Aux États-Unis, les femmes se battent depuis 40 ans pour entrer dans la Constitution

Interview pour "Le Figaro Madame", le 11.02.2019

Interview réalisée par Sofiane Zaizoune. Élues, militantes, actrices… Aux États-Unis, de plus en plus de femmes réclament la ratification de l’Equal Rights Amendment ou ERA. Le texte, accepté par le Congrès en 1972, inscrirait l’égalité de genre dans la Constitution américaine.

C’est une bataille vieille de quarante ans que les féministes américaines refusent de perdre. Sous l’impulsion des représentantes démocrates Jackie Speier (14e district de l’État de Californie) et Carolyn Maloney (12ᵉ district de l’État de New York), des élues et militantes féministes, soutenues par certains de leurs homologues masculins, se battent pour la ratification de l’Equal Rights Amendment (ERA). Cette proposition d’amendement de la Constitution des États-Unis déposée dans les années 1920, visait à garantir que l’égalité des droits entre les sexes ne pouvait être remise en cause par aucune législation fédérale, étatique ou locale. En 1972, l’ERA a manqué de peu d’être adopté.

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Soutenues par d’autres parlementaires, Jackie Speier et Carolyn Maloney ont organisé un rassemblement le 29 janvier à Washington. «Vos droits sont attaqués sur plusieurs fronts, à la Maison-Blanche comme dans les assemblées des États, à travers tout le pays», a déclaré Carolyn Maloney. Un rappel qui prend tout son sens dans le contexte actuel : la Cour suprême doit bientôt examiner une loi de Louisiane qui vise à restreindre l’accès à l’avortement, tandis que Donald Trump affirmait soutenir «le droit à la vie» face aux opposants à l’avortement qui ont défilé en janvier dernier.

Les grandes absentes de la Constitution

«Les femmes en Amérique ne sont pas traitées à la même hauteur que les hommes, et cela semble logique, puisqu’elles n’ont pas de valeur dans leur propre Constitution», a martelé l’actrice Patricia Arquette, à l’initiative en 2016 d’une pétition pour la ratification de l’amendement. «Contrairement au préambule de la Constitution française, […] il n’y a aucune mention de l’égalité femme homme dans la Constitution américaine, donc rien sur la nécessaire lutte contre les discriminations de genre», confirme Marie-Cécile Naves, chercheuse à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiqueset auteure de Trump, la revanche de l’homme blanc (1).

Rédigé pour la première fois en 1923 par des suffragettes, l’amendement a été réécrit à de nombreuses reprises. La version actuelle est aussi courte que claire : «l’égalité des droits face à la loi ne doit pas être niée ou abrégée par les États-Unis ou par n’importe quel État en raison du sexe». Pour l’instant, l’égalité de genre est seulement inscrite dans les constitutions de 24 États. Une ratification nationale aurait «évidemment une portée symbolique forte, explique Marie-Cécile Naves, mais cela ouvrirait surtout la voie à des lois fédérales beaucoup plus explicites […] et offirait un cadre juridique à la lutte contre les inégalités».

Un seul État manque à l’appel

Aux États-Unis, au moins 38 États doivent ratifier un amendement pour qu’il soit adopté à l’échelle fédérale. Problème : en mars 1972, le Congrès fixe une date butoir. Si le texte n’est pas ratifié avant dix ans, il sera abandonné. En 1982, 35 États seulement ont adopté l’ERA. «Tout semble montrer que cette date limite ne se justifie pas, et qu’elle est seulement invoquée par les adversaires» du texte, précise Marie-Cécile Naves. Les supporters de l’ERA militent pour la suppression pure et simple de cette limite. Pendant ce temps, les choses évoluent. En 2017 et 2018, le Nevada et l’Illinois ratifient l’amendement. Il suffirait désormais qu’un dernier État, n’importe lequel, adopte le texte pour qu’il puisse être appliqué à l’échelle nationale. Plusieurs États ont basculé du camp républicain au démocrate lors des élections législatives de novembre dernier, et pourraient faire pencher la balance.

Pour certains de ses opposants, l’ERA ne servirait qu’à augmenter le nombre d’avortements, ou à accorder plus de droits aux personnes LGBT. Mais les partisans de l’égalité de genre ont pour eux un «effet de contexte fort : l’arrivée d’un nombre record de femmes au Congrès, le mouvement Me Too et l’opposition à Donald Trump, à sa politique et à son style très masculiniste, énumère Marie-Cécile Naves. Il y a un vrai regain de militantisme féministe». Plusieurs élues démocrates arboraient un badge «Oui à l’ERA» lors du discours sur l’état de l’Union, le mardi 5 février. Alors que les prochaines élections présidentielles auront lieu en 2020, l’amendement sera sûrement un thème-clé de la campagne démocrate.

(1) Marie-Cécile Naves, Trump, la revanche de l’homme blanc, aux éditions Textuel, 15,90 €.

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