Invitée de France Culture, le 19 septembre 2025

J’étais, avec les chercheurs Sébastien Mort et Tristan Boursier, l’invitée de François Saltiel dans son émission « La Fabrique de l’information », sur France Culture, le 19 septembre 2025. Le sujet était l’affaire Charlie Kirk.

La mort de l’influenceur américain Charlie Kirk, le 10 septembre dernier, a mis en lumière l’extrême polarisation du paysage médiatique américain. Derrière l’apparente unité qui les caractérise, qui sont les influenceurs d’extrême-droite aux États-Unis et comment cartographier leurs réseaux ?

Replay ici.

Avec

• Marie-Cécile Naves, politiste, directrice de recherche et directrice de l‘Observatoire « Genre et géopolitique » à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)
• Sébastien Mort, maître de conférences en histoire, culture et société à l’Université Paris Nanterre.
• Tristan Boursier, docteur en science politique de l’Université de Montréal et de Sciences Po Paris

Depuis le 10 septembre, une actualité domine le paysage aux Etats-Unis comme en Europe : l’assassinant de l’influenceur trumpiste Charlie Kirk, un nom jusqu’ici relativement inconnu en France. L’occasion de mieux comprendre son parcours et sa place dans la sphère Maga, tout en décryptant ses canaux de communication.

Charlie Kirk dans l’écosystème MAGA

L’influenceur de 31 ans a été abattu lors d’un meeting en plein air, sur le campus d’une université de l’Utah, aux États-Unis. Il était connu pour les débats politiques qu’il organisait dans les universités, autour de thématiques telles que le changement climatique, la discrimination positive, ou encore l’immigration. “Son parcours de militance personnelle s’apparente à du nationalisme chrétien assez classique”, explique le docteur en sciences politiques, Tristan Boursier.“Mais quand on regarde ses interventions dans les universités, c’est bien plus intéressant et beaucoup plus fluide d’un point de vue idéologique », ajoute-t-il. « Kirk se situe entre les trois pôles idéologiques de la sphère MAGA. Le premier pôle est le national-populisme, avec une culture directement fascisante, incarnée par Steve Bannon. Le second pôle, incarné par Elon Musk, est celui que l’on pourrait qualifier de techno-libertarianisme. Un troisième pôle, incarné cette fois-ci par J.D.Vance, est caractéristique d’un christianisme conservateur, voire même catholicisme intégriste ». Le spécialiste des influenceurs politiques et de leurs affinités idéologiques précise alors que “Charlie Kirk savait naviguer entre ces trois pôles-là, sans forcément en montrer les contradictions”.

Une nouvelle génération d’influenceurs, héritière d’acteurs traditionnels

Composante majeure du paysage médiatique d’extrême droite aux Etats-Unis, Charlie Kirk faisait partie d’une nouvelle génération d’influenceurs et de podcasteurs, incarnant le point de bascule entre acteurs traditionnels et nouveaux médias. Ses débats dans les universités étaient filmées et retransmises sur les plateformes, notamment Tiktok, où son audience atteignait 8, 9 millions d’abonnés. Depuis 2020, le fervent défenseur de Donald Trump animait aussi une émission de radio quotidienne de trois heures sur la chaîne « The Answer », diffusée dans son podcast “The Charlie Kirk Show”.

Sébastien Mort, rappelle alors que “l’influenceur de 31 ans était l’héritier d’une génération des talk shows radiophoniques conservateurs de la fin des années 1980”, en référence à des personnalités de télévision ou de radio comme Sean Hannity, Rush Limbaugh ou encore Laura Ingraham. Le maître de conférences à Paris Nanterre précise que “l’émission “The Charlie Kirk Show” a d’abord été lancée directement sur les ondes. A l’origine, Kirk ne passait pas du tout par le streaming. Il est donc un enfant de l’ère numérique mais le modèle de distribution et le format d’émission qu’il a lancé en 2020 est le même que celui de ses pères fondateurs”. Le spécialiste des médias conservateurs américains rappelle également que la force de frappe de Kirk « tenait à sa capacité à circuler entre des espaces hors ligne et des espaces en ligne. Il est à la fois un activiste de terrain, héritier d’une tradition de militance sur les campus républicains, et un médiactiviste, héritier de la génération de personnalités radiophoniques précédente”.

Des influenceurs proches de l’administration républicaine

Charlie Kirk était aussi un soutien clé de l’administration Trump. La directrice de recherche à l’Iris, Marie Cécile Naves, rappelle en ce sens que “Donald Trump et J.D Vance doivent beaucoup à ce type de streamers et podcasters, qui sont des maillons essentiels et emblématiques de l’écosystème MAGA”. La politiste ajoute que Charlie Kirk est notamment “l’un des artisans du renouvellement générationnel de l’électorat trumpiste, un électorat trumpiste plutôt blanc, plutôt masculin, et peu diplômé”.

Les hommages présidentiels reçus au lendemain de sa mort sont symptomatiques du degré de proximité qui liait l’influenceur à l’administration républicaine. Donald Trump a notamment prononcé un discours à la nation américaine, avant d’exiger que tous les drapeaux du pays soient mis en berne. Plus parlant encore, J. D. Vance a repris les rênes du podcast de Charlie Kirk le temps d’une émission, enregistrée depuis le bureau vice-présidentiel. De Stephen Miller à Robert Francis Kennedy Jr, d’importantes figures de l’écosystème MAGA y ont pris le micro, en hommage à l’influenceur assassiné. « Cet épisode atteste d’un mélange des genres totalement incroyable”, souligne Marie Cécile Naves. “Il y a une reconnaissance de la part de Trump et de l’écosystème Trump du rôle de ces influenceurs internet, comme s’ils étaient de véritables responsables politiques. Aujourd’hui, ils occupent une place privilégiée dans la salle de presse de la Maison-Blanche, où les journalistes traditionnels sont éjectés”.

La mort de Kirk, « une fenêtre d’opportunité pour museler les médias d’opposition »

De Fox News au Washington Examiner, l’agenda médiatique de droite et d’extrême droite s’est aligné sur le récit de l’administration Trump au lendemain de l’assassinat. Le président et ses proches ont en effet dénoncé un acte de “la gauche radicale”, dont la rhétorique aurait “trop longtemps comparé des Américains formidables comme Charlie aux pires criminels de masse du monde”. Sur les réseaux sociaux, la traque aux personnes émettant des propos critiques de Kirk a aussi rapidement pris de l’ampleur, sous l’égide de deux influenceurs d’extrême droite : Joey Mannarino et Laura Loomer. Conséquence de ce que certains ont pu comparer à une chasse aux sorcières aux relents maccarthystes : le licenciement abrupt de plusieurs journalistes américains, accusés de relayer des propos jugés inacceptables sur Charlie Kirk. Parmi ces derniers figurent notamment Jimmy Kimmel, présentateur phare de l’émission du soir d’ABC, suspendu «pour une durée indéterminée » suite aux propos qu’il a tenu sur les liens entre le mouvement MAGA et l’assassin de Charlie Kirk.

Marie Cécile Naves rappelle en ce sens que “le free speech [la liberté d’expression] est refusé aux adversaires politiques des MAGA [Make America Great Again]”. La politiste précise que “la mort de Charlie Kirk, décrit comme un adepte du débat, est instrumentalisée pour faire taire toute forme de discours contraire au discours officiel”. En d’autres termes, “le free speech, tant vanté par Donald Trump pendant sa campagne, se transforme en « taisez-vous »”. Sébastien Mort ajoute que “la mort de Kirk ouvre des fenêtres d’opportunité pour museler les médias et mettre en action des menaces de représailles récurrentes au moment du premier mandat, devenues effectives”.

La Fabrique du Courrier International

Ingrid Therwath nous parle d’une lettre écrite par Ansam Al-Kitaa, journaliste palestinienne qui a décidé de quitter Gaza. Un témoignage à retrouver dans l’article « Je pars car je refuse de mourir : lettre d’une journaliste à Gaza« , paru dans Courrier International, le 16 septembre 2025.

Le rendez-vous de la médiatrice

En fin d’émission, Guillaume Erner, producteur des Matins de France Culture, revient sur son « Billet d’humeur » du 12 septembre 2025 à propos de l’influenceur d’extrême droite américain Charlie Kirk. Au micro d’Emmanuelle Daviet, il répond aux questions des auditeurs.