Participation à la conférence « L’institutionnalisation de la relation Etat-société civile », ESCP Europe et ATUGE

Le 30 mai 2015, je participais, à l’invitation de l’Association des Tunisiens des Grandes Écoles (ATUGE), à une conférence intitulée « L’institutionnalisation de la relation entre l’État et la société civile » et organisée à l’École Supérieure de Commerce de Paris (ESCP Europe).

Les autres invités étaient Amira Yahyaoui, fondatrice et présidente de ONG Bawsala, Sihem Ben Sedrine, présidente de l’instance Vérité et Dignité, et Hédi Larbi, ancien ministre de l’Equipement, de l’Aménagement du territoire et du Développement durable de Tunisie.

La conférence était animée par Béligh Nabli, directeur de recherche à l’IRIS.

J’ai expliqué que la France avait (ou avait eu) une image un peu idéalisée de la société civile tunisienne, d’une part, en raison du printemps arabe : cette dernière a alors été vue comme exemplaire – jeune, dynamique, volontaire, porteuse d’une envie de renouveau et d’émancipation. D’autre part, la manifestation à Tunis fin mars, après l’attentat contre le musée Bardo, a occasionné une union de circonstance entre la société civile et l’État qui a marqué les esprits : le « Je suis Bardo » tunisien ressemblait alors beaucoup au « Je suis Charlie » français.

Bien sûr, la réalité est plus complexe.

Par ailleurs, j’ai souhaité insister sur le fait que, derrière cette représentation idéalisée, les deux pays ont plusieurs points communs au regard des liens entre l’État et la société civile.

Certes, 2014 a été le théâtre d’élections libres, pluralistes et transparentes en Tunisie, pour la première fois depuis la Révolution (ayant abouti à la chute de Ben Ali). Néanmoins, la forte abstention, surtout de la part de la jeunesse et des classes populaires, témoigne d’une méfiance vis-à-vis de ce processus démocratique qui ne change pas la vie quotidienne des gens. De plus, les avancées démocratiques en matière de libertés politiques et de droits de l’Homme n’ont pas, en Tunisie, été suivies par une amélioration de la situation économique et sociale du pays. En découlent des frustrations car la population ne voit pas son sort s’améliorer. La crise de confiance réciproque entre les élites et le peuple est un premier point commun avec la France. Le désenchantement est particulièrement aigu dans la jeunesse tunisienne, véritable force motrice de la révolution.CGRE5GiWQAA4EXA

Par ailleurs, la population tunisienne (associations, entreprises, individus) a envie de participer à la vie politique et sociale : elle exprime un fort besoin de démocratie participative, d’horizontalité. C’est un deuxième point commun avec la France, qui pâtit d’une cécité face aux nouvelles formes de mobilisation, d’une vision très old school de sa politique et de sa gouvernance. Dans les deux pays, il n’existe pas, ou peu, de procédures de concertation de la société civile. Or la Révolution tunisienne a permis la création de milliers d’associations qui ont joué un rôle important dans l’élaboration de la nouvelle Constitution, par exemple.

En France comme en Tunisie, la richesse de la société civile est grande, en particulier grâce à une jeunesse souvent innovante, diplômée, ultra connectée et ouverte sur le monde (en France, la jeunesse de banlieue est la France de demain mais on la voit comme une menace). Bien sûr, d’autres pans de la jeunesse sont tentés par le repli sur soi. Mais la société civile est souvent un contre-pouvoir salutaire : en Tunisie, elle veille au respect de certains principes dans les nouveaux textes, comme l’égalité hommes-femmes aux dépens de leur « complémentarité » (naturelle), par exemple.

Il est donc important de faire de la société civile un acteur du processus de transition démocratique en Tunisie, et du progrès social et économique en Tunisie et en France. Pour ce faire, la formalisation des processus de démocratie participative est indispensable, par la création d’instances spécifiques, de dispositifs transparents, et par la formation des citoyens à prendre part aux débats (« empowerment ») pour éviter le problème des « citoyens professionnels » qui confisquent la parole. La société civile a une expertise, une opérationnalité spécifiques, dont il faut faire une richesse collective.

Enfin, j’ai rappelé que, si l’institutionnalisation des liens entre l’État et la société civile ne doit pas, en démocratie, être trop forte pour éviter de limiter les libertés (une institutionnalisation totale serait synonyme de dictature), l’absence ou la faiblesse de l’institutionnalisation revient à la loi du plus fort, qui est souvent le plus riche, comme aux États-Unis où le poids de contre-pouvoirs comme les lobbies est sans doute trop grand.

Lors de cette conférence, la société civile était pensée comme différente de l’État : comment éviter que cette différence ne devienne un antagonisme, comme l’a décrit la philosophie marxiste, afin qu’elle soit la condition d’une complémentarité ? Une réflexion, passionnante, à prolonger.

(Merci à JBD pour la photo).