Les « anti-gender » ou le refus de l’égalité hommes-femmes

Tribune parue dans le « Huffington Post », le 1er septembre 2014 (co-signée avec Virginie Martin)

 

La droite et l’extrême droite françaises, les « anti-gender », ont inventé la « théorie du genre » qui, telle le roi des Aulnes de Goethe, enlèverait ou pervertirait sexuellement les enfants. Ce mythe, qui conduit à confondre genre, sexe, transgenre, homosexualité et pornographie, est né, chez certains, d’une méconnaissance inouïe des concepts et, chez tous, d’un mépris à peine masqué pour les sciences sociales et les chercheurs. Ce mythe serait risible s’il n’était pas un alibi pour déverser les pires diatribes sexistes (et homophobes), au nom d’une biologie sacralisée, sacrée, mystifiée, au nom d’une inégalité éternelle des hommes et des femmes sous prétexte de différence « naturelle ». Ces mêmes arguments ont d’ailleurs longtemps été utilisés pour justifier le racisme et l’esclavage.

Car si la « théorie du genre » est une invention, il existe bel et bien des études de genre qui démontrent la dimension politique, ainsi que la construction sociale des rapports entre les hommes et les femmes. Les attaques sexistes (ridicules et pathétiques) dont la nouvelle ministre de l’Education nationale fait l’objet prouvent en soi toute l’utilité de ces travaux. Ces attaques sexistes se doublent du reste d’un racisme non dissimulé : ce storytelling, bien connu en science politique, de l’« ennemi(e) intérieur » qui insèrerait le ver dans le fruit, désormais perverti, de la bonne France traditionnelle – souvent catholique mais pas que.

Ne nous y trompons pas : ce qui est en jeu ici, c’est le refus de l’égalité hommes-femmes, la revendication que l’Ecole continue à transmettre que filles et garçons sont inégaux. Ni plus, ni moins. Encourager encore les filles à être douces et jolies, et les garçons combatifs et compétitifs. Doter les seconds d’une confiance en soi et nourrir, chez les premières, un sentiment d’infériorité. En cela, l’Ecole, comme le cinéma, le marketing et la publicité vont main dans la main : ils sont les relais d’un patriarcat qui se porte très bien. Mais qui empêche sérieusement le pays d’avancer.

Cette droite et cette extrême droite profondément anti-modernes, qui rêvent d’une France recroquevillée sur elle-même, inégalitaire, cantonnant la moitié de la population à une infériorité immuable, n’est que le symptôme de la peur de l’Autre, de l’avenir, de l’ouverture, bref du progrès, non seulement social, mais aussi – comble de l’ironie – économique. Car les discriminations de genre sont autant de « talents » gâchés et de productivité perdue.