Le « soft power » de la culture populaire : la couverture du « Vogue » américain

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6 ans séparent ces deux couvertures du « Vogue » américain. Et elles n’ont vraiment rien à voir ; elles sont même parfaitement antinomiques. La première a été beaucoup critiquée pour son imaginaire raciste (bien réel) : le sportif noir, grand et musclé, figure la bête King Kong.

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Décidément, comparer les Noirs avec des singes est un leitmotiv racialiste (disons le franchement : raciste) qui perdure…

La deuxième couverture est la dernière en date. Et elle déplaît. Certaines abonnées célèbres ont fait savoir, notamment sur Twitter, leur mécontentement : Kim Kardashian, en tant qu’héroïne de la télé-réalité, serait indigne de la Vogue cover, censée signifier le glamour extrême, la distinction, le chic, mais aussi l’argent (or Kardashian est une femme d’affaires ultra-riche, donc ce n’est pas là que le bât blesse).

Kardashian serait donc vulgaire (aux yeux de certaines lectrices, donc)… mais c’est en réalité à plusieurs titres :

–       Elle n’est ni mannequin, ni actrice.

–       Elle n’a pas un physique dans les normes dominantes : loin d’avoir un corps d’adolescente anorexique, Kardashian a des formes prononcées, qu’elle ne cherche pas à cacher, voire qu’elle revendique (ce qui fait qu’elle est adulée par bon nombre de jeunes Américaines)

–       Enfin, elle ne correspond pas à ce qu’on pourrait appeler l’idéal-type « caucasien ». D’autant qu’elle forme un couple avec le rappeur afro-américain Kanye West – lui-même multimillionnaire.

Les lectrices de « Vogue » se veulent des happy few. Certaines, aujourd’hui, se sentent dépossédées (« Vogue » n’est pas « Voici », ni « Jeune et jolie » : on y vend du luxe, de l’exception). Se sentent-elles frustrées de ne plus pouvoir garder aussi leur entre soi WASP ? Se sont-elles indignées lorsque, en 2009, le magazine (dans sa version française) a fait poser un mannequin blanc « coloré » en noir, plutôt qu’un mannequin noir ?

Kim Kardashian a dit qu’elle était très honorée de cette couverture : « mon rêve devient réalité », a-t-elle avoué. Cela en dit long : malgré sa popularité et son appartenance au monde des VIP, elle a longtemps été illégitime pour ce type de publication, bien qu’elle soit une icône de mode… mais populaire.

« Vogue » doit être « capable de montrer ceux qui définissent la culture à un moment donné, qui font bouger les choses, et dont la présence dans le monde (…) influence la façon dont nous le voyons. Je pense que nous pouvons tous être d’accord sur le fait que ce rôle est actuellement joué par Kim et Kanye », a justifié Anna Wintour, la rédactrice en chef du « Vogue » USA.

Le soft power, c’est exactement cela : le pouvoir d’influencer indirectement en matière économique, sociale, mais aussi politique. La culture (à l’instar, par exemple, du sport) en est un vecteur privilégié, d’autant que c’est une notion de plus en plus polysémique. Elle inclut le divertissement, c’est-à-dire la culture populaire, celle du peuple, et donc des minorités « raciales ».

La mode n’est pas un monde à part. Le luxe non plus. Les tendances vestimentaires se nourrissent de la rue, des médias, de la vie quotidienne, de la musique. Oui au marketing « ethnique », mais à prix élevé et seulement porté par des Blanches ? Non, cela ne tient plus, ça craque.

Sur ce coup là, Anna Wintour a tout compris. Le multiculturalisme mythifié (autrement dit contrôlé, cadré, policé) est peut-être, enfin, en train de rendre l’âme.