Le mensonge ‘scientifique’ au service d’intérêts idéologiques et financiers. L’exemple américain du réchauffement climatique

ARTICLE publié sur le site de l’Observatoire français des think tanks, le 13 avril 2012

Le 29 mars 2012, « Le Monde » publiait une interview de la chercheuse américaine Naomie Oreskes. En 2010, cette historienne des sciences et professeure à l’université de Californie à San Diego avait cosigné avec Erik M. Conway un ouvrage important sur le climato-scepticisme, qui vient de paraître en français sous le titre : Les marchands de doute (Le Pommier, 2012).

Les auteurs pointent l’imposture de certains climato-sceptiques outre Atlantique qui, selon eux, abusent de leur qualité d’« experts » en remettant en question le réchauffement climatique et son origine principale, l’activité humaine. Dans l’interview qu’elle a accordée au « Monde », N. Oreskes explique notamment que, pour ces « experts », il n’y a pas de consensus sur le sujet (i.e. : de leur point de vue, le réchauffement climatique peut être contesté sur des bases scientifiques), alors que ce n’est pas le cas. De fait, comme le rappelle N. Oreskes qui se fait poppérienne, pour qu’il soit véritablement scientifique, un débat doit se tenir selon des procédures (argumentation technique, etc.) et dans des lieux bien précis (revues spécialisées, colloques universitaires…), et être mené par des spécialistes reconnus et évalués par leurs pairs. Rien de tout cela en ce qui concerne la remise en cause du réchauffement climatique.

Ceux qui le contestent aujourd’hui, au nom de la science, seraient les mêmes qui, il y a 20 ans, mettaient en doute la dangerosité du tabac pour la santé humaine. Or, poursuit N. Oreskes, « plusieurs d’entre eux ont été rémunérés par l’industrie du tabac via des organisations » qui se disent scientifiques mais ont en réalité été créées « par le groupe Philip Morris pour attaquer l’Environmental Protection Agency (EPA) [1], et ce afin d’éviter qu’une législation contre le tabagisme passif ne soit adoptée ».

Par ailleurs, comme le dit très justement N. Oreskes, même un grand scientifique ne peut être spécialiste de tout (les effets du tabac, les pluies acides, le réchauffement de la planète…). C’est pourquoi tout chercheur qui se respecte n’interviendra pas dans n’importe quel débat. Ce n’est pas le cas de ces « experts », qui usurpent leur position de savant à des fins mercantiles et idéologiques. On peut donc parler de malhonnêteté intellectuelle.

Au-delà de leurs motivations financières, qui bien sûr existent, il ne faut pas négliger, selon N. Oreskes, leurs objectifs politiques : ce qu’elle nomme le « fondamentalisme du libre marché » et la méfiance quasi obsessionnelle vis-à-vis du pouvoir fédéral. En d’autres termes, le refus des règles, quelles qu’elles soient, et de l’« intrusion de l’État » dans le fonctionnement de l’économie et de la société, et les actions de l’homme. Or l’environnement peut-il être durablement protégé sans réglementation aucune ? Peut-on faire confiance au seul libéralisme économique pour réguler la nature ?

Au final, dit N. Oreskes, « certains chercheurs (…) touchent beaucoup d’argent pour attaquer la science ». Il ne s’agit donc pas d’une simple politisation du savoir, et encore moins d’une posture d’intellectuel spécifique : on est bel et bien dans une mystification, dans un mensonge. Un mensonge double puisque certains experts disent (délibérément ?) des choses fausses, au nom même d’une compétence usurpée.

« L’histoire du climato-scepticisme est avant tout une histoire américaine qui prend sa source dans l’angoisse face au communisme… C’est le produit, à l’origine, d’un petit groupe de scientifiques qui ont fait leur carrière pendant la guerre froide et qui, après l’effondrement de l’URSS, ont vu dans les préoccupations environnementales un avatar du socialisme. Cette histoire résonne avec la culture américaine, qui repose sur l’individualisme et la tendance à considérer que le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins » (N. Oreskes). Constat ô combien d’actualité aux États-Unis, chez les libertariens comme chez les Tea Party – think tanks compris.

De la contestation du réchauffement climatique à la remise en cause de la théorie de l’évolution au profit du créationnisme (qui considère que le savoir est un ennemi de la liberté non pas économique, mais religieuse), la science est donc bien malmenée en Amérique ces temps-ci. La France échappe-t-elle à ses dérives ? Rien n’est moins sûr.

Lire l’interview dans « Le Monde » par Stéphane Foucart : http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/03/29/des-chercheurs-touchent-beaucoup-d-argent-pour-attaquer-la-science_1677518_3244.html

Les marchands de doute (site de l’éditeur) : http://www.editions-lepommier.fr/ouvrage.asp?IDLivre=509

[1Créée en 1970, l’Environmental Protection Agency est un organisme américain indépendant qui vise à étudier et à protéger la nature et la santé humaine, et qui œuvre à la mise en place de réglementations et de lois en ce sens.