Le Mondial masculin de 2026 ou le football saturé de géopolitique ?

Gianni Infantino, le président de la FIFA, a beau dire que « la Coupe du monde n’est pas un événement politique et ne doit pas l’être », chacun sait qu’il est dans son rôle avec de tels propos mais que lui-même ne les pense pas. Le 13 juin dernier, l’attribution aux États-Unis, au Mexique et au Canada, regroupés pour l’occasion sous le nom « United 2026 », du Mondial masculin de football de 2026 relève d’impératifs géopolitiques et économiques, donc politiques, d’ampleur peut-être inédite.

Cette fois, il a tweeté. Il ne s’était pas exprimé au moment de l’attribution à Los Angeles des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2028, parce que Los Angeles, c’est la Californie, et que la Californie s’oppose à sa politique. Mais neuf mois plus tard, le président Trump s’est bel et bien félicité de la victoire conjointe des États-Unis, du Mexique et du Canada pour le « deal » que constitue la perspective de l’organisation conjointe du Mondial masculin de football de 2026.

Il avait, fin avril, fustigé par anticipation les pays qui ne voteraient pas pour la candidature nord-américaine… Ce chantage n’a que peu pesé dans le vote final, car, d’une part, le jeu d’alliances et le lobbying qu’il met en place au Moyen-Orient se suffit à lui-même – le Qatar a voté pour le Maroc, l’Arabie saoudite, Bahreïn et les Émirats arabes unis, pour les « United 2026 » – et, d’autre part, la compétition se déroulera bien après que Trump aura quitté le pouvoir, même s’il est réélu en 2020.

Cela s’est surtout joué ailleurs. La FIFA d’Infantino, c’est l’après-Blatter. Dans l’interview qu’il a accordée au Monde, le nouveau patron du football mondial a expliqué que « le vote du 13 juin est tout simplement la dernière étape d’un processus transparent, détaillé et clairement établi depuis le début. » Un effort éthique a de fait été entrepris avec la mise en place d’une « task force indépendante », une « commission d’éthique », supervisée par Vassilios Skouris, ancien président de la Cour de justice européenne. L’ère qui s’est ouverte après Blatter, en 2016, consistait en grande partie à remettre quelques compteurs à zéro.

POUR LES ÉTATS-UNIS, LA REVANCHE DE 2010

Afin de lutter contre la corruption, la procédure de désignation, sous le feu des critiques, a en effet évolué : ce n’est plus la petite quarantaine d’élus du comité directeur de la FIFA qui votent, mais l’ensemble des 211 fédérations nationales, membres de la fédération internationale. Avant le vote, une note technique est attribuée par cette dernière aux candidats. Les critères principaux en sont les capacités matérielles et infrastructurelles à accueillir la compétition, ainsi que les retombées financières potentielles.

Dans huit ans, le Mondial masculin, pour la première fois, se jouera à 48. Il faut donc disposer de moyens et d’infrastructures solides. Or, les stades étant déjà construits et disposant d’une capacité moyenne de 68 000 places aux États-Unis, au Canada et au Mexique, ces derniers disposaient d’un avantage immense sur le Maroc qui devait quasiment tout construire ou rénover, avec le risque d’éléphants blancs. C’est ainsi que la FIFA a argué que le continent nord-américain allait générer plus d’argent donc plus de redistribution aux fédérations.

Pour les États-Unis, c’est une revanche sur 2010. L’affront avait alors été double : non seulement la FIFA avait décidé que le Mondial 2018 serait organisé en Russie, mais que le suivant ne reviendrait pas aux États-Unis, comme beaucoup s’y attendaient, mais au Qatar.

Si le Maroc avait pour lui quatre candidatures précédentes infructueuses et la perspective que soit organisée, sur son sol, la deuxième coupe du monde en Afrique, après l’Afrique du Sud en 2010, la petite taille de son territoire et le manque de moyens pour accueillir une compétition à 48 ne jouaient pas en sa faveur. Il a eu le soutien de la France et de la Chine, qui investit massivement en Afrique et notamment dans le football, mais les pays africains se sont beaucoup divisés dans ce vote du 13 juin dernier. Le Maroc perd largement, n’obtenant que 65 voix contre 134 – auxquelles s’ajoutent quatre abstentions (1).

Pour les États-Unis, c’est une revanche sur 2010. L’affront avait alors été double : non seulement la FIFA avait décidé que le Mondial 2018 serait organisé en Russie, mais que le suivant ne reviendrait pas aux États-Unis, comme beaucoup s’y attendaient, mais au Qatar. Il aura fallu plusieurs années d’enquête, en Suisse et via le FBI pour qu’en 2015 soit mis au jour un système de corruption déjà éprouvé avec la Concacaf, qui a finalement coûté son poste à Sepp Blatter. On a alors rejoué la guerre froide par le biais du sport, un an après les Jeux d’hiver de Sotchi auxquels Obama avait refusé d’assister. L’année suivante, en 2016, le soutien des États-Unis fut important dans l’élection d’Infantino. Ce dernier a-t-il procédé à un renvoi d’ascenseur en favorisant la candidature « United 2026 » ?

LIENS MEXIQUE-CANADA-ÉTATS-UNIS : COURT TERME VS. LONG TERME

Le plus intéressant, aujourd’hui, est sans doute la dimension prospective du vote du 13 juin dernier. La presse étasunienne, qui a peu commenté la décision – il faut dire que le soccer n’y est pas un sport majeur chez les hommes, même s’il est très pratiqué par les femmes et l’équipe américaine est du reste l’une des meilleures du monde –, estime que la perspective de 2026 pousse les trois voisins à l’unité.

Alors que les négociations sur l’avenir de l’Alena, souhaitées par Trump, sont au point mort, alors que les relations avec le Canada sur l’acier, l’aluminium et le G7, et avec le Mexique sur l’immigration, la sécurité et l’hypothétique mur, sont exécrables, les trois pays doivent se projeter sur le long terme. Le plus heureux est sans doute le président mexicain, Enrique Peña Nieto, à la tête d’une grande nation du football qui a déjà accueilli deux fois le Mondial masculin. Dans une vidéo postée sur Twitter, il a vanté les atouts du Mexique en termes d’attractivité touristique et d’hospitalité de ses habitants.

Il a ajouté que la préparation du Mondial 2026 allait être « une opportunité unique de fédérer les individus et de guérir certaines plaies du récit ‘nous vs. them’ du président des États-Unis. » De fait, Trump se soucie peu du sport. Il ne devrait pas d’occuper de près de ces préparatifs, qui incombent avant tout aux agences locales et à la fédérations de soccer, sans parler du rôle immense du secteur privé marchand, par le sponsoring et le parrainage, alors que les marques américaines ont pour le moins boudé le Mondial 2018 en Russie mais vont se rattraper pour 2026.

Cette coupe du monde symbolise l’économie et la géopolitique de long terme. Aujourd’hui, cela paraît improbable. Mais comme il y a eu un après-Blatter, il y aura un après-Trump.

(1) Sur les 211 fédérations, 210 étaient représentées. Le Ghana était absent car sa fédération vient d’être dissoute. Les fédérations des pays candidats (Maroc, Mexique, Canada et États-Unis), ainsi que celles des Îles Vierges, de Porto Rico et de Guam, qui dépendent territorialement des États-Unis, ne pouvaient par ailleurs participer au vote.

© Photo : Wikimédia Commons

Article publié aussi sur mon blog du « Monde ».