Le baroud d’honneur de l’Amérique blanche

Charlottesville, shérif Arpaio, symboles de l’esclavagisme… Trump légitime chaque jour un peu plus le racisme et creuse sciemment les divisions de la société américaine.

Les suprémacistes blancs ne s’en cachent pas : ils ont en horreur le multiculturalisme et les mouvements anti-racistes sont leurs ennemis. Nostalgiques d’une Amérique blanche mythifiée, ils ne supportent pas l’idée que dans 30 ans, les populations originaires d’Amérique du Sud et d’Asie soient plus nombreuses que les Blancs dits « caucasiens » (d’origine européenne) aux États-Unis. Ainsi que l’explique l’un des leaders de l’Alt-Right, Richard Spencer, dans une interview accordée au Journal du dimanche du 27 août dernier, « ce que nous voyons aujourd’hui, c’est une nation postblanche », défendue par les « gauchistes ». Pour lui, les Blancs « subiss[ent] une humiliation chaque jour, une sorte de mort spirituelle. Nous nous diluons dans les mariages mixtes, par exemple ». Il prône la mise en place d’un « État blanc », qui est pour lui « une idée visionnaire ».

Pour Spencer et ses partisans, l’élection de Donald Trump a été un soulagement, après huit ans de présidence Obama. Un Noir à la Maison blanche constituait une aberration et une profonde angoisse pour ces mouvements racistes qui, sur leurs sites, les réseaux sociaux et par la voix d’un ancien leader du Ku Klux Klan, David Duke, avaient ouvertement soutenu Trump pendant la campagne.

En août 2017, l’épisode de Charlottesville et la polémique sur les quelque 1 500 statues de généraux esclavagistes qui trônent encore dans les rues de certains États du Sud Est du pays ont relancé la guerre identitaire des suprémacistes, que le Président a lui aussi fait sienne. Entre le 12 août – jour des violences à Charlottesville, en Virginie – et le 22 août – date de son meeting à Phoenix, en Arizona -, Trump a alterné les déclarations controversées, parfois contradictoires pour finalement s’en tenir à une non-dénonciation des suprémacistes blancs et de la violence raciste.

Le 14 août, il n’a pas aimé lire sur un prompteur, à la Maison blanche, le communiqué préparé par ses conseillers en communication et qualifiant le racisme de « mal ». Le « vrai » Trump, c’est celui qui s’est exprimé le lendemain devant les journalistes, chez lui, à la Trump Tower, de manière faussement improvisée. Pour lui, « la violence est condamnable des deux côtés ». Néo-nazis et Ku Klux Klan, d’une part, et militants anti-racistes, d’autre part, sont donc équivalents. Il y a « des gens bien » de part et d’autre, a-t-il estimé. La mort d’Heather Heyer, une militante des droits civiques de 32 ans, tuée par une voiture vraisemblablement conduite par un néo-nazi de 20 ans inculpé de meurtre, ne semble pas particulièrement l’émouvoir.

Le « vrai » Trump, c’est aussi celui qui était en meeting à Phoenix, le 22 août, devant ses supporters, dans le cadre de la campagne pour sa réélection en 2020. Trump n’a pas admis les critiques ouvertes qui lui ont été faites par les grands médias et plusieurs membres de ses conseils économiques – qu’il a dissous depuis – et sans doute pas non plus les reproches implicites de leaders républicains – peu connus par ailleurs pour leur modération et leur proximité avec les défenseurs des droits civiques (Mitch McConnell, Paul Ryan, Ted Cruz, etc.) – et plus récemment le secrétaire d’État, Rex Tillerson.

Le 14 août, Trump avait relayé le tweet du complotiste d’extrême droite Jack Posobiec, qui reprochait à la presse de ne pas assez relayer les violences urbaines à Chicago (sous-entendu : par rapport à Charlottesville). Le 23 août, surtout, il annonçait qu’il graciait l’ancien shérif Joe Arpaio, personnage très controversé pour sa lutte contre l’immigration clandestine en Arizona. Ouvertement raciste, surnommé le « shérif de la peur » ou le « shérif le plus dur d’Amérique », Arpaio est encensé par les suprémacistes sur Internet. Il avait été condamné fin juillet par la justice pour avoir violé l’injonction d’un juge fédéral lui interdisant de mettre en place des patrouilles racistes contre les clandestins (réels ou supposés), et pour ne pas avoir respecté les droits de centaines de milliers d’Hispaniques.

C’est aussi Arpaio qui, dans les années 1990, avait fait en sorte que dans une prison de l’Arizona, les détenus – des immigrés illégaux – dorment sous des tentes dans en plein désert. Il avait lui-même qualifié cet endroit de « camp de concentration ». Entre autres forfaits. Violence, abus de pouvoir, « Joe Arpaio est un symbole de l’utilisation du pouvoir d’Etat pour maintenir des avantages et désavantages liés à l’origine raciale », explique James Fallows dans The Atlantic.

Trump suit une stratégie délibérée : cliver la société américaine tout en accusant ses adversaires et les médias de générer ce clivage.

Mais pour le Président, Arpaio est un « patriote » qui « faisait juste son travail ». Arpaio est aussi celui qui, après Trump, avait le plus œuvré pour diffuser le mensonge selon lequel Obama n’était pas né aux États-Unis et était musulman.

L’annonce de sa grâce et le timing dans lequel elle s’inscrit – juste après Charlottesville – ne doivent rien au hasard de la part de Trump. Ils participent d’une guerre identitaire contre les minorités à laquelle il prend volontiers part.

DE CHARLESTON À CHARLOTTESVILLE, LES SYMBOLES ESCLAVAGISTES ET L’ENJEU IDENTITAIRE

Dans la polémique sur Charlottesville, Trump a aussi expliqué qu’il était opposé à la suppression des symboles de la confédération et de l’esclavage, comme la statue de Robert E. Lee, arguant que ce sont de « magnifiques monuments » qui rappellent une partie importante de l’histoire des États-Unis. Richard Spencer, dans la même interview citée supra, déplore lui aussi « la disparition de l’histoire de la culture blanche américaine » avec le déboulonnage des statues. Une histoire, ou plutôt une historiographie qui se conçoit en plusieurs étapes…

Comme le note en effet Isabelle Hanne dans Libération, la plupart des statues de généraux des États confédérés, « qui ont pris les armes pour défendre l’esclavage », ont été érigées bien après la guerre de Sécession. Le professeur James W. Loewen, spécialiste du sujet, l’explique ainsi : « la période que l’on appelle le ‘nadir des relations raciales américaines’, qui va de 1890 à 1940, a été une période terriblement raciste, un âge d’or de la suprématie blanche, de la ségrégation et du Ku Klux Klan ». Une nostalgie qui alors sonne comme une revanche et se nourrit d’un révisionnisme historique sur, notamment, les véritables causes de la guerre de Sécession, à savoir la perpétuation de l’esclavage.

En 2015, la tuerie dans une église de la communauté africaine-américaine de Charleston, en Caroline du Sud, par le jeune sympathisant suprémaciste Dylann Roof, avait déjà relancé la polémique. À l’époque, les responsables du parti républicain étaient beaucoup plus divisés quant à la condamnation de la motivation raciste du tueur, mais aussi quant à la suppression des drapeaux confédérés dans les espaces publics de certains États du Sud Est. Mais c’était avant Trump et le risque d’amalgame que celui-ci est en train de créer entre le parti républicain et l’extrême droite raciste.

Car Trump continue de donner des gages à cette dernière. Au-delà de ses quelques dizaines de milliers de militants, c’est aux nombreux soutiens de la défense d’une identité blanche et chrétienne (et patriarcale) de l’Amérique que Trump s’adresse. Ceux qui se voient comme les perdants de la mondialisation économique et culturelle et comme les laissés pour compte de la diversité culturelle et ethnique. Le Président mène du même coup un combat acharné contre la gauche et notamment la gauche culturelle, dans ou en dehors du parti démocrate.

Après Charlottesville, il a été reproché à Trump de ne pas être une « boussole morale », de ne pas être le garant de l’unité du pays. Mais il est important de dire qu’en ne condamnant pas le racisme et la haine, Trump divise sciemment la nation. Il rouvre la fracture raciale comme il l’avait pendant sa campagne en qualifiant les immigrés mexicains de « violeurs » et de « voleurs », ou en faisant un amalgame entre les musulmans et les terroristes. Loin d’être une maladresse, Trump suit une stratégie délibérée : cliver la société américaine tout en accusant ses adversaires et les médias de générer ce clivage. Un jeu dangereux, que toutes les extrêmes droites occidentales ont pu adopter. Cette légitimation du racisme annonce-t-elle, après le muslim ban, une série de mesures liberticides ? Il y a tout lieu de le penser.

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