« Plus tard, je serai footballeuse, pilote ou pompière ! »

Interviewée dans "Elle" (version papier et web), numéro du 1.03.19

« Plus tard, je serai footballeuse, pilote ou pompière ! » : l’ambition des petites filles, ça s’apprend dès l’école! L’ambition ça s’apprend dès l’école ! Alors, comment pousser les fillettes à élargir leur champ des possibles ? Réponses de celles qui font bouger les lignes.

Si certaines petites filles peuvent se projeter dans ces métiers réputés plus masculins, elles sont encore une minorité, note Marie-Cécile Naves, politologue et chercheuse associée à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) :

« À quoi rêvent les filles d’aujourd’hui ? À ce qu’elles ont d’abord sous les yeux ! Or, qu’observent-elles dès l’enfance ? Une répartition des rôles sociaux genrés assez claire : 99 % des personnels de la petite enfance sont des femmes. Dans la tête d’une petite fille, comme dans celle d’un garçon, s’occuper des enfants, et des autres en général, c’est un domaine réservé aux femmes. Très tôt, les enfants sont incités à se comporter en fonction de l’attente des adultes, ils sont sensibles aux conventions sociales. Des études ont montré que, dès la crèche, quand ils se sentent observés, les petits jouent avec les jouets conformes à leur sexe. Poupées pour les filles, voitures pour les garçons. Ces identités figées diminuent le champ des possibles, la transgression est compliquée pour les deux sexes. » Et les fillettes finissent par choisir leurs activités, leurs loisirs, leurs études puis leur métier en suivant cette vieille boussole qui leur dicte « ce que l’on attend d’elles ».

C’est ce qu’on appelle le « dream gap » (ou « plafond des rêves », développé par Mattel à l’occasion des 60 ans de Barbie, voir ci-dessous), ce champ des imaginaires qui pour la plupart des fillettes est encore réduit, très conforme à leur genre. Avec des conséquences sur leur vie d’adulte et sur le rôle qu’elles tiendront dans la société. Les statistiques parlent d’elles-mêmes : en France, seuls 2 % des postes de P-DG sont occupés par une femme (1) et leur proportion à la tête des équipes de direction s’établit 33 % (2). De même, les filles ne représentent que 27 % des élèves en écoles d’ingénieur alors qu’elles sont 47 % en terminale S (3). Et que dire des nouveaux jobs, dans le numérique notamment, vers lesquels les jeunes femmes ne s’orientent pas encore suffisamment ?

Voir aussi mon intervention à l’événement #EllePowerGirl

Élevée par des grands-parents sans a priori, Aurélie Jean, mathématicienne de 36 ans, mesure sa chance : ils l’ont toujours encouragée à suivre sa voie, même si elle était souvent l’unique fille parmi les étudiants : « Je jouais avec des Lego et des circuits de voitures, je me déguisais autant en Zorro qu’en princesse et je pédalais sur un tracteur ! Comme tous les enfants, je posais des tas de questions. À chaque fois, on cherchait les réponses ensemble dans les encyclopédies, dans les livres… Ce sont eux qui ont aiguisé ma curiosité et qui m’ont donné le goût de la recherche. » Alix Petit, styliste et chef d’entreprise de 35 ans, dit élever ses deux filles comme elle a été élevée, d’une manière « unisexe » : « Mes parents n’ont jamais fait aucune différence entre ma jumelle, mon frère et moi. Je jouais au foot avec mon frère et je rasais la tête de mes poupées car je ne les aimais pas. Ma benjamine fait de l’escalade avec un T-shirt de la Reine des neiges ! »

Pourquoi si peu de filles dans les filières scientifiques, dans les métiers techniques et du numérique, dans le secteur industriel, des transports ou du BTP ? Qui est responsable ? L’école, les parents, la société au sens large ? « C’est évidemment la conjonction de plusieurs facteurs, analyse Daniel Coum, psychanalyste, auteur de ‘Paternités’ (éd. Presses de l’EHESP). Tous les enfants grandissent dans une culture lourde d’un héritage, d’un passé, d’une histoire patriarcale. Avec une distribution des rôles, des places et des identités que l’on peut qualifier de genrée jusqu’au stéréotype. La femme était à la maison, se consacrait à la maternité. Ce dogme était collectif, c’était comme ça. La révolution culturelle que nous vivons est récente. Les parents d’aujourd’hui ont encore en tête la manière dont ils ont été élevés et se démarquer de cet héritage est vécu comme une déloyauté, voire une trahison. »

Réduire le « plafond des rêves », ce serait donc déconstruire les stéréotypes dans toutes les strates de la société, toutes les sphères dans lesquelles évolue l’enfant. C’est ce que s’emploie à faire Isabelle Collet, informaticienne et professeure en sciences de l’éducation. En Suisse, elle forme à une instruction plus égalitaire en travaillant sur le contenu des livres scolaires, la manière de s’adresser aux élèves en donnant par exemple la parole autant aux filles qu’aux garçons – bien qu’ils n’en aient pas toujours conscience, les enseignants ont moins d’interactions avec les filles qu’avec les garçons (44 % contre 56 %, selon l’étude « Lutter contre les stéréotypes filles-garçons », C.G.S.P, 2014). Ou en évitant de ramener l’enfant à sa biologie – « Comme tu es costaud ! » ou « Comme tu es jolie ! » – et en organisant des jeux mixtes.

« Plus tard, je serai footballeuse, pilote ou pompière ! » : l'ambition ça s'apprend dès l'école !Batailler dès le collège contre les idées reçues, même les plus inattendues, est également nécessaire. Aurélie Jean se souvient ainsi avoir dû rassurer des lycéennes persuadées que « les filles scientifiques ne plaisaient pas aux garçons » et que c’était pour cette raison que les Américaines laissaient tomber les sciences… Aujourd’hui, la scientifique soutient des organisations œuvrant pour l’initiation au code et aux algorithmes, telles Magic Makers ou Pourquoi Princesse, qui propose des kits en français et en anglais pour les enfants, avec un magazine contenant des histoires de femmes scientifiques exemplaires. « Il faut que les filles voient autour d’elles des modèles auxquels elles peuvent s’identifier. J’ai personnellement constaté l’impact fort de l’élection de Barack Obama à la Maison-Blanche, en 2008, sur mes étudiants et mes amis américains de couleur. Le champ des possibles s’élargissait d’un coup ! » relate Aurélie Jean. Comme lorsqu’on lit les bandes dessinées « Culottées », de Pénélope Bagieu, consacrées à « des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent » ou que l’on découvre les nouvelles héroïnes Disney, plus fortes, plus vaillantes et indépendantes.

L’heure de l’égalité a-t-elle sonné aussi pour les petites filles ? « Certainement ! Ce qui est réjouissant, c’est que tout le monde se pose mille fois plus de questions, constate Daniel Coum. Les parents s’interrogent bien avant la naissance sur leurs attentes puis, quand l’enfant est là, sur le choix des jouets, des vêtements, des activités. Ils ont plus de liberté et tracent leur propre voie éducative. À la question ‘qu’est-ce qu’une femme ?’, nous n’avons plus de réponse unidimensionnelle, et c’est tant mieux. Il s’agit pour les parents d’accepter que leur fille soit ce qu’elle est, soumise à toutes les influences, slalomant entre des injonctions souvent contradictoires. Ce qui permettra ensuite à l’adolescente de se déterminer en liberté. » Deviens ce que tu es, ma fille !

1. Étude Heidrick & Struggles « Route to the Top 2017 ».

2. Étude Grant Thornton International « Women in Business », 2017.

3. « Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », Chiffres-clés édition 2017, Secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes.

HALTE À L’AUTOCENSURE !

Les stéréotypes se construisent dès les premières heures de l’enfance. Pour les contrer, Mattel, créateur de la poupée Barbie, qui fête ses 60 ans, lance le Dream gap Project. Objectif : que les petites filles ne soient plus prisonnières du « plafond des rêves », comme leurs mères ont pu l’être du plafond de verre. Parmi les initiatives, l’association avec notre magazine pour lancer, le 16 mars, elle Power girl*, un événement gratuit parents-enfants, où se succéderont des professionnelles inspirantes, telles que la journaliste Apolline de Malherbe, la commandante d’une caserne de sapeurs-pompiers Aurore le Boeuf ou l’astronaute Claudie Haigneré, interrogées par elle et des fillettes. Également attendus, des psychologues, sociologues et chercheurs… Une journée mêlant la réflexion au jeu : les enfants profiteront d’escape games liés à différents univers professionnels.

Claire Bauchart

Samedi 16 mars de 13 à 17 heures, Cité des Sciences et de l’Industrie, 30, av. Corentin-Cariou (Paris-19e). Informations et inscription sur ellepowergirl.elle.fr

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