Le genre, au cœur des Midterms américaines

Le nombre record de candidates et l’agenda qu’elles portent sont deux marqueurs forts des prochaines élections de mi-mandat aux États-Unis. Une incertitude demeure, celle de la mobilisation des électrices démocrates, alors que la confirmation de Brett Kavanaugh à la Cour suprême pourrait galvaniser la base trumpiste. Pour son premier anniversaire, #MeToo clive un peu plus l’Amérique.

Un double, peut-être un triple effet #MeToo-Trump-Kavanaugh se profile pour les Midterms, au profit des démocrates, dont les sondages s’accordent pour l’heure qu’ils pourraient reprendre la Chambre des représentants.

Le premier concerne le nombre record de candidates, essentiellement chez les démocrates. C’est un indicateur fort du regain d’engagement politique des femmes, bien qu’il faille rester extrêmement prudents sur le résultat : combien seront finalement élues au Sénat, à la Chambre, à un poste de gouverneure ou dans les assemblées locales ? Aux Midterms de 1992, l’affaire Anita Hill / Clarence Thomas avait joué dans la candidature puis l’élection d’un nombre inédit de femmes au Congrès. Que l’histoire se répète ou non, la dynamique est là et devrait se poursuivre pour les élections de 2020.

Le deuxième effet #MeToo, c’est l’agenda des démocrates qui est en train d’être bousculé par les candidates, plus que par les candidats.

Outre les droits des femmes, d’autres combats sont portés : lutte contre les discriminations « raciales », protection de l’environnement, égalités en matière de santé, égalités socio-économiques, contrôle des armes à feu, etc. Le renouveau est aussi du côté des thèmes de campagne.

Mobiliser les électrices serait le troisième effet #MeToo. Le déni, par les républicains, de la lame de fond qui a déferlé sur les États-Unis il y a exactement un an, et qui trouve son paroxysme dans la confirmation du juge Kavanaugh à la Cour suprême et dans la dénégation de la parole des femmes et du militantisme féministe pourrait coûter cher au Grand Old Party qui mène une guerre aux femmes dans son agenda réactionnaire – voir son programme de 2016. L’électorat féminin issu des minorités ethniques mais aussi blanc, suburbain et diplômé du supérieur est déjà mobilisé contre Trump et les républicains. Il reste à savoir si d’autres catégories d’électrices – blanches peu diplômées, vivant en zones rurales, etc. – se déplaceront le 6 novembre.

Taylor Swift ou la leçon de 2016 ?

En 2016, le soutien de nombreuses célébrités de la chanson et du cinéma à Hillary Clinton avait été contreproductif parce qu’il avait renforcé, auprès des électeurs de Trump, l’image d’une candidate proche des élites, de la gauche « politiquement correct », éloignée du « vrai » peuple. Il se peut que certaines et certains, comme les chanteuses Rihanna ou plus encore Taylor Swift, en aient tiré les leçons. Cette dernière a récemment publié un post très politique sur Instagram, où elle compte 112 millions de followers. Elle ne s’en prend pas directement à Donald Trump. C’est en électrice lambda, qui explique avoir réfléchi sur ses priorités pour l’agenda social de son pays, qu’elle s’exprime :

« J’ai toujours voté et je voterai toujours pour un candidat qui protège et se bat pour les droits humains (…) Je ne peux pas voter pour quelqu’un qui ne voudra pas lutter pour la dignité de TOUS les Américains, quels que soient leur couleur de peau, leur genre ou qui ils aiment. Dans l’État du Tennesse, c’est une femme nommée Marsha Blackburn qui candidate au Sénat. (…) Au Congrès, ce qu’elle a fait me terrifie. Elle a voté contre l’égalité des salaires femmes-hommes, contre la loi pénalisant les violences contre les femmes (…). Elle pense que les entreprises ont le droit de refuser de vendre des biens à des couples homosexuels, dont elle estime qu’ils ne devraient pas pouvoir se marier. Ce ne sont pas MES valeurs pour le Tennessee. Je voterai pour Phil Bredesen au Sénat et Jim Cooper à la Chambre des représentants. S’il vous plaît, informez-vous sur les candidats qui se présentent dans votre État et votez en fonction de vos valeurs. Beaucoup d’entre nous ne trouverons jamais un candidat ou un parti avec lequel nous serons d’accord à 100 %, mais nous devons tout de même voter. Tant de personnes intelligentes, pleines de bon sens ont atteint l’âge de 18 ans ces deux dernières années et ont maintenant le droit et le privilège de faire en sorte que leur vote compte. Le 9 octobre est le DERNIER JOUR pour s’inscrire dans le Tennessee. Allez sur vote.org (…). Happy Voting! 🗳😃🌈 »

Phil Bredesen, qui aura la partie difficile dans cet État conservateur, et Jim Cooper sont démocrates mais Taylor Swift n’en fait pas mention. Elle entend mobiliser les indécis ou ceux qui se désintéressent du vote, pas les militants ou sympathisants démocrates.Taylor Swift n’est ni Madonna, ni Beyoncé. Elle compte beaucoup de fans dans la jeunesse conservatrice. Son pouvoir d’influenceuse auprès des jeunes est immense. Quelques heures après la publication de son post, le site Vote.org a ainsi connu un record de demandes, en particulier chez les moins de 25 ans – ce qui est un signe que son message a porté.

Il est peu probable que Kanye West, soutien de Trump auquel il a rendu visite à la Maison blanche il y a quelques jours, et qui a fait de Taylor Swift l’une de ses têtes de Turc, ait le même impact auprès des Africains-Américains, même des hommes. Les fans de Taylor Swift iront-ils pour autant voter ? Dans cette tranche d’âge, on vote plus démocrate que républicain – sauf chez les jeunes hommes blancs – et il semble que cette année l’on soit plus enclin à se rendre dans l’isoloir de 2014 : 34 % des personnes envisageraient en effet de voter le 6 novembre au lieu de 20 % il y a quatre ans.

D’une manière générale, si l’on en croit les enquêtes d’opinion, les démocrates devraient davantage se mobiliser que les républicains, surtout dans les territoires où le scrutin s’annonce serré. Mais il est possible que la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême change la donne. Ce qui est sûr, c’est que deux Amériques se font face. La vice-présidente exécutive du Planned Parenthood, Dawn Laguens, estime que l’affaire Kanavaugh est, après deux années de mobilisation féministe, un « test » pour savoir si le pays « respecte » et « croit » les femmes et les considère comme les égales des hommes. Tarana Burke, qui a créé #MeToo, parle de « moment culturel ».

La candidate républicaine que Taylor Swift rejette est Marsha Blackburn. L’un des votes qui, au Sénat, ont scellé la confirmation de Kavanaugh est celui de Susan Collins. Il serait illusoire de penser, en effet, que les élues et candidates républicaines sont en faveur d’un agenda progressiste pour les femmes, et qu’il existe un vote féminin global.

(Comment) les femmes vont-elles voter ?

Certes, le fossé s’est considérablement creusé, en un an, entre les femmes et les hommes concernant le président Trump : parmi de nombreux autres, un sondage du Wall Street Journal et de la chaîne NBC publié le 23 septembre avance que seules 33 % des femmes interrogées souhaitent que le Congrès reste contrôlé par le parti du président, alors que 58 % d’entre elles lui préfèrent le camp démocrate. De leur côté, 47 % des hommes souhaitent que le Grand Old Party garde la majorité sur les deux chambres, contre 44 %.

L’absence de représentant.e de #MeToo, mouvement de rue et sur les réseaux sociaux, dans la classe politique est une faiblesse. Et les institutions demeurent gouvernées par des hommes (blancs). C’est pourquoi la seule manière de renverser cet état de fait, pour les figures de proue de #MeToo, à l’instar d’Alyssa Milano sur Twitter et d’influenceuses comme Taylor Swift sur Instagram, est d’encourager au vote.

Cependant, chez les femmes blanches prises dans leur globalité, la proportion de celles qui prennent le parti de Kavanaugh est équivalente à celles qui prennent celui de Christine Blasey Ford, son accusatrice. Beaucoup votent républicain, même si elles sont moins nombreuses qu’en 2016 à faire confiance à Trump – les accusations de viols et d’agressions sexuelles dont il fait l’objet et sa manière de parler des femmes sont passées par là.

Mais l’affaire Kavanaugh révèle que les électrices républicaines ont peur pour leurs fils, leurs époux, leurs frères. Ce serait surtout le fait qu’elles soient ou non mariées qui influence leur opinion et donc leur vote : les valeurs religieuses, le fait de soutenir les intérêts économiques de leur mari – breadwinner ou de toute façon gagnant plus qu’elles –, le rétrécissement au cercle familial de leur socialisation, etc. Le mariage perpétue, chez nombre de ces femmes, les inégalités de genre, auxquelles elles adhèrent, même si la tendance tend à s’inverser.

Kavanaugh, instrument du masculinisme de Trump

Interrogé sur le fait de savoir si l’affaire Kavanaugh lui causerait plus d’inquiétude pour ses fils ou pour ses filles, Donald Trump Jr. a répondu : « pour l’instant, je dirais pour mes fils ».

Brett Kavanaugh, confirmé à la hâte à la Cour suprême après une parodie d’enquête du FBI et un passage en force de l’establishment républicain, conforte le masculinisme de la présidence Trump.  Sur la forme, tout d’abord. La théatralisation de la colère de Kavanaugh, lors de sa dernière audition au Sénat – qui a fait l’objet de plusieurs parodies, dont celle de l’acteur Matt Damon mais qui a beaucoup plu à Trump contrairement à l’interview accordée par Kavanaugh à Fox News, que Trump avait jugée molle –, ou encore de Lindsay Graham, sénateur de Caroline du Sud, participe d’une stratégie de cour vis-à-vis de Trump.

Sur le fond, ensuite, ces hommes de pouvoir ne supportent pas de subir le risque que leurs prérogatives et leurs postes soient confisqués, remis en cause par les revendications féministes. Et cette peur fait écho à ce qu’explique Arlie Russell Hochschild dans son livre Strangers in their own Land à propos de ces Américains blancs qui refusent d’être « doublés dans la file » par les femmes et les minorités. Cette angoisse de perdre leurs privilèges, ce désir effréné d’en avoir encore plus supposent aussi qu’on ne questionne pas la culture du viol sur les campus américains.

Culture du viol que l’actuelle ministre de l’Éducation, Betsy DeVos, est en train de conforter en annulant les mesures d’Obama en faveur de la protection des victimes présumées d’agressions et de violences sexuelles dans les établissements d’enseignement supérieur. Bob Woodward, dans son livre Fear, rapporte ce conseil que Trump donne à l’un de ses proches accusé de violences sexuelles : « Il faut nier, nier, nier, et faire reculer ces femmes. Si tu admets la moindre chose, la moindre culpabilité, tu es un homme mort ».

Conserver le pouvoir, coûte que coûte

Comme l’écrit l’économiste Paul Krugman dans le New York Times, « Une société de plus en plus diverse n’accepte plus le droit divin des hommes blancs issus des bonnes familles de diriger les affaires (…). Et rien ne rend un homme habitué aux privilèges plus en colère que la perspective de perdre une partie de ce privilège, surtout s’il découle de la suggestion selon laquelle les gens comme lui sont sujets aux mêmes règles que les autres ».

Dès lors, la confirmation de Kavanaugh est une victoire pour Trump et les défenseurs du patriarcat. Que Kavanaugh ait été choisi par des lobbies ultra-conservateurs afin de limiter les droits des femmes pose particulièrement question au vu des accusations de tentative de viol et d’agression sexuelle exprimées à son encontre par trois femmes. Sa nomination comme neuvième juge de la Cour suprême est la plus forte gifle adressée à #MeToo pour son premier anniversaire, et ce n’est pas un hasard.

L’affaire Kavanaugh a intensifié le partisanisme et le clivage politique, Trump lui-même attisant les divisions comme il n’a cessé de le faire depuis qu’il est élu. Il tient de nombreux meetings, il s’engage dans cette campagne comme aucun de ses prédécesseurs ne l’a fait, dépeignant les démocrates comme de dangereux gauchistes, voulant la destruction de sa politique, de l’économie, du modèle social (une politique de santé gratuite ferait selon lui des États-Unis un nouveau Venezuela, par exemple), de la dignité des jeunes hommes. #MeToo serait un mouvement extrémiste et mensonger.

Les accusations contre Kavanaugh sont, pour Trump, inventées ; c’est un « bobard mis en place par les démocrates », soutenu financièrement « par George Soros ». Les femmes qui protestaient devant la Cour suprême sont pour lui colériques, incapables de penser par elles-mêmes et leurs « soutiens démocrates » n’ont pas de sang froid, préfèrent la loi de la rue, et sont donc inaptes à gouverner.

Poussons jusqu’au bout le raisonnement. Lorsque Trump père et fils se moquent de Christine Blasey Ford, lorsque les républicains décrédibilisent la parole des femmes, parlent de la « violence verbale » des manifestantes #MeToo, c’est une manière de dire aux femmes : « restez à votre place, ne venez pas dans l’espace public, ne revendiquez pas votre place dans nos institutions ». Les démocrates « ont encouragé la loi de la rue », a assuré le président de la commission des affaires juridiques du Sénat, Chuck Grassley, qui explique l’absence de femmes dans sa commission par le fait qu’il y a « beaucoup de travail ».

Dans l’Iowa, les sympathisants du président ont scandé, comme pour Hillary Clinton en 2016 : « Enfermez-la ! » à l’attention de la sénatrice démocrate Dianne Feinstein, que Trump accuse d’avoir rendu publiques les accusations de Christine Blasey Ford – ce qu’elle dément. Enfermez les femmes… Trump s’est excusé « au nom de la nation » pour « la terrible souffrance » qu’ont dû endurer Kavanaugh et sa famille. Pour le président, « il a été fait la preuve » que Kavanaugh est « innocent » – l’enquête du FBI a été précipitée et muselée par la Maison blanche. « Il n’a rien fait de mal », juge Trump.

La confirmation de Kavanaugh galvanisera-t-elle l’électorat républicain ? C’est le pari de Trump et du parti républicain. Selon un sondage paru le 10 octobre dans Politico. 70 % des électeurs se disent convaincus d’aller voter – 77 % chez les démocrates, 68 % chez les républicains et 60 % chez les indépendants – et la tendance est à la hausse, excepté pour les républicains.

Les préoccupations des électeurs démocrates et des électeurs républicains divergent. La désapprobation du président est, avec la santé, puis l’environnement et les droits des minorités, une priorité chez les démocrates, alors que les républicains font de l’économie, puis du terrorisme et de la fiscalité leurs sujets majeurs. Mais ce qu’ils ont en commun, c’est la question de la Cour suprême et des nominations dans le secteur de la justice. De plus, « 64 % des électeurs craignent que dans l’hypothèse où le GOP conserve la majorité au Congrès, les élus républicains ne remplissent pas leur rôle de contrôle de l’administration Trump. Sur ce point, les démocrates sont naturellement plus préoccupés (89 % contre seulement 34 % des républicains). Par ailleurs, 55 % des personnes interrogées (40 % des démocrates, 72 % des républicains) redoutent qu’en cas de victoire des démocrates, ces derniers passent trop de temps à enquêter sur le président et sur ses proches », explique Le Monde.

Le 14 octobre, dans l’émission « 60 Minutes Sunday Night » sur CBS, à la question de la journaliste Lesley Stahl qui lui parlait de Christine Blasey Ford et de Brett Kanavaugh, le président a répondu : « Je ne vais pas en parler. Parce qu’il a gagné. Peu importe. Il a gagné ».

Conserver le pouvoir, coûte que coûte. Au prix des mensonges, des divisions et du mépris des femmes. Tels sont les États-Unis de Trump.

Photo : Brett Kavanaugh et Matt Damon l’imitant dans « Saturday Night Live ». Photo Andrew Harnik. AFP et capture NBC.