Le fossé se creuse entre Trump et le parti républicain

Aux États-Unis, le Président et les élus républicains ne peuvent plus masquer les désaccords qui les opposent et qui freinent les projets de réformes économiques, sociales et fiscales. Trump et le Congrès dépendent cependant étroitement l’un de l’autre.

Les divergences entre Donald Trump et le Grand Old Party n’ont jamais cessé depuis la campagne électorale de 2016. Ironie du sort, c’est en partie à cause des fortes divisions qui sont à l’œuvre au sein du parti depuis plus de 10 ans – et que le Tea Party avait révélées entre 2009 et 2014, occasionnant un blocage des institutions fin 2013 – que Trump a été élu. L’an passé, les primaires avaient été le symptôme de ces divisions puisque, sans compter Trump, pas moins de 11 candidats s’étaient présentés à l’investiture républicaine. Rapidement, la configuration était devenue celle-ci : Trump contre les autres. Seul contre tous, un argument qui a fait mouche.

Jusqu’au jour de l’élection, le 8 novembre dernier, les rumeurs ont couru que les responsables du parti cherchaient à imposer un autre candidat face à Hillary Clinton. Bien mal leur en aurait pris, Donald Trump l’ayant emporté. Victoire empoisonnée ? La défiance entre l’actuel Président américain et le parti républicain ne s’est pas démentie. Elle n’a aujourd’hui jamais été plus grande. Les soupçons d’ingérence russe dans l’élection, l’image désastreuse des États-Unis à l’international, la méconnaissance par le Président du fonctionnement des institutions pour ne pas dire son amateurisme, sans parler de son autoritarisme, de ses provocations et de son goût pour les « fake news » exaspèrent les leaders et les élus républicains.

Trump entretient une relation extrêmement difficile avec les deux chambres – à majorité républicaine. Or, l’échec du vote d’une nouvelle loi santé affaiblit non seulement le Président mais aussi les élus conservateurs qui, depuis 2010, rêvent de mettre à mal la réforme emblématique du précédent Président – ce que Trump ne manque pas de leur rappeler. Il est vrai qu’un statu quo sur l’Obamacare serait un échec cuisant pour les Républicains.

De plus, Trump ne cache pas son souhait de faire en tous points le contraire d’Obama. Cependant, malgré un teasing présidentiel promettant, depuis des mois, le remplacement en quelques semaines de l’Obamacare pour un système « plus efficace et plus juste », selon les mots du Président, aucun projet de loi n’a pour l’heure abouti, faut de consensus entre la Chambre et le Sénat ou au sein même du Sénat.

DES RÉFORMES IMPOSSIBLES ?

Furieux, Trump a exigé du Congrès fin juillet qu’il vote purement et simplement la suppression de l’Obamacare et prenne le temps d’élaborer une nouvelle loi pour la remplacer, quitte à laisser pendant des mois, voire des années des dizaines de millions d’Américains sans assurance. Une décision « irresponsable » et « cynique », selon le Washington Post, tant elle méprise l’intérêt général comme les conditions de vie des plus modestes et de la petite classe moyenne – dont on rappelle qu’elle a, dans des proportions inédites dans l’histoire contemporaine des États-Unis, voté pour Trump. Selon John Cassidy du New Yorker, le président ne se préoccupe que de servir ses intérêts personnels et son amour propre, ainsi qu’il l’a toujours fait dans ses affaires.

Depuis qu’il est en fonction, Trump a sous-estimé l’importance du travail avec les parlementaires, qui est long, complexe, surtout dans une famille politique où les modérés côtoient les ultras.

Décision stupéfiante également car elle démontre que, depuis qu’il est en fonction, Trump a sous-estimé l’importance du travail avec les parlementaires, qui est long, complexe, surtout dans une famille politique où les modérés côtoient les ultras. Pour les premiers, il est suicidaire de revenir sur l’extension de Medicaid, permise par l’Obamacare et qui a donné une assurance santé à 14 millions d’Américains pauvres – cette version de la réforme, baptisée « Trumpcare », est d’ailleurs très impopulaire chez les électeurs républicains.

Pour les seconds, liés aux lobbies ultra-conservateurs et/ou libertariens partisans du « tout marché », il faudrait non seulement réduire Medicaid pour diminuer au maximum les dépenses fédérales, mais aussi supprimer l’obligation faites aux entreprises d’offrir une assurance à leurs employés et celle faites aux ménages de souscrire à un contrat. Les compagnies d’assurances, mais aussi le monde de la santé, des associations de retraités, de handicapés et de défense des droits des femmes – inquiètes de la perspective d’une non prise en compte des dépenses de santé sexuelle et reproductive – ont fait entendre leur opposition dans une campagne de terrain acharnée auprès des élus.

C’est la voix des plus faibles, ainsi que le souci de l’intérêt général qu’ont ainsi relayés les sénatrices républicaines Lisa Murkowski (Alaska) et Susan Collins (Maine), lesquelles, malgré les menaces de Trump de les mettre en difficulté dans leurs circonscriptions repectives, ont voté contre le projet de loi mal pensé, peu équilibré, idéologique, et largement flou dans toutes les versions présentées au vote.

C’est aussi le cas, plus médiatisé, de John Mc Cain (Arizona), qui a ostensiblement baissé le pouce au moment de voter. Ces trois élus déploraient également le manque de transparence du processus de débat parlementaire sur ce projet. Ce qu’il faut bien qualifier de camouflet pour le Président qui voulait passer en force est la preuve que sa réforme était mal préparée. C’est aussi la preuve que les institutions, que la démocratie résistent à Trump. Mais celui-ci ne le supporte pas et exprime régulièrement la rancœur qu’il éprouve vis-à-vis, notamment, de McConnell, le chef de la majorité républicaine au Sénat, ou de McCain.

LE CONGRÈS FACE AU PROBLÈME RUSSE

Le Congrès, sur lequel Trump met la pression – sa dernière déclaration consiste dans la menace d’un shutdown – blocage des institutions –, défie désormais ouvertement le Président. Fin juillet, il a voté une loi pour renforcer les sanctions économiques contre la Russie (mais aussi la Corée du Nord et l’Iran), et pour limiter la capacité du président à s’y opposer par véto. Après avoir laissé planer le doute, Trump n’avait d’autre choix, en plein Russiagate, que de promulguer la loi – sans se priver de critiquer publiquement les sénateurs républicains. Un véto aurait été interprété comme l’aveu qu’il existe bien des liens opaques avec le Kremlin. Mais en signant, il s’est mis en porte-à-faux vis-à-vis de Poutine qui a parfaitement saisi qu’il ne pouvait pas attendre grand chose du Président américain et qui a immédiatement pris des mesures de retorsion avec le renvoi de plusieurs centaines de diplomates américains en Russie.

Les élus républicains souhaitaient ainsi sanctionner la Russie pour ses interférences dans la campagne de 2016, ainsi que pour l’annexion de la Crimée, son action militaire en Ukraine, son mépris des droits de l’homme et son soutien à Bachar el-Assad. Or, lors de sa dernière visite en Europe, Trump a longuement discuté avec Poutine qui lui a assuré que le Kremlin n’avait joué aucun rôle dans la campagne présidentielle américaine. Trump a semblé accorder plus de crédit à la parole de Poutine qu’aux enquêtes du renseignement américain.

Mais l’intérêt des élus républicains est aussi de reprendre l’ascendant sur l’administration, de faire taire les critiques sur les choix stratégiques du pays en matière de sécurité, et de faire un geste bipartisan envers les Démocrates pour obtenir la réciproque sur d’autres sujets. Le Sénat s’efforce ainsi également d’empêcher la révocation par Trump du procureur spécial Mueller dans l’enquête sur la Russie et a maintenu sa session formelle pendant l’été pour éviter que le Président ne procède à de nouvelles nominations sans son aval. Celui-ci parle régulièrement d’une « chasse aux sorcières »menée par Mueller à son encontre et rédige de nombreux tweets où transparaît son aigreur contre les médias (presse écrite et télévisuelle) et les élus.

UNE « GUERRE DES GANGS » À LA MAISON BLANCHE ?

Du côté de la Maison blanche, rien ne va plus. Plus de 10 personnes à des postes-clés ont été remplacées depuis janvier. Le passage éclair d’Anthony Scaramucci comme directeur de communication en est peut-être l’épisode le plus retentissant. Sa nomination semblait logique au vu des ressemblances entre lui et le Président. Scaramucci est un financier new-yorkais, ancien de Goldman Sachs, propriétaire de hedge funds, homme de médias (sur Fox), extérieur au parti, et séduit par le fait d’incarner une communication toute dévouée au Président. Celui-ci avait en effet déclaré qu’il trouvait que Scaramucci « le défendait bien à la télé ». Mais la nouvelle recrue en a trop fait dans la dévotion lorsqu’il a insulté plusieurs de ses collaborateurs : il n’y a qu’un Donald Trump.

À cela s’ajoute le départ de la Maison blanche de deux poids lourds du parti, le porte-parole, Sean Spicer (opposé à l’arrivée de Scaramucci), et le secrétaire général, Reince Priebus (accusé par le Président de faire fuiter des informations dans la presse), remplacé par un général, John Kelly… qui a obtenu la tête de Scaramucci. Le cercle familial, Jared Kushner et Ivanka Trump, demeure celui qui a le plus la confiance de Trump. La démission récente de Steve Bannon rassure les plus modérés mais confirme l’impression de chaos. Sebastian Gorka, un autre conseiller nationaliste, a lui aussi présenté sa démisison, s’estimant, comme Bannon, plus utile à Trump à l’extérieur qu’à l’intérieur de la Maison blanche…

Plusieurs responsables républicains se sont exprimés pour condamner le Ku Klux Klan, les néo-nazis et la nostalgie de la période esclavagiste, afin d’éviter tout amalgame entre le parti et l’extrême droite raciste.

Bannon est conforté dans l’idée qu’il faut « assécher le marigot » de Washington – autrement dit faire imploser le parti républicain, d’autant que celui-ci s’est irrité des évictions de Priebus et Spicer et de la manière peu amène dont Trump a pu traiter une autre figure républicaine, Jeff Sessions, le ministre de la justice – il lui reproche de ne pas le soutenir suffisamment dans le Russiagate. Le Président américain est cependant friand de ce que la correspondante du New York Times à la Maison blanche, Maggie Haberman, qualifie de guerre des gangs, faisant référence à la rivalité des Bloods contre les Crips à Los Angeles dans les années 1990. Trump divise pour mieux régner et reste… seul face à tous.

LE PARTI RÉPUBLICAIN DISCRÉDITÉ PAR LES DÉCLARATIONS DE TRUMP

Enfin, le parti s’agace du discrédit que Trump jette chaque jour un peu plus sur les Républicains. L’ambiguïté du Président vis-à-vis des suprémacistes blancs n’arrange rien. Plusieurs responsables républicains se sont exprimés pour condamner le Ku Klux Klan, les néo-nazis et la nostalgie de la période esclavagiste, afin d’éviter tout amalgame entre le parti et l’extrême droite raciste.

Trump passe un temps considérable à galvaniser la foule de ses supporters dans les États qui ont fait basculer l’élection en sa faveur. Il fait des annonces unilatérales contre les transgenres dans l’armée ou contre l’immigration légale. Il se croit toujours (déjà ?) en campagne. Gouverne-t-il le pays ? Les réformes ne se font pas, ce qui inquiète les élus comme les lobbyistes, bien qu’ils multiplient les déclarations pour faire montre de leur volonté de faire avancer les dossiers. Trump, étranger au parti républicain et à ses habitus, n’a pas de lien historique avec les corps intermédiaires conservateurs et libertariens, ce qui constitue aussi une faiblesse.

Dans les prochaines semaines, le vote du budget fédéral, la réforme fiscale, le relèvement du plafond de la dette seront périlleux. Et personne, chez les élus républicains comme à la Maison blanche, ne veut porter la responsabilité d’un éventuel échec. Le travail avec le Président devra partir sur de nouvelles bases mais personne ne sait encore lesquelles.

Les élections de mi-mandat de novembre 2018, qui verront le renouvellement de la Chambre des représentants et d’un tiers du Sénat, constitueront le grand test de la popularité de Trump et des conservateurs sur le terrain. Pour l’heure, malgré un taux d’approbation global historiquement bas – autour de 30 % – l’électorat républicain, malgré un léger effritement, soutient Trump à plus de 75 %.

Le Président tient aussi sa majorité par le pouvoir qui est le sien de nommer des dizaines de juges fédéraux conservateurs. Mais si la campagne de 2018 montre que ce soutien s’affaiblit, les congressistes lâcheront le Président. Le pire, pour lui, serait bien sûr qu’il perde sa majorité au Congrès. Dans les deux cas, la menace d’une procédure d’impeachment se fera très concrète. On n’en est pas encore là. Certes, les rumeurs sur les tractations du parti pour soutenir un autre candidat républicain en 2020 vont bon train. Mais le parti et le Président ont encore besoin l’un de l’autre, faisant ressembler Washington à une voiture au point de patinage avant un démarrage en côte. Tout ne va pas si mal pour Donald Trump.

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