C’est seulement douze jours après qu’il a été intronisé président des Etats-Unis, en avril 1945, que les services américains ont jugé utile de prévenir Harry Truman de l’existence d’un projet en cours, et d’une importance certaine: la préparation de la bombe atomique.
Toujours mortifié par ce manque de coordination à la fin de son second mandat, Harry Truman prend une décision: les candidats à sa succession (Dwight Eisenhower, le républicain, et Adlai Stevenson, le démocrate) seront briefés au sujet de la situation mondiale par les services de renseignement, et ce avant même les élections. Cette tradition, d’abord assurée par la CIA puis par le bureau du directeur de la National Intelligence, n’a jamais été remise en cause…jusqu’à aujourd’hui.
Si le scandale qui éclabousse de longue date Hillary Clinton pour avoir utilisé une boîte mail privée alors qu’elle était secrétaire d’Etat aurait pu revenir sur la table à cette occasion, c’est plutôt le comportement de son concurrent républicain qui inquiète. Le trublion Donald Trump, qui a multiplié les sorties de pistedepuis le début de sa campagne, est-il capable de tenir sa langue et de ne pas révéler, lors d’un meeting ou à la télévision, les éventuels secrets d’Etat dévoilés lors de ses rencontres avec les services américains?
Le comportement de l’incontrôlable Trump pose question
Cette question mérite d’autant plus d’être posée que son premier briefing par les services secrets a déjà eu lieu. Le 17 août, en effet, Donald Trump est allé à cette rencontre, accompagné du général Michael Flynn, ancien directeur de la Defense Intelligence Agency. La réunion a duré deux heures.
En marge de celle-ci, des membres du renseignement américain ont tenu à jouer l’apaisement pour rassurer leur monde, et surtout la presse, comme le relate NBC News. Un officiel a ainsi affirmé que les briefings des candidats n’étaient pas « du niveau des briefings quotidiennement délivrés au président » et qu’il ne s’agissait que de donner l’opinion des agences américaines sur les grands événements mondiaux, et non d’évoquer des secrets nucléaires ou des opérations en cours.
Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Iris et spécialiste des Etats-Unis, explique cependant à BFMTV.com que l’administration joue un jeu dangereux à travers ces rencontres: « On a toutes les raisons de craindre beaucoup de choses de sa part, car il donne l’impression d’être incontrôlable. Il a beaucoup joué sur son côté irresponsable durant sa campagne. Pourquoi serait-il plus responsable avec les institutions? »
Une opportunité pour l’ambassadeur de l’anti-establishment
Pour la politologue, c’est même le positionnement politique de Donald Trump qui est en jeu à cette occasion: « Il a bâti toute sa campagne sur l’anti-establishment, or les services de renseignements font partie du système. Et d’ailleurs, comme il constate que la victoire paraît difficile, il prépare déjà l’argument selon lequel l’ensemble du système s’est opposé à lui ».
Une rancune qui pourrait l’amener à des indiscrétions quant à la teneur de ses entretiens avec les services de renseignement? « On n’a pas de repère là-dessus, mais on peut penser que pour ne pas s’exposer à des poursuites, il sera quand même prudent. Cependant, c’est un homme qui fonctionne beaucoup par allusions. Même s’il ne révèle pas de vérité ultra-secrète, il peut très bien tenir des propos de nature à semer le doute dans l’esprit de l’électorat », ajoute Marie-Cécile Naves.
Brûlures d’estomac et manque d’intérêt
Un autre sujet inquiète les observateurs américains au point de donner des « brûlures d’estomac » à Adam Schiff, représentant démocrate de Californie et spécialiste du renseignement: le discours de rapprochement de Trump avec la Russie, et les soupçons de corruption par l’ancien pouvoir pro-russe ukrainien pesant sur son directeur de campagne, Paul Manafort. Le jour de son premier rendez-vous avec les renseignements, Donald Trump a cependant décidé de conserver Paul Manafort au sein de son équipe…tout en mettant son rôle en sourdine en engageant Stephen Bannon.
Difficile de savoir s’il s’agit là d’un geste de bonne volonté à l’égard des institutions et des médias. Ce qui est également incertain, c’est l’intérêt que Donald Trump a pu porter à cette longue séance de deux heures avec les représentants des services américains. Marie-Cécile Naves conclut: « Le reste du monde l’intéresse assez peu. De toutes façons, je crois qu’il n’a même pas envie de gouverner. Gouverner, c’est sérieux, technique, ennuyeux. Il n’a pas d’appétence pour ça. »
(Crédit photo : Spencer Platt – Getty Images North America – AFP)