Il est peut-être fou, mais cela ne doit pas faire écran à son action

Interview pour "20 MInutes", le 12/01/18

Interview réalisée par Anissa Boumediene, sur les troubles psychologiques ou psychiatriques supposés du président Trump.

Fou ou pas ? Ce vendredi, le président américain Donald Trump doit passer sa visite médicale annuelle. Il se pliera à une série d’examens à l’hôpital de Walter Reed, un hôpital militaire de la banlieue de Washington.

Si aucun bilan psychiatrique n’est prévu dans le cadre de cet examen médical, la santé mentale du Commander in chief pose question, et nombreux sont ceux qui pensent que le milliardaire de 71 ans a une case en moins.

Sénile ou « génie très stable » ?

Les interrogations sur son état de santé ont été relancées ces derniers jours par le livre polémique du journaliste Michael Wolff, qui dresse un portrait au vitriol de l’ancien magnat de l’immobilier. Dans Fire and Fury : Inside the Trump White House, Trump est décrit comme un enfant souffrant de troubles de l’attention, incapable de se concentrer plus de quelques minutes. Et son propre entourage fait part de ses doutes sur sa capacité à gouverner. « Ils disent de lui que c’est un crétin, un idiot », indique l’auteur du livre, qui a déclenché l’ire du président américain, qui dénonce « un livre bidon ». « C’est aussi le problème d’avoir un président qui n’est pas curieux intellectuellement et qui est assez inculte », indique Marie-Cécile Naves, spécialiste des Etats-Unis et auteure de Trump, la revanche de l’homme blanc* (éd. Textuel).

Vexé et furieux après la publication de cet ouvrage, Donald Trump a riposté via son mode favori de communication. « Tout au long de ma vie, mes deux atouts ont été ma stabilité mentale et le fait d’être, genre, très intelligent », a-t-il écrit sur Twitter. « Je suis passé d’homme d’affaires TRÈS prospère à grande star de la télé et à président des Etats-Unis (à mon premier essai). Je pense qu’on peut me qualifier non seulement de malin, mais de génie… et un génie très stable en plus ! », s’est-il défendu.

Il y a quelques jours, Donald Trump semblait pourtant avoir oublié les paroles de l’hymne américain. Et les craintes sur sa santé mentale ne sont pas nouvelles : elles ont émergé dès la campagne présidentielle. « Pendant la saison des primaires, alors que les accès bizarres de Donald Trump l’ont aidé à écraser la compétition, je pensais qu’il était malin comme un singe. Maintenant, je suis de plus en plus convaincu qu’il est complètement fou », écrivait un chroniqueur du Washington Post au plus fort de la campagne. Un confrère, le journaliste David Pakman, songeait pour sa part que le président soit atteint de démence sénile, voire de la maladie d’Alzheimer.

Le Dr John Gartner, éminent psychiatre de la prestigieuse université Johns Hopkins, a lui aussi sonné le tocsin. Pour ce spécialiste de la dépression et des troubles bipolaires, « Donald Trump souffre de graves troubles de la personnalité qui en font un être potentiellement dangereux pour lui-même, pour les autres et pour le monde entier », confiait-il à L’obs il y a quelques mois. Pour l’expert, pas de doute, Donald Trump est selon lui « un psychopathe narcissique, paranoïaque, détaché de la réalité », un « Frankenstein psychiatrique » qui ne doit pas être en possession des codes nucléaires. Au point de lancer  une pétition appelant à la destitution du président. Une démarche absolument pas anecdotique qui a recueilli à ce jour près de 70.000 signatures, notamment de médecins et de psychiatres.

Fou ou pas : Trump, « homme de stratégie et d’action »

« Sa folie, qu’elle soit supposée ou avérée, n’est pas le sujet le plus important, estime Marie-Cécile Naves. Trump est peut-être fou, mais cela ne doit pas faire écran à son action. De nombreux commentateurs politiques ne le jugent qu’à l’aune de sa prétendue folie, cela ne retire rien au fait qu’il a une stratégie politique, à laquelle on adhère ou non, et qu’il mène des actions politiques. Certes, ce n’est pas un homme de stratégie à long terme, mais il s’agit là d’une analyse politique, pas de la personne ».

Critiqué presque tous les jours sur ses propos polémiques, le président Trump multiplie les sorties qui font scandale. Dernière en date : Donald Trump, partisan d’une immigration choisie et au mérite, ne veut pas de migrants venant de « pays de merde », citant, selon des propos rapportés, Haïti et les pays d’Afrique. Quelques jours plus tôt, c’est sa guéguerre avec le leader nord-coréen sur lequel des deux hommes avait le plus gros bouton nucléaire qui montrait une nouvelle démonstration de l’impulsivité et l’impétuosité du président américain. « Ce qu’il a pu dire sur Haïti, tout comme ses propos sur Charlottesville et plus largement sur les minorités religieuses ou ethniques, sont fréquemment taxés de racisme et alimentent les clivages sociétaux, confirme Marie-Cécile Naves. Il attise les divisions sur la scène internationale et isole les Etats-Unis. Mais c’est là la marque de l’homme de communication, qui sait et aime faire parler de lui par tous les moyens. Il est le personnage politique qui a fait le plus parler sur Twitter en 2017. Il est dans son storytelling identitaire de président « viriliste » et d’homme blanc ».

Pour ce qui est de faire la part entre la dose de stratégie de communication et celle de possibles troubles psychologiques, « rien ne permet d’y répondre, concède la spécialiste. Mais si rien ne permet d’affirmer avec certitude que Donald Trump est fou ou non, si tel était le cas, il ne serait pas le premier président américain à souffrir de troubles psychologiques. Seulement, il faut arrêter de le sous-estimer et sortir de cette sidération qu’il suscite chez nombre de commentateurs. C’est précisément cela qui fait que personne n’a vu venir sa victoire, rappelle Marie-Cécile Naves. Pourtant, c’est bien lui qui occupe le bureau ovale à la Maison Blanche ».