INTERVIEW. « Attaque chimique en Syrie : le revirement de Trump », pour « 20 Minutes »

Interview publiée le 6 avril 2017 sur le site de « 20 Minutes », et réalisée par Oihana Gabriel

DIPLOMATIE  Alors que le Président américain se voulait isolationniste, il a totalement changé de ton depuis l’attaque chimique mardi en Syrie, condamnant Bachar al Assad mais aussi la Russie…

« Mon attitude envers la Syrie et Assad a beaucoup changé », a admis Donald Trump mercredi. L’attaque chimique contre la ville de Khan Cheikhoun (nord-ouest), imputée mardi par l’opposition syrienne et plusieurs pays occidentaux au régime syrien a provoqué un changement à 180° dans le discours de Donald Trump. Fin mars, l’ambassadrice américaine à l’ONU avait annoncé que les Etats-Unis étaient prêts à composer avec le président syrien. Mais le ton s’est fait très menaçant depuis mercredi. Les Etats-Unis envisageraient même, selon l’ambassadrice américaine à l’ONU d’engager une opération unilatérale. Pourquoi un tel changement de ton ?

Le choc des images

Dans le monde entier,les photos et vidéos de civils morts asphyxiés, de rues dévastées et d’hôpitaux de fortune ont beaucoup ému. « Trump a vu les images atroces d’enfants morts qui tournent sur toutes les télévisions, explique Marie-Cécile Naves, chercheuse à l’IRIS (Insitut de Relations Internationales et Stratégiques) spécialiste des Etats-Unis. Il montre les muscles pour dire qu’il prend cette question au sérieux. »

« Il était obligé de réagir, assure François Durpaire, historien des Etats-Unis. L’attaque chimique de mardi a provoqué dans l’opinion publique américaine un mouvement de révulsion fort. « America first », c’est bien, mais cette doctrine défendue par Donald Trump se confronte à une tradition américaine forte : le mouvement idéaliste moral. En politique intérieure, on a vu que Trump était finalement contraint. C’est pareil en politique étrangère : il ne peut pas faire ce qu’il avait promis, c’est-à-dire se rapprocher de la Russie et combattre Daesh au risque de renforcer Bachar al Assad. »

Trump, imprévisible

« Quand les Nations unies échouent constamment dans leur mission d’action collective, il y a des moments dans la vie des Etats où nous sommes obligés d’agir nous-mêmes », a martelé mercredi l’ambassadrice américaine à l’Onu Nikki Haley, lors de la réunion d’urgence du Conseil de sécurité. Dans une conférence de presse Donald Trump a enfoncé le clou. Etonnant ? Pas vraiment. Le Président est réputé pour son côté imprévisible. « Je change et je suis flexible, et je suis fier de cette flexibilité », s’est défendu Donald Trump lors d’une conférence de presse mercredi.

Mais pour Marie-Cécile Naves, c’est une nouvelle marque du manque de préparation de l’administration Trump. « Il n’y a pas d’unanimité au sein de son administration sur la politique étrangère. Il a exclu mercredi [son conseiller stratégique controversé] Steve Banon du Conseil de sécurité national alors que c’est un de ses hommes de confiance… Et les hauts fonctionnaires, pour lesquels il existe une continuité de carrière, sont désemparés face au manque de travail en commun et aux décisions de Trump. »

Montrer les muscles

En changeant de discours sur la Syrie, les Etats-Unis ont totalement inversé leur position vis-à-vis de Moscou. Les Russes ont rapidement haussé le ton mercredi, estimant que la résolution présentée par Paris, Londres et Washington était « inacceptable ». Le secrétaire d’État américain Rex Tillerson a prévenu qu’il était « temps que les Russes réfléchissent vraiment bien à la poursuite de leur soutien au régime Assad ».

« Il a intérêt à rester dans la position de celui qui ne se laisse pas faire par les puissances étrangères, son fonds de commerce », analyse Marie-Cécile Naves. Mais si le Président américain s’est montré très vindicatif dans son discours, il est resté très flou quant aux actions qu’il pense mener.

« Une chose que, je pense, vous avez remarqué à propos de moi sur les questions militaires, c’est que je n’aime pas dire où je vais et ce que je fais », a-t-il déclaré à la presse. « Pour le moment, Donald Trump est beaucoup dans le discours performatif, reprend la chercheuse. Comme pour beaucoup de sujets de politique étrangère, il donne l’impression de ne pas avoir de plan. Et de découvrir la complexité de la géopolitique. C’est assez inquiétant. »

Se démarquer d’Obama

« En tapant sur la table, il veut aussi marquer une rupture vis-à-vis de son prédécesseur », reprend la chercheuse à l’Iris. Donald Trump a en effet profité de la conférence de presse de mercredi soir pour critiquer Obama. «L’administration Obama avait eu une occasion pour régler cette crise  », a-t-il dit, dans une allusion à la « ligne rouge » tracée en 2012 par le président démocrate à propos de l’éventualité du recours par le régime syrien à des armes non conventionnelles. « C’était une menace en l’air », a taclé Donald Trump.

« Cette volte-face avait été vivement critiquée par les Républicains et notamment par Donald Trump », insiste François Durpaire. « Les Républicains parlent d’Obama comme d’un président qui se couche », rappelle Marie-Cécile Naves. Mais cette critique d’Obama, si ce discours musclé n’est pas suivi d’effet, risque de se retourner contre lui.

« Combien de temps va durer cette stratégie de la communication ?, interroge Marie-Cécile Naves, auteure de Trump, l’onde de choc populiste. Ce discours très fort, très engagé le met dans une position compliquée. Car l’étape suivante, c’est d’envoyer des troupes au sol. » Une décision qui risque de rendre le président encore plus impopulaire. « Les Américains n’ont pas envie de voir leurs enfants partir en Syrie, reprend la chercheuse. Le traumatisme de l’Afghanistan et de l’Irak sont encore très présents. Une intervention unilatérale, si vraiment il va jusque-là aurait un coût humain et financier énorme. »

Faire diversion

Autre possibilité : Donald Trump a voulu redorer son image. Très impopulaire, confronté à beaucoup de contre-pouvoirs, le président espère peut-être que cette position morale, cette condamnation forte séduira l’opinion.

« Il a enchaîné les échecs entrele décret anti-immigration et sa réforme de l’Obamacare, reprend Marie-Cécile Naves Il utilise souvent cette stratégie de diversion. Quand on lui parle de l’enquête sur ses liens avec la Russie, il répond qu’il faudrait enquêter sur Hilary Clinton… Mais si ces mots ne sont pas suivis d’effets, il pourra sortir son argument habituel : regardez, j’ai voulu réformer, mais l’Onu, le Congrès m’en ont empêché. »