Trump use d’une vieille rhétorique raciste

Interview pour "Le Soir", le 12/01/18

Interview réalisée par Corentin Di Prima, à l’occasion des propos de Trump sur Haïti, le Salvador et plusieurs pays africains, en janvier 2018 (« shithole countries »), qui relancent le débat sur l’ideologie raciste du président.

Trump est-il un impulsif, qui parle avant de réfléchir ou a-t-il au contraire une stratégie bien réfléchie de communication offensive servant ses plans politiques ?

Il est difficile de savoir quelle est la part d’improvisation, de spontanéité et la part de stratégie. Mais quoi qu’il en soit, ce n’est pas complètement anodin, fortuit. Trump est un homme qui ne réfléchit pas forcément, qui dit ce qui lui passe par la tête, qui est dans la spontanéité, mais quand même, cela participe à une stratégie de stigmatisation des immigrés, des minorités raciales, ethniques et religieuses, avec une volonté d’être toujours dans ce discours d’une Amérique blanche, et par ailleurs patriarcale. Pour lui, il y a les bons et les mauvais immigrés, comme il y a les bons et les mauvais Américains. Et dans les bons, on retrouve toujours les blancs, tandis que les autres sont des problèmes. C’est en réalité une vieille rhétorique raciste, conservatrice.

Ses impulsions se muent en stratégie ?

Trump, c’est la rencontre entre un homme impulsif, qui sans doute a des sentiments racistes, et une certaine Amérique. C’est cet électorat-là qui lui fait confiance aujourd’hui, qui le soutient mordicus. Donc il a tout intérêt à poursuivre ce story-telling de l’Amérique fermée, racialisée, qui a fonctionné jusqu’ici. Il est fort impopulaire aujourd’hui, mais le cœur de son soutien, ce sont ces hommes blancs en colère de la « rust belt » (« la ceinture de rouille », expression désignant la désindustrialisation des Etats du nord-est des Etats-Unis, NDLR) et des régions rurales, qui sont dans un ressentiment racial, et qui sont sensibles aux discours identitaires.

Cette satisfaction de cet électorat conditionne-t-elle jusqu’aux décisions géostratégiques de Trump (tensions avec la Corée du Nord, déplacement de l’ambassade US à Jérusalem…), avec les risques qu’elles impliquent ?

La satisfaction du lobby militaro-industriel d’une part, flatter l’électorat évangéliste (qui a voté à plus de 80 % pour Trump) d’autre part, c’est un prisme majeur pour comprendre ses actions. En matière de politique étrangère, Trump recherche le chaos, mais sans stratégie de long terme. Il déplace l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, mais avec quelle stratégie pour le Moyen-Orient ? Aucune. Idem pour la Corée du Nord, la Syrie. Il est dans un raisonnement de court terme et une stratégie de chaos pour se distinguer d’Obama, considéré comme le président du compromis, du dialogue. Trump veut apparaître comme un chef, combatif, qui ne craint pas l’adversité. Cela fait un tout : une Amérique forte, qui n’a peur de rien, qui ne s’excuse pas. Trump a une obsession anti-Obama.

Une stratégie du buzz, du coup d’éclat…

Effectivement, et le résultat c’est qu’on parle tous les jours de lui, la preuve. Même s’il s’agit ici d’une conversation privée, mais que la Maison-Blanche n’a pas démentie.

Faut-il encore embrayer systématiquement sur ses propos, si choquants soient-ils, si cela participe de sa stratégie de communication ?

Il faut en parler. La forte prééminence d’un discours identitaire produit des effets concrets sur le réel. Il y a un discours actuellement qui dit « Trump est fou, il raconte n’importe quoi, etc ». Peut-être. Mais c’est performatif. Une dynamique de défiance s’installe aux Etats-Unis, il y a une recrudescence du racisme. Il y a une défiance internationale vis-à-vis du pays. Trump est contourné par sa propre diplomatie. Donc même s’il n’a pas de stratégie à long terme, cela produit des effets dans le réel.

Même constat au niveau économique ? Pas de stratégie ?

Non. Il bénéficie de la dynamique enclenchée par Obama, qui a réussi à sortir le pays de la crise, au prix d’une flexibilité importante de l’emploi. Néanmoins, Trump a la confiance des marchés par sa politique fiscale, qui est très dérégulatrice. La grande réforme fiscale qui vient d’être votée est très clairement en faveur des grandes entreprises et des plus aisés. Mais les marchés sont capricieux. Et il n’est pas impossible que d’ici novembre (date des élections de mi-mandat, NDLR), les classes populaires voient directement les effets de cette politique fiscale, qui les désavantage dans leur quotidien. Les Démocrates misent là-dessus. D’autant que Trump ne parle plus de la création d’un salaire minimum, promesse de campagne. Ajoutez les coupes dans l’Obamacare… La situation de cet électorat paupérisé ne va pas s’améliorer.

Il avait aussi promis de grands travaux d’infrastructures censés relancer l’emploi. Là non plus, on ne voit rien venir ?

Non. Et même : qui paierait ça ? La réforme fiscale elle-même va être financée par le déficit. A moins que l’option prise soit d’augmenter la dette et après moi le déluge…

A moins aussi qu’un discours fort en matière d’immigration fédère suffisamment un électorat qui n’y gagne pas tellement au niveau économique.

Il est possible que le story-telling identitaire continue de suffire, par rapport à la réalité concrète de ces gens. Avec les élections de novembre, on aura un bon baromètre pour le savoir.