États-Unis : le parti républicain déphasé

Tribune publiée dans "Libération", le 22.10.13

Un sursis. C’est tout ce qu’a obtenu le pouvoir exécutif fédéral américain. Si les Etats-Unis évitent le défaut de paiement, c’est grâce à un accord trouvé in extremis entre les démocrates et les républicains, et qui ne vaut que pour quelques mois : le plafond de la dette est relevé jusqu’au 7 février et les fonctionnaires fédéraux peuvent reprendre le travail jusqu’au 15 janvier. Le coût, pour le pays, de ces quelques semaines de blocage s’élève à 24 milliards de dollars [17,5 milliards d’euros, ndlr], sans compter un ralentissement probable de la croissance américaine estimé à environ 0,5 point.

Si la réforme de la santé, l’«Obamacare» comme l’appellent ses détracteurs, n’est pas menacée sur le principe, les parlementaires républicains à l’origine du «shutdown» ont obtenu une reconduction des réductions automatiques de certaines dépenses («sequester»). Autrement dit, rien n’est réglé : la classe politique américaine ne parvient pas à se mettre d’accord sur la question de la dette à long terme et sur le budget fédéral. Comme dans tous les pays développés, les dépenses sociales peinent à trouver leurs financements.

Or, les Etats-Unis sont confrontés à deux problèmes majeurs. Le premier est structurel : sur le plan institutionnel, le poids des contre-pouvoirs est trop élevé : les lobbys, les Eglises, les courants politiques locaux pèsent très fort dans les orientations de l’action publique.

Le second est conjoncturel : la crise identitaire des républicains fait peser de gros risques à l’avenir du pays. Un pays qui, inexorablement, change de l’intérieur, notamment en termes démographiques, et dont la place dans le monde n’est décidément plus la même qu’il y a dix ans. En effet, la «capitulation républicaine»dans l’affaire du shutdown, comme le titre le New York Times, ne doit pas faire oublier que le Grand Old Party est profondément divisé entre ceux qui regardent vers l’avenir et ceux qui se crispent sur un passé mythifié.

Le Tea Party est ainsi parvenu, pour un temps, à bloquer le pays. Tout d’abord, par le biais de ses élus au Congrès. Mais aussi, et c’est le plus inquiétant, via des manœuvres d’intimidation auprès de parlementaires républicains modérés (publicités négatives, «bashing» sur les réseaux sociaux à l’encontre des élus jugés non «purs»…). Certains membres de la Chambre des représentants, pour être réélus l’an prochain aux élections de mi-mandat, sont entrés dans le jeu de la surenchère à droite pour désamorcer leurs rivaux issus du Tea Party lors des primaires locales.

Partisan du «chacun pour soi», le Tea Party n’aime pas les impôts, dont il pense qu’ils financent l’assistanat des pauvres et des minorités «raciales» ou «ethniques». Il n’aime pas non plus les élites de Washington, qu’il accuse de mépriser l’Amérique profonde, celle qui travaille dur et a réussi par la seule force du poignet. Il souhaite une privatisation totale du système scolaire, de la sécurité nationale et de l’ensemble de la protection sociale.

Un décalage croissant avec la modernité en marche. De son côté, la droite religieuse exprime très clairement sa méfiance vis-à-vis des droits des femmes, qu’elle interprète comme une menace pour les traditions. A cet argument antiféministe classique s’ajoute la peur de la fin de l’Amérique «blanche» et protestante (comprendre : non hispanique). Cela explique en partie la multiplication de lois qui durcissent le droit à l’avortement et le lobbying contre l’accès à la contraception (demandes de dérogations dans l’Affordable Care Act, etc.).

Le rejet de la réforme des lois sur l’immigration, qui est sur l’agenda du président Obama, en est une autre expression. Pris en otage par son aile droite, le Parti républicain est en train de passer complètement à côté de l’évolution démographique aux Etats-Unis. La situation a ceci de sidérant que l’impopularité croissante dont ce parti fait l’objet ne semble pas arrêter sa frange dure dans ce qu’il faut bien appeler une fuite en avant. Le résultat de la présidentielle de 2012 n’a produit aucun enseignement : l’orientation droitière de Mitt Romney est pourtant largement à l’origine de sa défaite.

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