump, il faut sans doute se pencher sur l’un de ses ouvrages, The Art of the Deal, qu’il désigne lui-même comme le meilleur livre de l’humanité, après la Bible. « Ma façon de traiter les affaires est simple et directe. Je vise haut, et puis je n’arrête pas d’augmenter la pression – jusqu’à ce que j’atteigne mon but. […] La pire approche à adopter quand vous voulez conclure un deal est d’avoir l’air d’y tenir à tout prix. Votre interlocuteur sent alors qu’il vous tient et vous êtes mort », explique Trump, dans cet ouvrage. Faut-il voir une continuité entre l’homme d’affaires et le président « négociateur de paix » qu’il est aujourd’hui ?
Le mot « allié » est quasiment absent de la rhétorique trumpiste, souligne Gallagher Fenwick. Et pour cause, dans le monde de Trump, « il y a d’un côté des créditeurs et de l’autre des débiteurs ». Cette dialectique, Volodymyr Zelensky l’a très bien saisie dans ses négociations avec le président américain, pour obtenir des armes. Gallagher Fenwick soulève aussi la question de notre rapport, nous Européens, face à l’auteur de The Art of the Deal : « devons-nous répondre par la négative ? Doit-on passer, à un moment, par un rapport de force ? », questionne-t-il.
Pour Karim El Karoui, cette invitation à un esprit du business remplaçant le langage des diplomates, « c’est l’idée que le business peut remplacer la politique, et peut même le subsumer. C’est la paix par la force. » Selon l’essayiste, les discours d’un Trump faiseur de paix vont « s’effondrer ». « Trump crée beaucoup d’incertitudes, il a une vision impériale – à la fois, pour lui et pour son pays –, mais il n’a pas de stratégie », souligne-t-il. Ce n’est donc pas la Chine, mais l’Europe, l’ennemi numéro un de Trump, selon Karim El Karoui, car le président américain cherche à imposer un « système qui n’est plus du tout démocratique ».