INTERVIEW. « Décrets présidentiels de Trump : réel impact ou écran de fumée ? », pour « Libération »

Depuis son investiture le 20 janvier, Donald Trump a signé une trentaine d’«executive orders». Le but : montrer à ses électeurs qu’il tient ses promesses de campagne. Interview accordée à Libération, le 4 mai 2017.

Pour cette «journée nationale de la prière» aux Etats-Unis, Trump a décidé de marquer le coup. Ce jeudi à la Maison Blanche, en présence de leaders des différentes confessions, il a signé un décret sur la liberté religieuse, permettant aux groupes de mieux s’impliquer dans la vie politique. C’est le 33eexecutive order depuis son investiture le 20 janvier. Des décisions qui revêtent, jusqu’à présent, essentiellement une portée symbolique.

Quel est l’impact réel des décrets signés par Trump ?

«Il n’y a pas de grandes décisions majeures qui sont sorties des décrets», décrit Marie-Cécile Naves, sociologue associée à l’Institut des relations internationales et stratégiques (1). Les seuls décrets qui ont un impact assez fort touchent à l’environnement ou aux droits des femmes.» Donald Trump a ainsi relancé par décrets le projet controversé du pipeline Keystone XL et a prévu le démantèlement du Clean Power Plan d’Obama, qui imposait aux centrales électriques de réduire d’ici 2030 leurs émissions de CO2 de 32% par rapport au niveau de 2005. Au total, sur 33 décrets signés par le président, huit s’attaquent à l’héritage environnemental de Barack Obama. La raison est simple. «Dans les dernières années de son mandat, Obama n’avait pas de majorité au Congrès et a donc fait passer un certain nombre de décisions par décrets sur ces sujets.» Problème : un décret peut être renversé par… un autre décret, ce qu’a bien compris Donald Trump. «Les décrets sont aussi une manière de marquer le début d’une présidence, d’afficher sa volonté de construire un agenda et d’aller dans telle direction», décrit Marie-Cécile Naves. Le 22 janvier 2009, dès son entrée en fonction, Barack Obama avait signé un décret qui prévoyait la fermeture de Guantánamo en 2010, pour rompre avec la présidence de George W. Bush. Une promesse restée sans effet.

Trump fait-il une utilisation abusive des «executive orders» ?

Gouverner par décrets n’a rien de nouveau. Tous les présidents américains ont utilisé cette disposition, de façon plus ou moins systématique. Barack Obama en a signé 277, George W. Bush 291, et Bill Clinton 364. La palme revient à Franklin D. Roosevelt (1933-1945) qui a signé à lui seul 3 721 executive orders sur une période de douze ans, soit une moyenne de 307 décrets par an. Néanmoins, si Donald Trump continue à ce rythme, il pourrait signer en moyenne une centaine de décrets par an, soit le triple de son prédécesseur, selon The Americain Presidency Project, qui recense le nombre d’executive orders signés par chaque président depuis George Washington.

Quel est l’intérêt pour Trump de gouverner par décrets ?

Non inscrits dans la Constitution, les décrets présidentiels permettent d’accélérer la prise de décision sans passer par le Congrès, qui détient le pouvoir législatif. Mais les obstacles judiciaires sont nombreux. A l’image du «Muslim Ban» de Trump, aussitôt suspendu par un juge fédéral. «Même si le pouvoir décisionnel par décret est faible, ce que fait Trump a une forte portée symbolique, estime Marie-Cécile Naves.Il envoie des signaux aux agences gouvernementales, aux Etats fédérés et à la société civile sur son agenda et sa volonté. Et ce, même si ses décrets échouent comme ceux sur l’immigration. Ils créent une dynamique et participent petit à petit à la construction de l’agenda en particulier au niveau local. Les Etats fédérés conservateurs sont très largement encouragés à faire voter des lois, par exemple, pour restreindre encore plus l’accès à l’avortement ou baisser les subventions locales aux associations écologiques.»

La mise en scène autour de la signature des décrets, immortalisée par les photographes et les caméras, a elle aussi une portée symbolique. «Très souvent, quand Trump signe des décrets, y compris sur les droits des femmes, il est entouré d’hommes blancs, poursuit la sociologue. C’est très important dans le signal que Trump envoie au peuple américain : « Mon Amérique à moi, c’est une Amérique patriarcale, blanche, nostalgique. »»

Seul risque pour le Président : finir par se mettre le Congrès à dos. «A force de gouverner par décrets, de critiquer Washington et les parlementaires eux-mêmes, Trump n’est pas du tout en train de créer une relation de confiance avec les parlementaires républicains, qui sont loin d’être un bloc uni», explique Marie-Cécile Naves.

 

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