Impeachment : Trump veut tirer profit d’un procès au Sénat

Publié le 11 décembre 2019

La Chambre des représentants pourrait mettre en accusation Donald Trump d’ici à Noël. La procédure d’impeachment irait alors devant le Sénat, ou les républicains sont majoritaires. Interview pour « L’Express », par Paul Chaulet.

C’est une semaine décisive dans l’enquête ukrainienne, qui mine la présidence Trump depuis plusieurs semaines. Après deux mois d’investigations, la Chambre des représentants, contrôlée par les démocrates, entame mercredi le débat juridique pour savoir si les faits reprochés au président sont suffisamment graves pour justifier sa mise en accusation (« impeachment »). Donald Trump est accusé d’avoir demandé en juillet dernier à son homologue ukrainien l’ouverture d’enquêtes visant son rival démocrate Joe Biden en échange d’une visite à la Maison Blanche et d’une aide militaire.

Alors que plusieurs témoins ont fourni des éléments gênants pour le président américain, la Maison Blanche campe sur une ligne ferme : pas question de participer à une enquête jugée « partisane » et « anticonstitutionnelle », comme l’a de nouveau réaffirmé dimanche le conseiller juridique du président. L’issue de la procédure ne fait guère de doute. Au regard de la majorité démocrate à la chambre basse, Donald Trump devrait bien être mis en accusation, ce qui n’est arrivé qu’à deux autres présidents avant lui, Andrew Johnson et Bill Clinton.

Le calendrier de l’impeachment en question

La suite de l’histoire est plus trouble. Le président sera jugé par le Sénat, où il faudrait une majorité des deux tiers pour le destituer. « C’est clairement la seule chambre (du Congrès) où il peut compter sur l’équité et bénéficier d’une procédure régulière en vertu de la Constitution », affirmait le 21 novembre un communiqué de la Maison-Blanche. « Donald Trump subit cette procédure, mais souhaite donner l’impression qu’il maîtrise le récit médiatique et politique de l’affaire », analyse Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (Iris), et spécialiste des États-Unis. 

Cette volonté affichée repose sur une configuration politique particulière. Majoritaires au Sénat, les élus républicains font bloc autour du président et devraient lui éviter l’humiliation d’une destitution. Surtout, ils pourraient se servir de la procédure comme d’une rampe de lancement pour mener la contre-offensive médiatique. L’équation mêle considérations politiques et stratégiques. La première inconnue tient au calendrier. Faut-il un procès court ou long? La question divise le camp Trump. Selon le Washington Post, des sénateurs républicains et des responsables de la Maison Blanche se sont entretenus le 21 novembre sur cet épineux sujet, sans parvenir à une stratégie définitive. Certains élus, comme Lindsay Graham, plaident pour un procès court, de deux semaines. Cela permettrait au président d’être acquitté rapidement, de s’extraire d’une séquence politique mortifère et de se concentrer sur la campagne présidentielle.

Une primaire démocrate parasitée ?

A l’inverse, d’autres sénateurs plaident pour un procès plus long, qui pourrait parasiter la primaire démocrate. Les sénateurs candidats, comme Bernie Sanders ou Elizabeth Warren, seraient alors contraints de siéger à Washington plutôt que faire campagne dans l’Iowa ou le New Hampshire, premiers Etats à voter en février. « Les sénateurs seraient bloqués ici six jours par semaine », glisse au Los Angeles Times le sénateur Kevin Cramer. Ces derniers ont en effet assuré qu’ils exerceraient leur devoir de parlementaire. « C’est une responsabilité constitutionnelle. J’ai juré de respecter la Constitution des États-Unis d’Amérique », a déclaré Elizabeth Warren. Si elle a « évidemment » conscience de l’impact de cette procédure sur sa campagne, Kamala Harris confirme elle aussi qu’elle « assumera sa responsabilité ».

Reste à savoir quelle option aura les faveurs de Donald Trump. Le président américain, d’humeur changeante, n’aurait pas arrêté sa stratégie, selon le New York Times. Maître de conférences et spécialiste de la politique américaine, Jean-Eric Branaa ne croit pas à l’hypothèse d’un procès long. « Donald Trump n’a aucun intérêt à ce que les choses traînent. Il a intérêt à ce que les démocrates se disputent lors de la primaire. Une procédure longue qui retiendrait les deux candidats progressistes (Elizabeth Warren et Bernie Sanders) à Washington serait un boulevard pour Joe Biden. Pour Trump, le meilleur scénario est d’être innocenté rapidement pour afficher son label innocent dans sa campagne. » « Quelle que soit la durée de la procédure d’impeachment, Trump tentera de la tourner à son avantage », complète Marie-Cécile Naves 

La question du calendrier n’est pas la seule. Les sénateurs républicains devraient être offensifs lors des débats et contre-attaquer. Le choix des témoins auditionnés sera à cet égard déterminant. « Nous nous attendons à entendre enfin des témoins qui ont réellement été témoins et ont peut-être pris part à la corruption – comme Adam Schiff, Joe Biden, (son fils) Hunter Biden et le soi-disant lanceur d’alerte, entre autres », affirmait en novembre un communiqué de la présidence américaine. L’idée est de détourner l’attention médiatique en se focalisant sur le candidat démocrate. Pour sa défense, Donald Trump évoque en effet la nécessité d’enquêter sur Joe Biden, accusé sans preuve d’être intervenu pour protéger son fils Hunter dans ses activités professionnelles en Ukraine. « Ils vont demander l’audition de Joe Biden et tenter de le salir », prédit Jean-Eric Branaa. La bataille politique est loin d’être terminée.

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