Un an d’administration Trump : quel bilan sur la scène intéreure?

Interview pour l'IRIS, le 5/12/17

Réforme fiscale majeure censée booster la compétitivité des entreprises, mesures sur l’environnement et la politique migratoire, tensions qui opposent les administrations et la présidence, comment définir la politique de Trump sur la scène intérieure depuis son élection de novembre dernier ? Pour nous éclairer, le point de vue de Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS.

Un an après son élection à la présidence des Etats-Unis d’Amérique, quelle lecture peut être faire de l’action de Donald Trump sur la scène intérieure ?

Trump n’a de cesse de chercher à séduire, je dirais même flatter, le cœur de son électorat, ce qui nécessite quelques contorsions. En effet, d’une part, il poursuit son storytelling et ses tentatives de concrétisations politiques de ce discours, sur l’identité blanche d’une Amérique fermée sur elle-même ; de l’autre, il s’efforce de satisfaire les plus fortunés – dont lui-même – par une réforme fiscale d’une ampleur sans précédent depuis Reagan et incroyablement favorable aux plus aisés. Mais le Sénat prévoit – au contraire de la Chambre des représentants avec laquelle il lui faudra s’accorder – de supprimer une mesure majeure de l’Obamacare, à savoir le mandat individuel obligatoire. Ce qui laisserait des dizaines de millions d’Américains sans assurance, et pas parmi les plus riches, on s’en doute.

Du reste, cette réforme fiscale est très impopulaire dans le pays car les électeurs savent compter et évaluent très bien leur situation individuelle. Les démocrates misent sur cette impopularité pour les élections de mi-mandat, dans un an.

A part cette loi qui est en train d’être votée au Congrès, la plupart des décisions de Trump résultent de décrets (environnement, droits de femmes, dérégulations diverses) et de retraits d’organisations ou d’accords internationaux – ou de la menace de le faire. Le projet de fermeture aux autres et au monde, la promesse d’unilatéralisme et d’autorité, sont tenus. Il exerce aussi à plein son pouvoir de nomination des juges et des responsables d’agence. Ce qui étend l’influence des ultra-conservateurs.

L’enquête du procureur spécial Mueller fragilise-t-elle un peu plus la présidence Trump, alors que son ancien conseiller à la sécurité intérieure, Michael Flynn, a dit coopérer avec la justice ?

L’étau se resserre chaque semaine davantage autour de l’entourage proche de Trump, donc de lui-même. Flynn a reconnu qu’il avait menti au FBI à propos de ses contacts avec le pouvoir russe, avant l’entrée en fonctions du nouvel exécutif, et de la teneur des propos qu’il a tenus. Or Trump a dû se séparer de lui, au début de l’année 2017, officiellement parce qu’il avait menti… au vice-président Pence. Dans un tweet, il y a quelques jours, le président a avancé – peut-être un peu vite – qu’il savait, à l’époque, que Flynn avait menti au FBI et, le 4 décembre, l’avocat du président a dit qu’on ne pouvait l’accuser d’obstruction à la justice tant qu’il serait au pouvoir. Est-ce à dire que l’obstruction à la justice est avérée ? Toujours est-il que, premièrement, l’interférence de la Russie dans la campagne de 2016 ne fait aucun doute ; deuxièmement, certains conseillers de Trump le savaient. Il reste à Mueller à prouver (sauf s’il le sait déjà et qu’il avance un à un ses pions) que les proches du candidat Trump non seulement étaient au courant, mais qu’ils ont piloté tout un système de piratage et de trucage. Jared Kushner pourrait être le prochain sur la liste du procureur spécial.

Une théorie circule dans la presse étasunienne : une fois que les élus républicains n’auront plus besoin de Trump pour faire passer leurs grandes réformes (fiscalité, santé), ils n’auront plus intérêt à le soutenir et pourraient bien le lâcher –  une procédure de destitution pourrait être engagée car après tout, il y a eu espionnage russe – pour mettre Mike Pence à sa place. Nous verrons.

Limogeage du patron du FBI, remise en cause de l’action des services de renseignements, choix d’une ligne maximaliste vis-à-vis de Pyongyang face à des généraux plus modérés : comment analyser cette lutte de pouvoir qui oppose l’administration Trump aux milieux de la sécurité et de la défense ?

« Lutte » est le bon mot en effet. L’administration résiste à Trump, et dans certains domaines plus que d’autres. C’est le cas de la diplomatie, de la sécurité et de la défense. Les équipes en place n’ont pas toutes été remplacées – de nombreux pays, dont la France, n’ont toujours pas d’ambassadeur ! De plus, le président n’a pas la confiance des services secrets parce qu’il ne sait pas toujours garder… des secrets et du fait que certains de ses choix sont faits en dépit des grands équilibres géopolitiques. C’est le cas de la question iranienne et peut-être, dans quelques heures, de la question israélo-palestinienne. Enfin, les liens qui existent entre Trump et le Kremlin ou, peut-être pire, avec des cyber-pirates russes, ne peuvent qu’inspirer la défiance.

Du côté des responsables militaires, d’une part Trump écoute beaucoup les généraux qui l’entourent (Mattis, McMaster, etc.), d’autre part ils savent que l’option de la guerre contre la Corée du Nord, bien qu’elle soit une folie, ne peut être complètement écartée. En effet, le président acceptera-t-il de perdre la face vis-à-vis de celui qu’il nomme l’« homme fusée » ou « le petit gros » ? Trump ne connaît pas les dossiers et refuse de s’y plonger. Il raisonne à court terme et par rapport à l’image d’homme autoritaire et sans concessions qu’il souhaite donner. Au mépris de l’intérêt général.